La Turquie a poussé les rebelles syriens à s’allier dangereusement au régime d’Assad

Les forces du régime d’Assad se déploient actuellement dans des zones susceptibles d’être prises pour cible par la Turquie.

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La Turquie a poussé les rebelles syriens à s’allier dangereusement au régime d’Assad

Publié le 19 octobre 2019
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Par Haid Haid.

Abandonnées par leurs alliés américains, les Forces Démocratiques Syriennes (ou FDS) dirigées par les Kurdes n’ont plus qu’une option : faire un pacte avec le diable. En effet, l’incursion de la Turquie dans le nord de la Syrie a réussi là où toutes les tentatives précédentes avaient échoué : elle a créé les conditions permettant aux deux principaux ennemis de la guerre civile syrienne (les Forces démocratiques syriennes et le régime d’Assad) de se concerter.

Plus ironique encore, cette rencontre fait suite à la demande d’aide des FDS auprès de la Russie, le plus puissant allié international actuel de la Turquie en Syrie. Le fait que cette coalition compte aujourd’hui sur les soutiens de Bachar Al Assad pour sa protection est à la mesure de sa détresse.

Les Russes ont indiqué que la seule possibilité qui s’offrait aux FDS était de conclure un accord avec le régime syrien, ce qui a été accepté à la condition que celui-ci soit négocié et garanti par Moscou. Après des négociations séparées, les deux parties se sont réunies à Hmeimimim, une base aérienne russe en Syrie, pour signer un premier pacte. Les détails rendus publics étant rares ont permis aux forces en présence d’échanger librement à ce sujet. Néanmoins, il est clair et admis par tous que les forces du régime d’Assad se déploient actuellement dans des zones susceptibles d’être prises pour cible par la Turquie.

Des sources sur le terrain confirment ainsi que certaines d’entre elles ont été déplacées vers certaines parties de Raqqa, Ein Issa, Manbij ainsi que dans d’autres villes frontalières comme Kobani. Il semblerait par ailleurs que le régime syrien et les FDS devraient travailler main dans la main pour repousser les forces turques hors des zones anciennement contrôlées par les FDS, que ce soit dans le nord-est de la Syrie ou à Afrine, dans la partie nord-ouest du pays.

Un avenir incertain

L’avenir des FDS et des structures administratives associées est toutefois beaucoup moins certain, chaque camp en présence annonçant une issue différente de la situation. De leur côté, les FDS insistent sur le fait qu’elles resteront en charge de la gouvernance et de la sécurité intérieure des domaines sous son contrôle. Seule concession : lever le drapeau syrien plutôt que la bannière syrienne « indépendante ». De son côté, le régime syrien affirme que les institutions de l’État seront progressivement rétablies dans les bastions des FDS au nord-est du pays.

Selon des sources proches du régime d’Assad, une mesure envisagée serait d’abolir la structure indépendante des FDS et d’incorporer ses combattants dans le Cinquième Corps d’Armée, une force militaire composée de volontaires faisant officiellement partie de l’armée syrienne mais en réalité formée à la demande de la Russie et placée principalement, actuellement, sous son commandement.

Les informations contradictoires rapportées au sujet des premières négociations et de ce qu’il adviendra des FDS (une question pour le moins cruciale) indiquent que les deux parties sont loin d’aboutir à un réel accord. Et même à supposer qu’il soit conclu, rien ne dit qu’il ne pourrait pas être rompu tôt ou tard.

Écraser les combattants kurdes

Plus important encore, le déploiement de forces du régime syrien ne parviendra probablement pas à mettre fin à l’assaut turc dans la région frontalière. Officiellement, l’opération « Source de Paix » lancée par l’armée turque vise en effet à établir une « zone tampon de sécurité » de 30 kilomètres le long d’une partie du territoire syrien jouxtant la Turquie.

Or, il s’agit en réalité d’écraser les combattants kurdes qui seraient, selon Ankara, liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (ou PKK), une épine dans le pied de la Turquie depuis plus de 30 ans. L’offensive lancée par les forces turques le 9 octobre avec le soutien de groupes rebelles syriens alliés a donc ciblé des zones sous contrôle kurde depuis sept ans, la Turquie ne souhaitant en effet pas gâcher une telle opportunité de chasser définitivement les Kurdes installés à sa frontière.

Ainsi, malgré l’annonce d’un accord entre les FDS et les forces du régime syrien, la Turquie serait toujours en train de négocier le sort des villes de Manbij et de Kobani. Lundi, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a déclaré qu’il avait eu des discussions constructives avec la Russie sur l’avenir de ces villes et qu’à leur suite, la Turquie en était au stade où elle « pourrait appliquer ses décisions ». Peu après, l’Armée Nationale Syrienne (en réalité un rassemblement de groupes rebelles soutenus par la Turquie) annonçait le début d’une offensive pour prendre Manbij et ce malgré la présence du régime syrien dans la ville.

S’il n’est pas encore certain qu’Ankara enverra des troupes en soutien aux forces de l’Armée Nationale Syrienne, des sources locales situées à Manbij et Al Bab ont néanmoins confirmé que l’artillerie turque bombardait actuellement et activement des cibles de la région. Et bien qu’étant à un stade encore préliminaire, cette attaque laisse cependant supposer que la présence de forces du régime syrien dans cette zone n’aura aucun effet dissuasif sur les intentions et agissements d’Ankara.

Une supposition qui serait renforcée d’autant si l’accord avec la Russie mentionnée implicitement par le président Erdogan devait être effectivement conclu. Cela est principalement dû au fait que la Turquie ne fait pas confiance au régime syrien pour éliminer la menace kurde le long de sa frontière. De plus, la relance d’une alliance vieille de 20 ans forgée entre Hafez, le père de Bachir Al Assad, et le PKK, permettant ainsi à ce dernier de lancer des opérations depuis la Syrie contre la Turquie, inquiète beaucoup Ankara.

Quelles que soient les forces ou faiblesses de son armée, Al Assad a déclaré avoir l’intention de reprendre et de rétablir son autorité de manière totale et incontestée sur « chaque centimètre » de la Syrie. Un long passé à renier ses promesses, attesté par des dizaines de cessez-le-feu acceptés puis violés par son régime, n’inspire par ailleurs guère confiance sur ses intentions.

Ainsi, l’hypothèse la mieux partagée, notamment par les responsables des FDS, est que même si Al Assad protégeait les Kurdes de l’attaque turque, il finirait par se retourner contre eux. Il est donc probable que la récente alliance entre les FDS et le régime syrien aboutisse à un nouveau conflit entre les deux partis.

 

Haid Haid est chercheur au Centre international pour l’Étude de la Radicalisation du King’s College de Londres. Il est également consultant, chargé de recherche pour le Royal Institute of International Affairs dans le cadre de son programme sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

 

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  • Le total des victimes des conflits inter-musulmans s’élève à 11 millions depuis 1948.
    Ils ont des régimes autoritaire et violents parce que leurs pays sont profondément morcelés entre différents courants religieux et tribaux qui luttent pour le pouvoir dès qu’ils ont un certain poids.
    Affaiblir un gouvernement, tout dictatorial qu’il soit, fini systématiquement en conflit bien pire pour les populations que le régime lui-même.

    Obama et tout ceux qui pratiquent le deux poids deux mesures suivant les régimes (comment va le Yemen?) ont eu une terrible responsabilité dans cette guerre sanglante et les groupes qu’ils ont armés, y compris celui-ci, n’ont de « démocratique » que le nom sans même parler d’un quelconque attachement aux droits et aux libertés des autres.

    Il est urgent de ne surtout *plus rien faire là-bas* parce que depuis 30 ans, les armes payées par les contribuables occidentaux n’ont semé qu’anarchie, mort et destruction.

    • C’est effectivement tentant de ne *plus rien faire là-bas* mais la réalité est plus compliquée que cela.
      L’auteur n’en parle pas, mais ces pays sont souvent des pays exportateurs de pétrole, pétrole importé par… nous. Donc que nous le voulions ou non, nous dépendons de la stabilité de ces pays ; par ailleurs, nous avons souvent des intérêts là-bas (entreprises en lien avec le pétrole, donc des ressortissants occidentaux et parfois leurs familles).
      Sans parler des minorités non musulmanes, que les musulmans n’ont aucun scrupule à écraser.
      Les laisser s’entre-tuer pourquoi pas, mais d’autres qu’eux peuvent en être affectés, c’est ça le problème et c’est ce qui explique en bonne partie les interventions occidentales.

      • Objections pertinentes, je réponds point par point :
        -Ils ont beaucoup plus besoin de vendre leur pétrole pour pouvoir s’armer que nous de l’acheter. Les pires pays ne sont pas les plus gros exportateurs, même ISIS ou Daesh avaient des routes de contrebande bien protégées pour nous vendre leur pétrole de manière indirecte.
        -C’est quand nous mettons bas un gouvernement ou armons les plus faibles que l’anarchie et les dangers pour les entreprises (et les populations) arrivent, pas quand nous laissons faire.
        -Ils n’ont jamais eu aucun problème pour se débarrasser de leurs minorités, quelques milliers d’Européens et 20 avions ne peuvent rien, il y a mille manières de menacer, torturer, déporter.
        Bref:
        Nos politiques n’y comprennent rien et ont le plus souvent un calendrier électoral ou médiatique à remplir plutôt qu’un souci humanitaire. Le bilan de 30 ans d’interventions est totalement désastreux, il faudrait un Nuremberg pour nos dirigeants et le fait que les musulmans soient en pleine période féodale n’excuse pas qu’on ajoute à leurs malheurs avec notre argent et sans notre assentiment.

      • En l’occurence en Syrie, les minorités étaient protégées.

  • Ne pas avoir d’accord avec Damas, c’est l’assurance d’être en guerre perpétuelle avec la Turquie qui ne veut pas de présence Kurde. Et qui est le plus fort en ce moment? La Turquie va écraser les Kurdes s’ils restent isolés.

  • Les Kurdes ont combattu Daesch , et de fait, au coté de Assad.
    Cet article raconte une histoire …, pas l’Histoire. Les actions et les propos d’Erdogan sont claires. Il a deux objectifs, exterminer un maximum de Kurdes, (Petit préalable pour se donner de l’air), et devenir Calif a la tète d’un monde Nazislamiste qu’il souhaite le plus étendu possible, un nouveau Daech sous contrôle Turque.
    L’intérêt bien compris des kurdes et de s’allier a Assad et aux russe pour sauver leur peau, et trouver un terrain d’entent pour une relative autonomie. Les Kurdes n’ont aucun soutient de la France , de Trump etc …

  • entre les deux parties.

  • Tout ca parait ineluctable ,toute autre solution ne peut pas marcher. J’espere que personne n’est dupe du retrait americain et des retournements de vestes americaines avec la turquie. La syrie n’ayant pas pu etre aneanti ..ni l’ukraine et la tunisie d’ailleurs , l’iran est toujours vivante , la russie imperturbable ,on essaie d’oublier tout ca et on prepare la suite , a qui le tour , l’ex yougoslavie, la pologne semble mure a point !

  • Il est bien possible que tout cela ait èté parfaitement organisé et sous contrôle américain et russe
    https://www.voltairenet.org/article207885.html

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