Par Narcisse Oredje.
Un article de Libre Afrique
Via un memorandum signé à N’Djamena dimanche 20 janvier 2019 entre le Premier ministre israélien et le ministre tchadien des Affaires étrangères, le Tchad et l’Israël rétablissent leurs relations après plus de 46 ans de rupture. La visite du Président Déby en Israël en novembre 2018 a déjà soulevé de nombreuses interrogations quant aux raisons qui pourraient justifier ce rapprochement. L’arrivée de Netanyahou à N’Djamena ne fait que raviver la flamme avec la signature de ce memorandum. Au-delà des raisons officielles, que pourrait cacher le rétablissement de ces relations ?
Les relations israélo-tchadiennes ont toujours existé
Déjà en 1963, le régime de Tombalbaye sollicitait la coopération militaire avec Israël pour répondre aux révoltes armées et autres soulèvements au centre et au nord du Tchad. La fourniture en matériels de guerre et de sécurité et la formation des troupes, étaient au cœur de cette coopération que le Tchad a rompu en 1972 sous la pression du monde arabe, en soutien à la cause palestinienne. Malgré cette rupture, dans l’ombre, N’Djamena fait toujours appel à l’industrie israélienne d’armement. Les RAM 4X4 équipés de mitrailleuses ou de missiles antichar de l’armée tchadienne sont de fabrication israélienne et témoignent de ces relations.
Que recherche le régime Déby ?
Les raisons officielles de ce rapprochement sont la coopération sécuritaire et agricole. Même si cette dernière justification semble plausible en vertu de la forte expérience de l’État hébreu dans le développement de la technologie agricole en zone désertique, voir le président Déby braver toutes ces controverses pour aller parler du développement de l’agriculture dans le désert est moins crédible pour ceux qui connaissent l’homme. La vérité est ailleurs !
En effet, d’une part, le régime de Déby fait face à plusieurs menaces armées allant des groupes terroristes le long des frontières avec la Libye, le Niger et le Nigéria, fief de Boko Haram, et d’autre part, les rebellions internes qui lorgnent le pouvoir. À cela, s’ajoutent les milices d’orpailleurs qui tiennent tête à l’État sur la question de l’exploitation traditionnelle des sites aurifères dans la région du Tibesti.
L’autre problème majeur est la Centrafrique que Déby n’arrive plus à contrôler. Avec le déploiement des forces tchadiennes tout au long de la frontière centrafricaine en vue de perturber le régime centrafricain, toujours sur demande et avec l’appui de la France, les manœuvres militaires ont échoué puisque les contingents tchadiens sont confrontés à la présence des forces russes qui encadrent désormais les forces armées centrafricaines. C’est d’ailleurs dans ce cadre que s’inscrivait la visite de Macron au Tchad.
Alors face à tous ces groupuscules armés qui gênent son autorité et craignant les potentielles représailles de la Russie à propos de la Centrafrique, Déby se doit de trouver un allié. Israël est un choix justifié en raison de sa grande expérience dans la lutte contre le terrorisme et disposant de matériels militaires de qualité adaptés aux combats en zone désertique. Les services de renseignements israéliens très expérimentés et dotés de meilleures technologies sont déjà annoncés à N’Djamena, avec pour objectif la formation des agents de renseignement tchadiens et la dotation des services en moyens de renseignements sophistiqués. Les groupes armés actifs au nord du Tchad utilisent des messages vocaux via WhatsApp. Un outil de communication que les services de renseignements tchadiens n’arrivent pas à décrypter jusqu’à aujourd’hui. L’arrivée des services de renseignement israéliens devrait permettre à leurs homologues tchadiens d’acquérir les compétences nécessaires à l’interception de ces communication afin d’anticiper certaines actions. Des manœuvres qui présagent un avenir sombre pour la liberté d’expression.
Pour Déby, ce rapprochement permet aussi de redorer son blason auprès des Américains avec lesquels les relations sont ternies par l’affaire du Travel Ban justifiée, entre autres, par la faiblesse et l’incompétence des services de renseignements tchadiens. Face à une Russie prête à tout pour préserver ses intérêts économiques et stratégiques en RCA, le choix de Déby de s’allier à l’Israël est vraisemblablement gagnant puisqu’il ouvre la porte à la protection américaine même si la politique extérieure de Trump est plus qu’aléatoire.
Quels gains pour Netanyahou ?
Pour Israël, le Tchad présente deux intérêts importants : diplomatique et économique. Sur le plan diplomatique, Israël s’active depuis quelques années pour reconquérir l’Afrique, eldorado promis, malgré les relations compliquées avec certains pays africains. Le rétablissement des relations est donc beaucoup plus une volonté manifeste de Netanyahou qui part de la situation sécuritaire précaire au Tchad pour proposer une offre de coopération à Déby. Pour y arriver, il suffit de brandir juste l’étendard de la lutte contre le terrorisme. La lutte contre le terrorisme étant l’objectif commun des deux États. Après plus de 40 ans, Israël revient donc en Afrique par la grande porte et c’est une victoire pour le gouvernement de Netanyahou qui marque un point important vis-à-vis de ses détracteurs. Avec cette approche antiterroriste, l’Israël pourra rapidement toucher d’autres États, ceux du G5 Sahel en premier.
Sur le plan économique, jouer la carte de l’agriculture dans le désert revient à céder le désert tchadien aux investisseurs israéliens. Mais le désert tchadien n’est pas qu’une masse de sable, il regorge d’énormes réserves minières telles que l’or, le diamant et l’uranium qui pourraient intéresser l’État hébreu. Déjà, certaines sources signalent que les sites d’or, objets des rivalités entre plusieurs forces armées, ont été promis aux investisseurs israéliens qui s’installeront dans cette partie du pays et permettront en même temps au régime Déby d’avoir un œil sur toutes les activités rebelles et terroristes dans la région.
Bref, le rétablissement de l’axe tchado-israélien permet à l’État hébreu de redorer le visage de sa diplomatie entachée par le conflit avec la Palestine. Du côté tchadien, cette reprise des relations bien qu’importante, a l’allure d’un soutien apporté au régime de Déby qui trouve ici les moyens pour accroître sa mainmise sur le pouvoir et étouffer tous les mouvements contestataires. Tout ceci au détriment d’un peuple tchadien qui espère un vrai partenariat, gage d’une sortie du joug de la pauvreté.
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Vous faites semblant de croire que seuls les investisseurs israéliens profiteront de la meilleure gestion des terres et de l’eau dans cette région désertique. Ne pensez-vous pas que le peuple tchadien a tout à gagner de ces technologies dans lesquelles Israël est passé maître ?
D’autre part, si le terrorisme islamique vous semble un problème négligeable, je me demande bien ce qui est important à vos yeux.
Les temps changent mais n’évoluent pas beaucoup…
Encore le cliché de l’étranger , israélien en l’occurrence qui vient “piller”…
Et en plus le méchant israélien a besoin de “redorer le visage de sa diplomatie”. ben voyons !
Qui dit diplomatie, dit ambassade, souhaitons que le Tchad choisisse Jérusalem pour y installer son ambassade, afin d’éviter un déménagement inutile dans le futur. 🙂
@ Dror45-G
Oui, bon! Une ancienne colonie française dans laquelle elle n’a plus aucune influence! Tant pis pour les Français, tant mieux pour les Isrraéliens8
Je pense que l’on devrait porter son regard vers les pays qui font une razzia , sur les terres arables d’Afrique depuis des décennies dans le silence complet de la bonne presse. La Chine, l’Arabie saoudite, le Qatar, le Koweït sont les fers de lance de ce mouvement, d’autres pays comme le Qatar, l’Egypte etc . y viennent faire leur marché.
Plus de 30 millions d’hectares sont désormais contrôlés et cultivés par des intérêts étrangers.
” Le mouvement s’accélère rapidement car tous les pays semblent réaliser subitement qu’à l’avenir les marchés internationaux seront moins fiables et moins stables. Ils cherchent à se prémunir soit en achetant des terres à l’étranger , soit en encourageant leurs investisseurs à le faire ” explique Olivier de Schutter ancien dOxfam.
Jacques Douif , l’ancien directeur général de l’Organisation des Nations unis pour l’alimentation et l’agriculture ( FAO) voit dans ce phénomène un” pacte néocolonial”. Israël , bien au contraire , peut aider ces pays , à s’e sortir par eux-mêmes , grâce à son expérience des terres arides .