Une nouvelle biographie d’Edgar Allan Poe

Une biographie scrupuleuse d’Edgar Poe par Peter Ackroyd.

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Une nouvelle biographie d’Edgar Allan Poe

Publié le 28 décembre 2018
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Par Thierry Guinhut.

Biographe aux modèles nombreux, Peter Ackroyd à portraituré avec scrupule et empathie quelques-uns des ténors de la littérature anglaise : Chaucer, Shakespeare1, ou Dickens. Son américaine incursion voue une réelle admiration à l’auteur du Masque de la mort rouge.

Son Edgar Allan Poe, sous-titré « une vie coupée court », devient un personnage hautement contrasté, dont la mort, à l’automne 1849, d’ivrognerie et de delirium tremens, à moins que cela s’adosse à la tuberculose, à une tumeur cérébrale, est le sombre portail mystérieux, « à l’image de ses nouvelles ».

Le biographe rembobine alors le fil des Parques pour nous faire découvrir l’orphelin, né en 1809, d’un père alcoolique et d’une mère actrice, dont la mort tuberculeuse se grava profondément dans l’esprit de l’enfant, qui fut adopté par la famille Allan. Choyé, il montra son intelligence, et découvrit cet océan qui l’inspira tant, lors d’une traversée vers l’Angleterre.

Jeune et déjà poète, talentueux et farouche, il aima Jane, la mère d’un camarade, qui mourut bientôt : « Dans son imagination, mort et beauté était inextricablement et perpétuellement liées ». Il aimait également les langues anciennes et modernes, et l’alcool, hélas… Son impécuniosité le contraignit à s’engager dans l’armée, où il devint un sergent-major « exemplaire ».

Ce qui ne l’empêcha pas de publier en 1827, son premier recueil, Tamerlan et autres poèmes, passé inaperçu, mais augmenté deux ans plus tard, quoique sa poésie ne fut « jamais reconnue de son vivant » : elle s’attache à des sensations indéfinies, pour lesquelles la musique est essentielle », anticipant ainsi « L’Art pour l’art ».

Après avoir intégré l’école d’officiers de West Point, pour s’en faire exclure, il rejoignit New-York, puis Baltimore. Le journalisme le sauva de la pire pauvreté, le Saturday Courrier publiant ses premières nouvelles, « exercices savamment ironiques, destinés à donner la chair de poule aux esprits faibles », qu’il plaçait loin au-dessous de sa poésie, quoique Le manuscrit trouvé dans une bouteille obtint un prix de cinquante dollars. Il put alors décliner son humour macabre, portant « le loufoque au sommet du grotesque », selon ses propres mots.

Secrètement, il épousa les treize ans de sa cousine Virginia, devint rédacteur du Messenger, cessa de boire, se fit acerbe critique littéraire et conçut ses plus étranges contes, dont la concision ciselée fait merveille. Hélas encore, le démon de l’alcool le chassa de son poste, quoiqu’il entamât la rédaction de son roman, Les Aventures d’Arthur Gordon Pym.

De nouveau rédacteur, au Gentleman’s magazine, il publia enfin les Contes du grotesque et de l’arabesque, soit vingt-cinq nouvelles, dont la sanglante et ténébreuse Chute de la maison Usher, qui voit Lady Madeline, prématurément enterrée, jaillir, émaciée, dans son linceul. La passion nécrophile n’est pas loin. Il ne fut payé que d’une reconnaissance grandissante, alors que le Graham’sMagazine, où il dévoila le Double assassinat dans la rue Morgue, lui permit de trouver une certaine aisance.

Notre précurseur de Conan Doyle « fait figure de Newton du crime », selon Peter Ackroyd ! Quant à Eleanora, elle se fait prémonitoire, puisqu’un certain Pyros y voit mourir sa jeune épouse de phtisie, ce qui sera bientôt le sort de Virginia… Les contes funèbres sont alors pléthores, du Masque de la mort rouge à Lenore. Il s’enivre encore, perd son emploi, reçoit un prix de cent dollars pour Le Scarabée d’or, se voit en 1843 caricaturé dans le roman de Thomas Dunn English : Le Destin de l’ivrogne.

Soudain, en 1845, le Nevermore du Corbeau fit sensation, devenant l’un des plus célèbres poèmes de la littérature américaine. Pourtant un nouveau recueil de contes, un autre de poèmes, n’eurent guère de retentissement. Acculé entre le « démon de la perversité », les scandales, les coups de dents journalistiques contre ses confrères, l’ivrognerie croissante et la pauvreté, Poe vit sa chère Virginia rendre l’âme en 1847.

Il lui restait à publier l’année suivante son obscur essai cosmique, Eureka, et les résultats de sa quête de beauté, ses poèmes déjà symbolistes, purs et sonores :  Ulalume et Les cloches. Sans succès, il multiplia les offres de mariages auprès de dames attentives, mais point dupes. La « folie éthylique » acheva son œuvre. Il n’avait que 40 ans.

Qui sait si Baudelaire est un peu trop élogieux et déterministe, en un mot, romantique, lorsqu’il affirme : « L’ivrognerie de Poe était un moyen mnémonique, une méthode de travail, méthode énergique et mortelle, mais appropriée à sa nature passionnée »2.

Avec alacrité, empathie, mais sans commisération excessive, Peter Ackroyd fait revivre son modèle, montrant enfin combien lui sont redevables les poètes, de Baudelaire à Mallarmé, les romanciers d’anticipation, de Jules Verne (pensons à son Sphinx des glaces qui est plus qu’un écho de Gordon Pym) à Herbert George Wells, sans omettre la déferlante du roman policier au XXe siècle…

Au-delà des hormones de la génétique, des nourritures de l’éducation, des aventures de la vie, il y a quelque chose d’irréductible dans les neurones de la création et de l’art littéraire. Contredisant son propre poème, Le corbeau, dans lequel l’âme, « de cette ombre qui gît flottante à terre, ne s’élèvera – jamais plus »3, l’âme du conteur s’élève grâce à cette nouvelle traduction dont il faut souhaiter tout le succès désirable, de façon à voir achevées et publiées ses trois stèles noires au complet. Outre Baudelaire, la descendance vénéneuse d’Edgar Allan Poe saura couler, parmi la littérature américaine, dans les veines de Lovecraft4, voire jusqu’à Stephen King, notre contemporain en noirceurs.

Sur le web

  1. Voir : Shakespeare, le mystère dévoilé. Stephen Greenblatt : Will le magnifique.
  2. Charles Baudelaire : Études sur Poe, Œuvres complètes II, La Pléiade, Gallimard, p 315.
  3. Edgar Allan Poe : Le corbeau, Les Poèmes, traduit par Mallarmé, Edmond Deman, 1888.
  4. Voir : Qui a peur de Lovecraft ? Depuis l’abîme du temps : l’appel de Cthulhu.
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