Murakami : « Le meurtre du Commandeur » (Livre 2) La Métaphore se déplace

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Murakami : « Le meurtre du Commandeur » (Livre 2) La Métaphore se déplace

Publié le 24 août 2019
- A +

Par Thierry Godefridi.

« J’aime les choses que je vois. Et autant celles que je ne vois pas », déclare Marié, la jeune fille âgée de 13 ans qui lui sert de modèle, au peintre, narrateur anonyme du dernier roman de Haruki Murakami, Le Meurtre du Commandeur, dont le livre 1 fit, ici, l’objet d’une recension lors de sa parution chez Belfond.Le livre 2 en poursuit le conte autour de ce tableau caché et intriguant, inspiré de l’opéra de Mozart, Don Giovanni, tableau que le narrateur a découvert dans le grenier de la maison qu’il occupe d’un grand peintre japonais, mélomane, désormais très âgé et alité dans un état comateux dans un centre de soins.

« Qu’est-ce qu’il faut faire pour être aussi bon que vous ? », demande Marié, passionnée elle aussi par le dessin, au peintre. « Des exercices, lui répond-il. À force de s’entraîner, on devient meilleur. » L’art n’est toutefois pas un geste unilatéral, Haruki Murakami y insiste, il participe d’un échange au départ d’une Idée qui échappe à la linéarité du temps et à la répétition de l’habitude et habite un monde complexe dans lequel « le temps avance librement dans les deux sens ».

L’art doit contribuer à mieux comprendre et à mieux se comprendre. « Il faut aller chercher ailleurs, quelque part, quelque chose d’autre en plus. » Pour le jeune peintre auquel on a commandé le portrait de Marié, il ne s’agit pas de peindre la jeune fille dans une suite logique, mais de façon plastique, dans toute l’étendue de sa personnalité naissante, « faite d’ombre et de lumière ».

Dans ce second livre du dernier roman de Haruki Murakami, l’on quitte le domaine de l’Idée et l’on entre dans celui de la Métaphore, la figure de style qui consiste à donner à une expression un sens que l’on attribue généralement à une autre. Que ce fût en ce qui concerne Le Meurtre du Commandeur de Tomohiko Amada ou les tableaux que sa découverte dans son grenier inspire à son jeune émule, il ne s’agit donc pas simplement de croquer un sujet, mais de révéler le récit mis en scène par la peinture.

Le Meurtre du Commandeur, le tableau dont les personnages s’incarnent au fil du conte, n’a été vu que par le jeune peintre, son jeune modèle et, bien sûr, l’auteur de l’œuvre, l’une de ses meilleures sinon la meilleure, Tomohiko Amada, lequel choisit toutefois de la cacher soigneusement dans son grenier. « Cette peinture nous appelle, dit Marié. Comme un oiseau qui veut sortir de sa petite cage pour s’envoler vers le monde du dehors ». S’évader de sa prison et aspirer à la liberté et à l’espace.

La force de la peinture – et sans doute de toutes choses dans la vie – provient de la volonté qui s’en dégage. Le fils de Tomohiko Amada et ami du narrateur met ce dernier en garde contre le souffle vital de son père qui imprègne son atelier, un atelier que le vieux peintre mourant vient visiter une dernière fois en esprit mais dont la présence se matérialise aux yeux du nouvel occupant des lieux sous l’effet d’un quelconque artifice, s’asseyant sur son ancien tabouret de peintre pour contempler son chef d’œuvre secret, Le Meurtre du Commandeur, un tableau lié à deux tragédies personnelles vécues par le vieux peintre dans sa jeunesse.

À la suite de cette visite improbable du vieux peintre dans son ancien atelier, le narrateur convainc le fils de Tomohiko Amada de lui permettre de rencontrer son père dans l’établissement de soins où il est hébergé. Cette entrevue déclenche le dénouement du conte, dans un jeu de réalités transposées propres à l’univers (l’on pense ici, notamment, à 1Q84) de Haruki Murakami, dont les principaux thèmes (musicaux, entre autres) de l’œuvre (et les obsessions) sont revisités de manière épurée au service de l’Idée (dans le premier livre) et de la Métaphore (dans le second).

En accord avec son modèle, le jeune peintre n’achèvera finalement pas le portrait de la petite Marié, lui laissant le loisir de déployer les traits de sa propre personnalité dans son adolescence et par-delà, avec toute l’énergie nécessaire à ce qu’une chose naisse et poursuive son existence. N’est-ce pas là « le principe général de l’Univers » et la Métaphore suprême de l’Idée même de la vie, « une errance dans un dédale profond », « comme une forme de grâce » ?

Le Meurtre du Commandeur (Livre 2) : La Métaphore se déplace, Haruki Murakami, 472 pages (Belfond).

Retrouvez la recension du livre 1 du Meurtre du Commandeur : Une Idée apparaît en suivant ce lien.

Sur le web

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Dans la nuit du mercredi 6 au jeudi 7 septembre, à 01 h 42 du matin (08 h 42 au Japon), une fusée H-IIA (H-2A) a quitté la Terre, du centre spatial de Kanegashima[1. petite île, la plus méridionale de l’archipel Nippon, à la latitude 30°23 N. Partir de là permet au Japon d’être au plus près de l’équateur tout en restant sur son territoire national, afin de bénéficier au maximum de l’effet de fronde de la Terre.], emportant à son bord deux missions spatiales.

La première, SLIM (Smart Lander for Investigating Moon), a pour objet l’atterr... Poursuivre la lecture

0
Sauvegarder cet article

Abarenbō Shōgun, la chronique de Yoshimune, est une série japonaise à succès déjà ancienne. Elle a débuté en 1978, et met en scène un des plus populaires monarques de la dynastie Tokugawa. On le sait, du XVIIe au milieu du XIXe siècle, cette famille mit fin aux guerres civiles et établit un pouvoir fort à Edo, l'actuelle Tokyo.

L'empereur subsistait à Kyoto, mais était réduit à un rôle purement symbolique. De nombreux films et séries se déroulent à l'époque shogunale, mais très souvent le pouvoir des Tokugawa est présenté, sinon négati... Poursuivre la lecture

Par Marianne Péron-Doise.

L’organisation du G7 à Hiroshima en mai prochain a vu le Premier ministre japonais Fumio Kishida multiplier les initiatives diplomatiques depuis le début de l’année 2023 : tournée en Europe et aux États-Unis, sommet historique avec la Corée du Sud, visite à Kiev… Ces déplacements – où les questions de sécurité, et avant tout la guerre en Ukraine et le dossier de Taïwan tiennent une part significative – accompagnent une mutation notable de la posture stratégique globale de l’archipel.

En décembre 2022, l... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles