Elon Musk : ses six milliards et la faim dans le monde

Elon Musk veut bien donner 6 milliards pour régler le problème de la faim dans le monde, mais à condition qu’on lui explique comment. Et là, ça se complique un peu.

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Elon Musk à "The Summit 2013" Photo Dan Taylor / Heisenberg Media (CC-BY 2.0)

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Elon Musk : ses six milliards et la faim dans le monde

Publié le 4 novembre 2021
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Par Nathalie MP Meyer.

Ah, les problèmes de titrage ! En ce week-end de Toussaint 2021 qui marquait aussi l’ouverture de la COP26 sur le climat à Glasgow – il n’est pas anodin de le souligner comme on va voir -, on apprenait grâce à CNN que 6 milliards de dollars pourraient résoudre la question de la faim dans le monde. Six milliards de dollars, soit seulement un minuscule 2 % de la fortune d’Elon Musk, patron du constructeur d’automobiles électriques Tesla, ou des portions tout aussi anecdotiques des patrimoines des autres super-riches de la planète :

Elon Musk milliards
Première publication le 26 octobre 2021

La proposition d’Elon Musk

Dans ces conditions, il faudrait vraiment que nos « rich & famous » manquent singulièrement d’humanité pour rester sourds à l’appel au secours de David Beasley, directeur du Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM). Entre les conflits armés, l’instabilité politique, la pandémie de Covid-19 et le changement climatique qui font des ravages de l’Éthiopie à l’Afghanistan en passant par l’Amérique centrale, a expliqué ce dernier, « six milliards de dollars pour aider 42 millions de personnes qui vont littéralement mourir si nous ne faisons rien pour elles, ce n’est pas compliqué. »

Sollicité sur Twitter, Elon Musk s’est déclaré prêt à vendre immédiatement autant d’actions Tesla que nécessaire pour réunir les 6 milliards demandés, mais à condition que le PAM (WFP en anglais) explique comment il compte s’y prendre pour résoudre le problème de la faim dans le monde, ceci dans un esprit de transparence des données « afin que le public puisse voir précisément comment l’argent est dépensé » :

   

Peut-être se disait-il qu’il ne s’engageait pas à grand-chose, car qui pourrait croire que 6 milliards de dollars, une somme effectivement très petite à l’échelle des activités humaines mondiales, pourrait suffire à régler définitivement les problèmes planétaires de sous-nutrition ?

Peut-être se disait-il aussi que cet appel public aux premières fortunes mondiales – David Beasley ayant également cité Jeff Bezos – n’était qu’une expression de plus de la tendance à vouloir faire payer les riches et les entreprises pour tous les dérèglements de la marche du monde et peut-être voulait-il mettre les habituels contempteurs des 0,01 % au pied du mur : montrez-moi de quoi vous serez capables avec mon argent et j’aviserai.

Mais finalement, peu importe l’état d’esprit ou les raisonnements d’Elon Musk au moment où il a renvoyé la balle, car il s’avère qu’il n’a jamais été question de résoudre le problème de la faim dans le monde avec 6 milliards de dollars comme pouvait le laisser penser le titre de CNN, mais seulement de contribuer à résoudre des situations d’urgence, ainsi que David Beasley l’a lui-même précisé sur Twitter, dénonçant le titre imprécis de CNN (« headline not accurate »). D’où correction subséquente :

Elon Musk milliards
Publication corrigée le 1er novembre 2021

Un appel aux dons de la part de l’ONU

Ceci étant éclairci, l’intervention du directeur du PAM sur CNN devient beaucoup plus compréhensible. Au sein de l’ONU, son organisation a une vocation purement humanitaire qui consiste à faire parvenir des denrées alimentaires aux populations du monde les plus démunies, notamment lors de situations d’urgence telles que les guerres ou les catastrophes naturelles qui réduisent leur accès à l’alimentation.

Son financement dépend entièrement des contributions volontaires versées par certains pays membres de l’ONU, soit 7,9 milliards de dollars en 2020, auxquelles s’ajoutent éventuellement les dons du secteur privé et les contributions d’institutions financières telles que la banque mondiale (0,6 milliard en 2020). Autrement dit, M. Beasley s’est tout simplement livré à un appel aux dons, un appel très appuyé, très médiatisé, en direction de donateurs potentiellement très fortunés. Potentiellement, car il leur faudra quand même vendre des titres qui financent actuellement des sociétés, donc des emplois.

Que fera Elon Musk ? On ne sait. Mais ce que l’on sait fort bien en revanche, c’est que ses 6 milliards dépensés de cette façon n’auront pas d’autre effet que d’alléger ponctuellement une situation dramatique, et encore faudra-t-il qu’ils parviennent intégralement aux populations qui en ont effectivement besoin. Non pas qu’ils seront inutiles sur le moment, mais ils ne permettront pas de dépasser le stade du proverbe : « Donne un poisson à un homme et il vivra un jour. » L’avenir n’est pas préparé. Dès la prochaine crise, il faudra recommencer.

Le développement ne repose pas sur les aides internationales mais sur l’entreprenariat

De nombreux exemples montrent que le décollage économique à long terme d’une famille, d’une région, d’un pays, ne repose pas sur la multiplicité des aides financières locales ou internationales, mais sur la possibilité pour chacun de s’insérer dans les échanges économiques des marchés mondiaux plutôt que de rester dans le confinement de sa précarité locale. Autrement dit, sur le développement décrit dans la seconde partie du proverbe ci-dessus : « Apprends-lui à pêcher et il mangera toujours ». Apprends-lui à pêcher, à lire, à écrire, à compter, apprends-lui un métier et crée les conditions favorables à son insertion économique.

À ce titre, on peut citer la libéralisation de l’économie indienne qui s’est déroulée dans les années 1990. En favorisant l’arrivée en Inde de grands groupes internationaux demandeurs de services locaux variés, elle a permis à de nombreux « intouchables » de sortir de la pauvreté et de devenir parfois des chefs d’entreprise à succès, alors même que le système extrêmement rigide des castes les condamnait auparavant à demeurer prisonniers d’une « trappe à pauvreté » de génération en génération. 

Plus globalement, la période 1990-2015 a vu la mondialisation et la libéralisation des économies s’accompagner d’une baisse considérable de la part de la population mondiale vivant sous le seuil international de pauvreté (de 37,1 % à 9,6 %) et d’une baisse tout aussi considérable de la population souffrant de sous-nutrition : pour la première fois en 2015, elle est passée sous le seuil des 800 millions de personnes, soit 11 % de la population mondiale contre 18,6 % en 1990, alors que la population du globe augmentait de 1,9 milliard de personnes sur la période.

Sans surprise, parce qu’on entrait dans une période d’empêchement social et économique particulièrement sévère, ces bons résultats se sont malheureusement dégradés pendant la pandémie de covid.

Par ailleurs, il ressort de nombreuses études et travaux de recherche, par exemple ceux de Dambisa Moyo ou ceux du Prix Nobel d’économie 2015 Angus Deaton, que les grands programmes de développement à base de subventions des pays occidentaux vers les pays en développement constituent finalement une politique qui tend à enfoncer ces derniers pays dans la corruption, l’assistanat et la pauvreté, même si elle donne bonne conscience aux pays riches.

Faisant le constat que les pays qui ont connu un fort développement le doivent à la création de richesse et non à l’aide extérieure, Dambisa Moyo prône le respect du droit de propriété et l’ouverture sur l’extérieur, c’est-à-dire une vraie politique libérale qui restaure les pays en développement et leurs populations dans leur autonomie.

Or il est très inquiétant de voir que si le changement climatique est facilement et fréquemment cité comme facteur majeur de déstabilisation alimentaire des populations les plus vulnérables, raison pour laquelle il est toujours plus urgent de mobiliser de fortes sommes contre la sous-nutrition, il est aussi la raison principale d’une demande de décroissance économique et de régulation accrue des activités humaines de la part des écologistes.

Si cette vision malthusienne et autoritaire de l’écologie devait l’emporter sur la vision où les entreprises deviennent les vecteurs créatifs d’une croissance en harmonie avec l’environnement (chemin que beaucoup d’entre elles empruntent déjà spontanément, n’en déplaise au pape François), il est à peu près certain que le développement humain, la sortie de la pauvreté et l’ambition d’un monde qui mange à sa faim du nord au sud et de l’est à l’ouest n’y trouvera pas son compte.

Sur le Web

Voir les commentaires (27)

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  • maintenir le narratif..

    vilain! vilain! musk!!!

  • Excellente réponse d’E Musk.

    • oui mais incomplète il aurait du nié le statut de juge à ceux qui l’accusent… IL A LUI diminué la pauvreté et la faim dans le monde.. plus exactement, son enrichissement sans connivence…mais bon..

  • hum si elon musk vend ses action pour deux milliards…c’est donc que des gens pensent que ces actions valent bien deux milliards..et qu’ils ont l’argent pour le faire… pourquoi ne pas demander directement à ces gens? qui en outre font un profit…

    musk n’a pas deux milliard dans sa poche…il ne mange pas deux milliards..

    imaginez qu’il suffirait de vendre toutes les toiles de maitres du monde pour résoudre la faim dans le monde… à qui?

    ou imaginez qu’il suffirait d’imprimer de la monnaie…

    pour l’un il semble que l’idée que des gens deviennent très riches « honnêtement » ( bon je sais musk) est une CAUSE..de la faim dans le monde..

    question..combien sont payés les fonctionnaires de l’UN? combien de vies seraient sauvées..si…. Et tiens , combien de vie sauvent ils vraiment d’ailleurs… sait on si ils en ont sauvé une seule en vérité, GLOBALEMENT.. est ce que les vies qu’ils sauvent ne sont pas comme les pauvres que sauvent les gens qui pensent acheter équitablement..?

    et quand on songe que par ailleurs…des gens parlent de surpopulation sans être mis à la question..

    la terrible réalité derrière la pauvreté dans le monde… tous ceux qui en souffrent ne sont pas des « victimes »…et ceux qui n’en souffrent pas ne sont necessairement pas leurs bourreaux..

    celui qui donne ‘à l’hospice ..ne fait pas un meilleur travail que celui qui met le pauvre au boulot…

    MUSK LUI A FAIT SAPART pour lutter contre la pauvreté il a créé de la richesse..!!!!
    l’ONU proposerait à musk son « expertise entrepreneuriale » pour stimuler l’economie des pays pauvres que ce serait autrement plus interessant..

    au fait éviter les guerres.c’est le « boulot » de qui?

  • la charité ne résout pas la pauvreté dans le monde…elle en allège le fardeau en la partageant..

    c’est créer de la richesse qui résout la pauvreté!!!! c’est ce que fait musk et tout ceux qui font des actions « profitables »…

    l’onu dit encore » le ruissèlement ne marche pas.. »

  • Oui plutôt que de critiquer avec malveillance.le geste généreux d elon Musk on ferait mieux de tirer la sonnette d alarme contre les Khmers vert écolo qui ne raisonne
    NT qu en terme de réglementation
    Contrôle décroissance et autres folie s

    • C’est un geste généreux, un doigt d’honneur aux ong internationales, vous voulez des sous, je vous en donne mais prouvez moi qu’il est utilisé pour la faim dans le monde.

  • Si tesla n’existait pas 1000 miliards auraient été investi ailleurs que dans de stupides autos electrique, peut être dans l’agriculture. Il est la cause, pas ‘le remède.

    • 1000 milliards ont été investis dans Tesla ?
      Ce serait bien quand vous venez discuter, qui plus est sur un site libéral, que vous connaissiez les mécanismes basiques de la bourse et de l’économie.

      • Pas la peine de monter sur vos grands chevaux, c’est spéculatif quand la bulle crevera..1 dollar. C’est bien sûr pas un investissement dans l’entreprise mais sur l’entreprise, un pari.

    • Le proverbe utilisé par l’auteur (trice ?) est pourtant très clair…
      Vous êtes pour le « Donne un poisson à un homme et il vivra un jour. » ou le « Apprends-lui à pêcher et il mangera toujours » ?

  • Curieusement 3 chinois auraient dit :
    « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson » Confucius.
    « Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera un jour, si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours » Lao Tseu.
    « Ne me donne pas de poisson, apprend moi plutôt à pêcher » Mao Tsé Tong.

    • Encore faudrait-il que les licences de pêche soient accordées sans contre-partie…

      • Pêcher dans une zone d’un pays étranger n’est pas une contre partie suffisante pour vous ?

        • Enseigner la pêche est un moyen subtil de rendre l’homme qui a faim dépendant de l’autorité qui accorde les licences, non ?

          • Si on parle bien du même sujet, France vs Angleterre, la règle est respectée, certes très borderline, et a été établie entre l’UE et le UK… Ce sont les pêcheurs français qui ne peuvent pas fournir les documents demandés qui râlent (à juste titre ou pas n’est pas le sujet). Donc s’ils doivent se retourner contre quelqu’un, c’est l’UE et non pas le UK…
            Après je vous accorde que le UK s’amuse de cette ambigüité, sorte de petite vengeance politicienne.

    • Mon pote belge dit:

       » Si tu donnes un poisson à un homme, il mangera une fois, si tu lui apprends à pêcher, il mangera toujours , une fois… »

  • Ça me fait toujours drôle d’entendre, depuis le début des années 90 (le GIEC a été créé en 1988) que le réchauffement climatique est une catastrophe absolue, alors que justement, la FAO a démontré, comme le rappelle Nathalie, que la malnutrition dans le monde a reculé très sensiblement depuis 1990 (de 23% à 13% entre 1990 et 2015) alors que pourtant la population mondiale augmentait sensiblement (de près de deux milliards entre 1990 et 2015). Qu’est-ce que ça aurait été si le réchauffement climatique était bénéfique !

  • Ce qui me perturbe le plus c’est que j’ai l’impression qu’on prend l’hypothèse que l’offre de nourriture est illimitée, ce qui n’est pas le cas

  • L’erreur est de ne demander que 6 milliards : quand on a un problème qu’on ne sait pas résoudre, il faut réclamer la moitié du PIB de chaque pays.

    On ne sait pas plus le résoudre, mais ça fait plus sérieux, ça montre qu’on fait quelque-chose et que le problème est grave vu la somme demandée.

    • Pour ce prix, je préfère avoir des cathédrales ou des pyramides pour apaisé le colère des dieux. Au moins, c’est beau !

  • Robert Barro avait pondu un billet de blog toujours bien d’actualité à ce sujet. Bon, c’était à propos de Bill Gates et de savoir s’il faisait plus de bien en donnant son argent (mais de façon contrôlée quand même, pas via l’ONU) par sa fondation, ou en « s’enrichissant sans pité via Microsoft »…
    A lire parce que la réponse est bien là !
    https://scholar.harvard.edu/barro/files/07_0619_bill_gates_wsj.pdf

  • Le bonhomme de l’ONU explique et demande 6 milliards pour « aider à résoudre la faim dans le monde » quand le budget de son service est de 8,5 milliards. Il en fait de ces 8,5 milliards s’il suffit de 6 milliards ?

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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