Hong Kong absorbé par la Chine. À quel prix ?

Un point de vue sur Hong Kong, probablement bientôt absorbé par la Chine qui fera le moins de vagues internationales possible.

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Hong Kong protests 2019 by Jonathan van Smith(CC BY-NC-ND 2.0)

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Hong Kong absorbé par la Chine. À quel prix ?

Publié le 1 juin 2020
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Par Yves Montenay.

La Chine vient d’adopter une loi permettant de réprimer à Hong Kong tout ce qui est plus ou moins lié au séparatisme, rédigée de manière suffisamment vague pour que cela s’applique à tout ce qui lui déplairait.

Théoriquement, c’est au Parlement de Hong Kong de légiférer. Une tentative a échoué du fait des manifestations, obligeant Pékin à violer au moins l’esprit du traité « un pays, deux systèmes » conclu avec la Grande-Bretagne en 1997.

Militairement, on ne peut rien faire pour Hong Kong, d’autant que les esprits sont ailleurs pour cause de virus et de récession. Il faudrait un grand massacre pour que l’opinion internationale s’émeuve, et que l’on fasse quelque chose. J’imagine au mieux un bateau suisse évacuant quelques fuyards avec l’accord tacite de Pékin, mais il n’est même pas certain que le régime chinois estime avoir intérêt à faire cela.

Donc, à mon avis, la Chine va essayer d’absorber Hong Kong, et probablement y réussir, en faisant le moins de vagues internationales possible. Mais elle paiera peut-être un prix élevé à moyen terme.

Je connais relativement bien Hong Kong pour y être allé plusieurs fois, mais il y a maintenant longtemps.

 

Le Hong Kong de jadis

Peut-être vers 1970, mon premier voyage à Hong Kong illustrait « le bon côté » de la colonisation : une liberté économique et individuelle (mais pas forcément politique) et une administration notamment judiciaire non corrompue, le tout dans une ambiance commerciale mondialisée, elle aussi de tradition britannique.

Le contraste avec la Chine de Mao en pleine famine était parlant. Résultat : un développement économique déjà impressionnant et qui n’a fait que prospérer depuis.

Pardon pour cette atteinte à la mode intellectuelle qui fait de la colonisation l’origine de tous les maux des pays pauvres. Dans nombre d’entre eux, et pas seulement dans les colonies britanniques, une justice indépendante et non corrompue est aujourd’hui inconcevable, et il y a là un important facteur du sous-développement qui ne provient vraiment pas de la colonisation…

Une anecdote m’a frappé : étant sur le port et repérant un bâtiment administratif, je demande où je peux trouver des statistiques de démographie et d’usage des langues. Je m’apprêtais à être renvoyé d’une administration à l’autre, mais pas du tout : « Monsieur, nous avons déjà une bonne documentation ici, voyez ».

Effectivement, et je remarque qu’une forte minorité de la population locale parle la langue de Shanghai, ce qui confirme les récits d’exode en 1949 de l’élite de cette ville, alors métropole économique, pour échapper aux communistes. Garder ou attirer les élites est une autre retombée positive de l’administration coloniale, qui contraste avec leurs fuites volontaires ou forcées depuis les indépendances un peu partout dans le monde.

Tout cela ne pouvait qu’agacer Pékin, mais l’état de délabrement de la Chine nécessitait cette porte ouverte vers le reste du monde, que Shanghai n’était pas encore en état de remplacer.

Depuis, Shanghai a progressé, et l’armée chinoise aussi.

 

Un scénario probable de l’absorption de Hong Kong

La géographie est très spéciale, avec un grand nombre d’îlots rocheux, et une foule y serait plus difficile à massacrer que sur la place Tiananmen. Par contre, les progrès de l’informatique militaire navale et aérienne devraient permettre d’isoler le territoire et de couper les flux humains entrants ou sortants en cas de troubles, ce qui n’était pas le cas il y a quelques décennies.

Et puis, traditionnellement, la Chine n’est pas pressée et prend son temps pour arriver à ses fins en faisant le moins de vagues possibles.

Si le régime chinois n’est pas trop prisonnier de son orgueil, il va donc commencer par ne rien faire. L’actualité fera oublier Hong Kong, tandis que les services chinois s’implanteront encore plus pour faire face aux protestations, et tenteront d’acheter quelques personnalités ou entreprises internationales, soit au sens propre, soit en leur offrant des compensations économiques dans le reste de la Chine.

La Chine espère que dans un deuxième temps la menace de la loi suffira à restreindre les protestations et que d’éventuels meneurs utiliseront leur énergie à quitter le pays avant qu’il ne soit trop tard. Londres vient de faire un pas important en élargissant les droits d’une minorité des citoyens de Hong Kong, nés à l’époque britannique, de s’installer en Grande-Bretagne.

L’action chinoise pourrait rappeler la « normalisation » tchécoslovaque, où l’Armée rouge n’a pas tiré face à la protestation générale du peuple, mais a petit à petit grignoté la résistance jusqu’à la reprise du contrôle politique et le départ de nombreux opposants.

L’alternative d’une répression brutale est néanmoins toujours possible, par exemple en cas de manifestations anti-chinoises, ou en espérant par exemple terroriser Taïwan.

Quel serait le prix économique et en réputation pour la Chine ?

 

Les conséquences à moyen terme

L’absence de liberté politique et donc économique à Hong Kong pèserait bien entendu sur son efficacité commerciale et financière. Cette efficacité serait également diminuée par la réaction américaine annoncée par Donald Trump de la fin des relations économiques privilégiées entre Hong Kong et les États-Unis. Et notamment la fin de la parité fixe entre le dollar de Hong Kong et celui des États-Unis.

L’exode des cerveaux pourrait également être dramatique. Outre environ deux millions de Hongkongais dont le passeport permet d’être accueilli en Grande-Bretagne ou au Canada, il y a des centaines de milliers d’Européens.

En principe, tout le monde y perdra. La Chine espère que les grands progrès de Shanghai lui permettront de faire face, mais pour l’instant la monnaie chinoise n’est pas (encore ?) une grande monnaie internationale.

Par ailleurs, la valeur des entreprises et de l’immobilier à Hong Kong va vraisemblablement fortement diminuer, au détriment de tous, et notamment de personnes haut placées dans le gouvernement de Pékin qui auraient obtenu des permis de construire très rémunérateurs depuis une vingtaine d’années. C’est probablement ce qui explique la patience chinoise face aux manifestations, du moins jusqu’à aujourd’hui.

L’image de la Chine serait de nouveau dégradée, accentuant l’évolution sensible depuis quelques semaines, malgré une contre offensive bien organisée sur les réseaux sociaux où fleurissent les accusations réelles ou fantasmées contre la Chine, ce qui déclenche immédiatement un petit texte laudateur.

Un point intéressant sera l’évolution de l’image de la Chine en Afrique. Le citoyen africain est en général démocratiquement frustré et aura donc une réaction négative… Encore faudrait-il qu’il soit au courant et ait une idée de ce qu’est Hong Kong. Par contre, beaucoup de gouvernants apprécieront une réaction musclée, et, à court terme, c’est leur avis qui compte. À moyen terme ?

 

Que feront les Occidentaux ?

Les Chinois et leurs voisins rêvent ou craignent un engagement des Occidentaux aux côtés des démocrates hongkongais. La population de Taïwan se sent directement concernée, le Vietnam et le Japon s’inquiètent discrètement. La diaspora chinoise, dont une partie vient de Hong Kong, notamment au Canada, fera ce qu’elle pourra, c’est-à-dire probablement du soutien individuel et du lobbying politique.

Les Occidentaux ne peuvent pas faire grand-chose, et je ne crois pas aux théories du complot selon lesquelles les États-Unis armeraient et financeraient les protestataires hongkongais.

C’est sur le plan de l’influence que se jouera une partie de la bataille, les Occidentaux partant avec le double handicap du désengagement américain et du respect de beaucoup d’États envers une puissance montante. En sens inverse, peuvent jouer la variation rapide des idées de Trump et l’inconnue de l’élection américaine. On ne pourra pas reprocher à l’Europe d’être absente, puisqu’elle n’existe pas.

À long terme, les faiblesses de la Chine et la force des idées peuvent tout bouleverser. Les évolutions sont plus rapides aujourd’hui que pour les idées de la révolution française qui ont mis plus de 50 ans à gagner certains pays européens, ou que la chute du communisme soviétique qui a mis plus de 40 ans à tomber après sa renaissance en 1945 sous le masque de l’antifascisme.

 

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  • Peut-être un peu utopique, mais une proposition pour les hongkongais :
    Bâtissons Hong Kong 2.0 au Royaume-Uni
    https://www.libland.be/Europe/lets-build-hong-kong-2-0-here-in-the-uk

    Avec un peu de bonne volonté politique, ça serait faisable.
    Et ça éviterait peut-être à un paquet de hongkongais de faire connaissance avec les prisons chinoises.

    • Hong Kong devrait rester libre et s’administrer elle-même jusqu’en 2047 d’après les traités internationaux, que cherche la Chine, la bagarre ?

      • l’arrivée de Xi jinping a réorienté la Chine à fond dans le communisme… lequel est difficilement compatible avec le droit, et ne reconnaît que la force.

    • C’est pas le même climat … Surtout, ce n’est pas la même position géographique. HK est un port de commerce. Enfin, ce n’est pas la même « sécurité » : pas d’attaques à l’acide ou au couteau à HK.

      Les élites de HK partiront à Singapour ou à Taïwan. Les chinois sont en train de flinguer la manne financière que représente HK. Sans sa liberté, HK ne vaut strictement rien. Les capitaux étrangers (qui investissent à HK plutôt qu’à Shanghai ne le font pas par hasard) fuiront et les bakchichs pour la nomenklatura s’affineront d’autant.

      Les élites chinoises doivent le comprendre et le savoir. Manifestement, la Chine doit avoir de gros problèmes internes pour devoir sacrifier HK au nom de la paix intérieure.

  • patiente , sournoise, brutale , il y a de fortes chances que la chine arrive à ses fins;

  • Hong Kong fut la porte de la Chine vers le commerce mondial. Dès le XIXe siècle, mais plus encore lorsque le bastion maoïste refermé sur lui-même avait besoin de cette porte dérobée.
    Ce n’est plus le cas, puisque le Chine refermée sur elle-même est en même temps ouverte économiquement sur le reste du monde.
    Hong Kong est d’autant moins nécessaire à la Chine que cette enclave bruyante fournit un “mauvais exemple” aux populations chinoises obéissantes par nécessité.
    Alors, exit Hong Kong. C’est logique, même si, je suis en plein accord avec vous, « Hong Kong illustrait « le bon côté » de la colonisation… » : un espace où on vivait intensément. Mais c’est fini. Comme la colonisation.

  • Article intéressant !

  • En tant qu’ancien résident à à Hong Kong, je trouve que cet article ne manque pas de bon sens. En effet, l’Europe est absente, et la Realpolitik fera le reste, c’est à dire qu’à part quelques protestations plus ou moins indignées (comme pour le Tibet ou les Ouïghours), rien n’empêchera la Chine de digérer lentement Hong Kong, en utilisant le principe du « Sharp Power » qu’elle a organisé à partir des années 2003/2005: infiltrer profondément chaque rouage de la société à travers son organisation juridique, politique,économique, d’éducation, de religion, de services civiques et sociaux. Ceci est réalisé en utilisant l’état de droit laissé par les Britanniques pour détourner les lois au profit de Pékin. C’est pourquoi il était essentiel pour la Chine, malgré sa promesse faite dans un traité international, de ne pas permettre le suffrage universel au peuple de Hong Kong. Aujourd’hui encore, Shanghai ne peut remplacer Hong Kong en tant que place financière, et ce n’est pas seulement une question de monnaie, mais justement d’état de droit. L’Establishment des riches Hongkongais est déjà « acheté » depuis la fin des années 80, et la bienveillance des Tycoons en est l’un des signes. C’est pourquoi Pékin va prendre son temps, de préférence sans violence autre que juridique, en agissant par étouffement. La fin du principe Un Pays Deux Systèmes a maintenant commencé de façon visible.

    • A part, flatter l’orgueil du parti communiste, quel est l’intérêt de cette mainmise de la Chine ?
      Alors que la crise du COVID a mis en lumière ses dysfonctionnements et le besoin pour le reste du monde d’en prendre conscience, la Chine continue de scier la branche sur laquelle elle a construit sa « prospérité » actuelle.

  • Il ne faudrait quand même pas oublier que le territoire d’Hong Kong a été arraché à la Chine par cette guerre honteuse dite de l’Opium .
    Je crois que l’Occident devrait éviter de donner des leçons à ce pays qui est en train de retrouver la place dominante qui lui revient naturellement et qu’il avait au début du XIX èmes avant ces guerres coloniales.

    • Du coup, on peut faire un référendum à HK avec ces choix :
      – indépendance,
      – rattachement à Taiwan,
      – rattachement à la Chine.

      Quelque chose me dit que vous ne serez pas favorable à une telle liberté …

      • C’est curieux on demande un referendum sur un territoire pris par une puissance étrangère au cours d’un guerre d’agression, alors que ce territoire fait partie du pays depuis toujours, c’est à dire des millénaires. Pourquoi pas Macao ou la Mandchourie ?

        • Je penses surtout que les Hongkongais souhaites leur indépendance du parti communiste chinois.

        • Contrairement à vous, je n’ai pas de philosophie à géométrie variable.

          Je crois en la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Le même droit de référendum que j’accorderais aux hongkongais, je l’accorderais aux corses, aux bretons et aux parisiens. 🙂

    • La chine rattrape juste un retard par la voie technologique et restera en dessous de son potentiel à cause du communisme. Certes la dynamique fait que la Chine puisse dépasser certains pays occidentaux mais une telle analyse est à prendre avec des pincettes. Quand est-ce que les chinois rejetteront le communisme? Comment?
      Le communisme chinois n’a qu’un seul avenir, le même que le communisme soviétique (espérons en limitant les victimes)

      • Le communisme chinois n’a rien à voir avec le communisme soviétique. En Chine il y a une énorme économie privée, d’où le dynamisme de ce pays qui rejoint les Etats Unis

        • Avec disparitions (inexpliquées) des milliardaires chinois !

        • je ne suis pas sûr que cette économie privée perdure dans sa performance…

        • Une « économie privée » qui n’a pour seul objectif que de permettre à des princes rouges de toucher de juteux pot-de-vins. Rien ne se peut se faire, en Chine, sans l’appui des officiels du PCC local. Appuis qu’ils ne donnent, bien évidemment, que contre monnaie sonnante et trébuchante.

          Ce système a une limite et on y arrive.

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