La Casa de Papel, la série qui a tout faux en économie

Dans cette série qui repose sur une escroquerie intellectuelle et économique, El Profesor affirme qu’il ne fait de mal à personne en imprimant ses billets. En réalité il vole les plus pauvres.

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La Casa de Papel, la série qui a tout faux en économie

Publié le 16 juillet 2018
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Par Eddie Willers.

Dire que La Casa de Papel a marqué cette année 2018 est un euphémisme. Pas un jour ne passe sans que l’on entende une reprise de Bella Ciao, chanson anti-fasciste remise au goût du jour par la série. Un succès planétaire brillamment orchestré par Netflix qui en avait racheté les droits à Antena 3.

Pourtant, je n’ai jamais réussi à tellement accrocher à cette série dont le scénario tournait rapidement en rond et dont les personnages n’évoluaient que très peu. Mais au-delà de cela, un élément m’a profondément dérangé : son scénario repose sur une escroquerie intellectuelle et économique.

Un homme brillant, El Profesor, a décidé de réaliser un braquage d’un genre nouveau. En lieu et place de simplement dérober des billets dans une banque, il va prendre en otage l’usine nationale d’impression de billets. Entouré d’un gang trié sur le volet, il pourra ainsi imprimer autant de billets qu’il le souhaite.

C’est à ce moment que la supercherie prend forme. El Profesor explique à ses acolytes qu’en réalité, ils ne volent personne. Puisque l’argent qu’ils impriment n’appartient à personne, ils n’auront pas à faire face à une opposition populaire. Mieux, ils en profiteront pour dénoncer les banques qui feraient exactement la même chose qu’eux mais en se servant sur le dos de leurs pauvres clients.

Au vu de l’écho de cette série, j’estimais qu’il était nécessaire de remettre les choses à plat et de voir à quel point l’esprit apparemment si brillant du Profesor faisait fausse route.

L’argent est une forme de reconnaissance de dette. Je cultive la vigne et souhaite obtenir des clémentines en février pour me nourrir. Je promets au cultivateur de lui donner un certain nombre de grappes de raisin en septembre en échange d’un kilo de clémentine en février. Cette reconnaissance de dette est écrite sur un papier.

Le cultivateur peut ensuite utiliser cette reconnaissance de dette pour aller voir le boucher du village qui lui aussi aimerait bien obtenir du raisin en septembre et échange la reconnaissance de dette « raisin » contre une côte de boeuf.

Au fur et à mesure de l’histoire cette reconnaissance de dette prend une forme de plus en plus liquide et au lieu d’écrire sur les papiers « 100 grappes de raisin », les hommes objectiveront la valeur de leurs services et produits en or, en dollars, en euros … Pour autant l’origine fondamentale de l’argent demeure la même : c’est une forme de reconnaissance de dette.

Ainsi, imprimer des billets ex nihilo comme nos amis de La Casa de Papel revient à créer des titres de reconnaissance de dette fondés sur le néant absolu ! Ils s’arrogent donc le droit d’obtenir un service ou un produit sans rien en retour. Il me semble que cela ressemble grandement à la définition du vol.

Nos billets comme notre épargne constituent une réserve de pouvoir d’achat. Le montant de notre épargne ne veut pas dire grand chose s’il est incapable de se matérialiser en achats sonnants et trébuchants de produits et services. Vous pouvez être milliardaire en dollars zimbabwéens, pour autant c’est à peine si vous pourrez vous acheter un oeuf.

Lorsque de nouveaux billets sont émis, ils viennent rogner sur le pouvoir d’achat de tous les autres détenteurs de billets. En effet, l’offre de produits et services n’a pas bougé d’un iota et dans le même temps, un nombre plus important de personnes entre en compétition pour acheter ces mêmes biens. Les prix augmentent donc. Le pouvoir d’achat de tous ceux qui n’ont pas reçu ces nouveaux billets, lui, se détériore.

En affirmant qu’il ne fait de mal à personne en imprimant ses billets, El Profesor se trompe. En réalité il vole les plus pauvres. Regardez du côté du Venezuela ce qu’il se passe lorsque la Banque Centrale imprime des billets à tout-va dans une fuite en avant des plus tragiques : les prix s’envolent au rythme de 42 500% annuels. Revenez me dire qu’elle ne vole pas les plus pauvres.

Enfin, dire que les banques font exactement la même chose est encore une fois faux ou au mieux malhonnête. Seule une banque centrale peut réellement imprimer autant de monnaie qu’elle le souhaite. Bien que ce système leur donne beaucoup de largesses, le système de réserves fractionnaires empêche les banques de faire tourner la planche à billets à leur guise. En effet, elles sont contraintes de déposer 10% de leurs encours de crédit à la banque centrale.

Sauf erreur de ma part, nos brigands version 2.0 n’avaient pas exactement prévu d’en faire de même.

De par son audience, La Casa de Papel a véhiculé très largement l’idée selon laquelle on pouvait imprimer des billets en nombre sans faire de mal à personne. Comme nous l’avons vu, cette idée est on ne peut plus fausse. C’est pourtant celle que défendent toutes ces personnes qui souhaitent le retour à la Banque de France qui financerait sans intérêt et donc sans aucun coût pour le contribuable (sic) les déficits français.

Il serait donc temps de dire une bonne fois pour toute ciao à ces fausses bonnes idées.

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  • Je suis d’accord avec cette analyse y compris sur la qualité de cette série. Toutefois je me demande qu’elle différence purement économique il peut y avoir entre une création de monnaie illégale donc sans contrepartie et la rémunération légale d’un service inutile qui n’apporte aucune plus-value ou réelle utilité sociale ?

    • Juger un service inutile est un jugement de valeur subjectif qui n’engage que vous. Imprimer de la monnaie sans contrepartie, légalement ou illégalement, a des conséquences négatives objectives sur tous les porteurs de la monnaie en question, par la baisse de leur pouvoir d’achat.

      Un seul moyen d’échapper aux effets négatifs de l’impression monétaire : instaurer la concurrence monétaire.

  • Bon article.

    Une petite nuance toutefois, imprimer des billets ne contribue pas à voler les plus pauvres, mais à voler tout le monde (pauvre ou riche) au prorata de l’argent possédé. La dévaluation engendrée par la création monétaire ne s’applique pas aux personnes, mais à l’argent lui meme.

    Attention aux arguments démagogiques ?

    • @ Saknusen :
      Non vous ne volez pas tout le monde !!!
      Dans l’inflation monétaire, ceux qui sont en haut de la hiérarchie sociale (les dirigeants de l’Etat, les Fonctionnaires payés par l’Etat) sont les premiers à recevoir cet argent « fictif ». Ils vont s’en servir pour acheter des biens et des services. Et ensuite l’argent va s’écouler vers les strates sociales inférieures (Commerces, artisants, ouvriers, agriculteurs…) et va créer de l’inflation. Les prix vont augmenter plus vite que l’argent ne circule !!! Donc ceux qui ont profiter de l’argent « fictif » au début se sont enrichi car ils n’ont pas subi , les autres s’appauvrissent du fait de l’inflation (ils perdent en pouvoir d’achat) !!!
      C’est par ce mécanisme que Mitterrand (il a dévalué le franc 4 fois pour plus du 1/4) a enrichi les fonctionnaires (son électorat) au détriment des ouvriers et des agriculteurs !!!

    • Non : la richesse ne dépend pas de l’argent possédé ou du revenu, mais de l’ensemble du patrimoine. Les pauvres sont donc bien plus sensibles à l’inflation, car ils ne possèdent pas ou peu de patrimoine (qui est n’est que pas ou peu affecté par l’inflation)

  • La question me semble excellente (et une série qui pose une (!) question hein!!!)
    Si on vous suit les voleurs volent l’euro-zone eux mêmes compris. Il ne faudrait pas omettre le lien manifeste avec podemos (et une série dogmatique (!) re-hein!!!!)

  • Les banques, si elles peuvent créer temporairement de la monnaie par délégation et sous le contrôle de la banque centrale, finissent par détruire la même quantité de monnaie lorsque les crédits sont remboursés. Au total, leur influence sur la quantité de monnaie est nulle.

    Seule la banque centrale a réellement le pouvoir de créer de la monnaie qui ne sera pas détruite au final.

    • Oui mais dans la pratique tout est fait pour la bulle de dette augmente sans cesse et donc que la monnaie en circulation augmente en parallèle, les crédit sont remboursé par de nouvelles dettes toujours plus importantes

      • La bulle de dette est indubitable, sans précédent historique et ne peut que mal se terminer puisqu’elle sert essentiellement à financer les Etats obèses improductifs et leur impéritie dépensière manifeste (dans les énergies renouvelables par exemple), en retardant leurs défauts en série, nécessaire correction des mauvais investissements.

        Les pays qui s’en sortiront le mieux seront ceux qui auront fait l’effort de maîtriser leurs dépenses et de leurs dettes publiques avant les autres. C’est très mal parti en ce qui concerne la France.

  • Cher auteur, 95% des français ne savent pas ce qu’est l’argent. Ils ne savent même pas ce qu’est une monnaie fiat.

  • Il aurait fallut regarder la serie attentivement et ne pas rater le petit detail qui fait que le plan du professor tient la route économiquement….

  • C’est vrai, mais c’est tellement jouissif…
    Le gars passe à côté de l’essentiel, genre pisse-froid, il fait le prof là où c’est parfaitement idiot de le faire : on se fout complètement des présupposés économiques de la série, ce qui compte est son efficacité, le talent des acteurs, l’intérêt qu’on prend à l’histoire avec tous ses rebondissements.

    • Et puis ce sont tous des malfrats (cambriolages, meurtres). On ne leur demande pas de nous faire une leçon d’économie ou de morale.

  • Merci d’expliquer ce qu’il ce qu’il se passe dans le monde cher auteur.

    Que les banques soient obligées de déposer 10% de leurs encours ou non , cela crée tout de même de l’inflation( dévaluation de la monnaie et oui c’est pour ça que votre chariot est toujours plus cher à la caisse même si vous prenez toujours la même chose) et comme vous le dite c’est du vol.

    Dans la série les braqueurs impriment pour moins d’un milliard ce qui n’affectera pas l’économie d’un pays contrairement aux centaines de milliards d’euros qu’a injecté la Banque centrale européenne ces dernières années.

    • Bonjour Popaul
      Pour un prêt d’une banque, cela ne crée pas d’inflation, car en face de l’augmentation de la masse monétaire, il y a une création de richesse équivalente (toute chose étant égale par ailleurs).
      MV=PQ

    • « cela crée tout de même de l’inflation »

      Non. Les agrégats M0-M1, etc, ce sont avant tout des abstractions théoriques, des jouets d’économistes, dont on ne sait pas l’impact réel.

      Un truc : si Julia dépose de l’argent à la banque, que la banque prête 90% de l’argent déposé par Julia et que celle-ci ne compte en retirer que 10%, il n’y a pas création d’argent ex-nihilo.
      Si la réserve fractionnaire est à 10%, c’est parce que 90% de cet argent dormirait s’il n’était pas prêté. En soi, le fait de prêter de l’argent n’augmente pas la masse monétaire, cela ne fait juste que circuler de l’argent qui ne circulerait pas…
      Et si faire circuler de l’argent qui ne circulerait pas équivaut à créer de la monnaie, alors tout le monde crée de la monnaie à chaque dépense qu’il fait.

      • Pour une masse monétaire donnée M, si la vitesse de circulation V double, alors il y a bien deux fois plus de monnaie disponible pour équilibrer l’autre côté de l’équation. Le tout est de savoir si ce seront les prix P (l’inflation) ou le nombre de transactions T (la richesse créée) qui augmentera en regard.

        Mais V est parfaitement inconnue. C’est une grandeur calculée, déduite des autres variables de l’équation et non une grandeur mesurée. Pour simplifier le raisonnement, elle a été jugée stable par son découvreur. Alors, une BC normale se contente d’agir sur M à la marge, en partant du principe que la hausse de M doit suivre peu ou prou la hausse de P*T, faute de quoi elle contraint mécaniquement la création de richesse par la quantité de monnaie disponible.

        Ceci dit, le raisonnement inverse est faux : ce n’est parce qu’il y aura plus de monnaie que la création de richesse va augmenter (sauf en cas de contrainte initiale). Seul le manque de monnaie peut la ralentir. Et pourtant, c’est exactement le raisonnement que les BC ont défendu au cours de la décennie passée et défendent encore aujourd’hui. Lorsque les BC se sont jetées avec joie et bonne humeur dans les QE et les politiques non conventionnelles, ce qui se justifiait durant quelques mois suivant la crise de 2008, mais plus du tout ensuite, toutes ont été surprises de constater à la fois l’absence d’inflation en retour mais également une croissance toujours aussi atone, du moins largement inférieure à ce qu’elle était avant la crise.

        M augmente mais P et T sont relativement stables. Une hypothèse : V a chuté dramatiquement au cours de la période, au moins autant qu’il y a eu d’argent imprimé sans contrepartie de richesse. Qu’est-ce qui a bien pu motiver un ralentissement aussi prononcé de V ? Autre hypothèse, qu’est-ce qui n’a pas été mesuré et qui a bien pu être oublié dans l’équation, faussant le calcul de V ?

    • « les braqueurs impriment pour moins d’un milliard ce qui n’affectera pas l’économie » : sauf si les braquages se multiplient. C’est pourquoi cette activité est sévèrement réprimée par principe, même pour des montants individuels qui paraissent insignifiants.

  • Il aurait dû vivre en Allemagne en 1923 le professeur, où les prix doublaient toutes les heures.

  • La série est agréable à regarder, bien que trop tirée en longueur, comme la plupart des séries sur netflix.
    Mais c’est clair que l’idée de faire un casse sur la banque nat n’est pas celle d’un casse juste.
    Faire un casse du ministère des finances serait bien plus juste (c’est ce qu’a fait Robin des Bois en plus). Et pourtant, ce serait très impopulaire… Les gens crieront qu’on vole le peuple, tellement ils sont conditionnés au fiscalisme, croyant être les bénéficiaire de l’argent des autres…

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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