Zatoichi le justicier aveugle

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Zatoichi le justicier aveugle

Publié le 9 décembre 2021
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Par Gérard-Michel Thermeau.

Zatoichi a sans doute été le personnage le plus célèbre enfanté par le cinéma japonais des années 1960. Ce masseur aveugle a été le héros de 26 longs métrages (dont 25 entre 1962 et 1973) et d’une série télé en quatre saisons (1974-1979) comportant pas moins de cent épisodes ! Shintaro Katsu a trouvé là le rôle de sa vie.

Plus récemment, Takeshi Kitano, avec sa double casquette de réalisateur et d’acteur, l’a revu (et corrigé) dans un film qui reste son opus le plus ludique (Zatoichi, 2003). Si l’on ajoute que le personnage a été décliné au féminin dans la (plus courte) série des Crimson Bat, on aura une petite idée de sa place dans l’imaginaire nippon. On peut voir de nombreux films de la série en haute définition avec des sous-titres anglais sur Youtube et c’est d’ailleurs ce qui m’a donné l’idée de cet article.

Zatoichi, un anti-héros

Le « film de sabre », que l’on appelle souvent chanbarra, se divise en deux catégories. La première branche met en scène des samouraï sans maître, des ronins, et le genre doit beaucoup à des acteurs tels Toshiro Mifune ou Tatsuya Nakadai. La seconde branche a pour héros des yakuzas, ces voyous qui contrôlent les établissements de jeu à l’ère d’Edo. Zatoichi, masseur de son état comme de nombreux aveugles du Japon ancien, mais aussi joueur professionnel est, par là-même, un yakuza. Il n’est donc pas un héros sans reproche.

De fait, Zatoichi n’est guère séduisant avec son physique ingrat, sa démarche grotesque et ses grimaces liées à sa cécité, sa gloutonnerie et son hygiène approximative. Il est un vagabond, sans cesse sur les chemins, vivant de son art mais surtout de son talent au jeu de dés. Il fréquente beaucoup les tripots, utilisant son handicap pour mieux rouler des voyants trop confiants.

Si nous ajoutons qu’il fume et boit du saké sans modération, bien loin des dix coupes hebdomadaires et réglementaires, nous aurons dressé le portrait d’un anti-héros exemplaire. L’acteur était dans la vie privée un alcoolique et un toxicomane notoire ayant de nombreux ennuis avec la justice, la réalité rejoignant la fiction.

Zatoichi, yakuza au grand cœur

Mais selon les inusables clichés de la fiction populaire, sous l’écorce rude du sabreur se dissimule un cœur d’artichaut. Zatoichi est un redresseur de torts, ce qui est aussi une des images des yakuzas dans le cinéma japonais. Sensible au sort des veuves et des orphelins, et surtout des jeunes femmes en détresse, il met sa canne au service des faibles contre les forts. La lame qui jaillit ne tue que des crapules en tous genres.

Nous laisserons de côté la discussion oiseuse sur la nature de l’arme blanche utilisée au temps des samouraï. L’anglais dit sword, là où le français a le choix entre épée et sabre. La tradition a imposé l’utilisation du mot sabre pour les films japonais, alors qu’on parle d’épée pour les films chinois. Le sabre n’étant qu’une forme d’épée, cela n’a de tout façon guère d’importance.

Bref cette lame jaillit comme l’éclair et abat impitoyablement des dizaines d’adversaires. Seules les armes à feu, heureusement peu présentes, peuvent se révéler dangereuses pour notre escrimeur aveugle. Par définition il ne fait jamais que se défendre, ne pouvant tuer ses adversaires que si ceux-ci l’attaquent. Il a souvent l’amabilité de les prévenir mais ceux-ci n’en tiennent aucun compte. Au bout de 50 à 60 cadavres, les quelques survivants connaissent un moment de lucidité et filent, surtout lorsque leur employeur est resté sur le carreau.

Des films de série B

Le nombre très impressionnant de longs métrages laisse deviner le caractère répétitif de ces aventures. Grosso modo, les mêmes situations se répètent au point que l’on frise parfois la parodie comme dans le 19e film réalisé par Kenji Misumi qui dirige l’acteur pour la énième fois. Notre masseur tombe sous le charme d’une jeune femme en détresse, à moins que ce ne soit l’inverse. Ou bien alors, il doit accomplir une promesse à la demande d’un mourant. À moins qu’il ne se retrouve en charge d’âme, là une petite fille, ici un bébé. Ses exploits ont fait mettre sa tête à prix et régulièrement des patrons yakuzas tentent de le tuer pour toucher la prime.

Néanmoins en dépit du caractère « série B » de films tournés à la chaîne, un grand soin est apporté à la réalisation. Les cadrages et les mouvements de caméra sont très composés, les décors naturels très beaux et le jeu d’acteurs de qualité. Les combats, merveilleusement chorégraphiés, restent impressionnants.

Chanbarra et western

Le chanbarra des annés soixante est tout autant influencé par le western que ce dernier (surtout sous sa forme spaghetti) sera influencé par lui. D’ailleurs à la fin de chaque film ou presque, notre héros solitaire s’éloigne au crépuscule tel Lucky Luke. Il chante à l’occasion une variation sur le thème « Je suis un pauvre masseur solitaire ».

Nous sommes donc dans un univers où la question de la loi se pose avec acuité. Le pouvoir central du shogun est lointain et déclinant car nous sommes au XIXe siècle peu avant l’ouverture forcée du pays. Loin d’Edo, de petites communautés sont confrontées à la brutalité des gangs de yakuzas et à la corruption des représentants de l’autorité. Que faire quand ceux qui détiennent le pouvoir sont de mèche avec les mafieux ou quand le patron yakusa est également le chef de la police ? Pas grand- chose sauf si notre masseur passe dans les parages.

Loi naturelle et loi officielle

Il incarne donc une justice privée qui privilégie la loi naturelle à la loi officielle. Zatoichi ne vole jamais que des voleurs et des tricheurs et restitue inversement l’argent extorqué aux honnêtes gens. Il rétablit l’ordre là où régnait le désordre. Face au crime organisé, il s’affirme en yakuza errant et donc libre.

 

Il ne respecte pas davantage les représentants de l’ordre quand ceux-ci tentent de l’arrêter. Il tue, un peu moins souvent que les yakuzas, mais sans barguigner, la piétaille armée des magistrats et ces derniers pour finir. En cela, il combine les deux figures du western, le brigand bien aimé et le shérif inflexible.

Zatoichi et les samouraï

Zatoichi croise aussi des samouraï au fil de ses pérégrinations. Il s’agit soit de clans installés, soit de ronins, mais ni les uns ni les autres ne sont flattés. Ici nous avons un grand seigneur qui a sombré dans la folie, là un jeune héritier maladif qui n’a pas le talent nécessaire pour venger son père. La critique de la société aristocratique ancienne qui est une constante du cinéma japonais n’épargne pour le coup pas même les samouraï errants.

Loin d’être les nobles chevaliers souvent dépeints depuis les Sept samouraï, les ronins sont des personnages sinistres, soit cupides soit sadiques, même quand ils prétendent suivre leur code de l’honneur. Si Ichi sympathise à l’occasion avec l’un d’entre eux, cela se termine le plus souvent très mal comme lors de sa rencontre avec un maître des échecs. Élément significatif, Ichi qui appartient au bas de l’échelle sociale, qui est un paria méprisé, maîtrise mieux le sabre que ceux qui s’en réclament. Et son code de l’honneur se révèle beaucoup plus juste que celui des samouraï.

Le paria métamorphosé

Le succès de la série des Zatoichi s’explique ainsi par le caractère paradoxal du personnage. En apparence, il est fragile et démuni et peut facilement se faire tabasser, ce qui lui arrive d’ailleurs. Adultes comme enfants se moquent de lui, parfois cruellement. Mais il possède un odorat et une ouïe qui remplacent ses yeux. Et dès que le sabre jaillit tel l’éclair de sa canne, symbole de son infirmité, il se révèle invincible. Le paria dès lors se métamorphose en divinité vengeresse.

Zatoichi peut se traduire par Ichi l’aveugle, ce dernier terme étant péjoratif. Mais ceux qui découvrent sa véritable personnalité et ses talents exceptionnels ne peuvent que s’incliner devant maître Ichi. Il est l’homme libre par excellence, exutoire pour les spectateurs japonais vivant dans une société très conformiste. Sans doute est-il le personnage dont nous nous avons besoin désormais en ces temps de covidisme moutonnier.

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