Nous vendons à la Chine la corde avec laquelle elle veut nous pendre

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Nous vendons à la Chine la corde avec laquelle elle veut nous pendre

Publié le 16 mai 2018
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Par Yves Montenay.

Vous avez reconnu cette phrase célèbre de Lénine : « Les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons ». L’erreur de Lénine est d’avoir pensé que son système était viable, alors qu’il dépendait en fait du monde extérieur capitaliste jusqu’à l’échec final du communisme. Tout cela s’applique à la Chine, dans un contexte naturellement très différent.

L’idée est la même, la certitude idéologique de réussir aussi, même si c’est par des méthodes plus modernes.

Les capitalistes seront prêts à tout pour le profit

« C’est le profit qui les mène, même si cela nous (la Chine) renforce et nous permettra de les vaincre ». Ce n’est pas faux et découle directement du principe de la libre entreprise : s’il est intéressant de faire des affaires en Chine, ou avec la Chine, allons-y !

Certes des grandes entreprises raisonnant à long terme et ayant des actifs technologiques importants, par exemple en nucléaire ou aéronautique, s’inquiètent du pillage de leur technique. Mais elles ont été obligées de les partager pour pouvoir s’implanter. Elles ont vu ensuite se concrétiser leurs craintes : des entreprises purement chinoises, et souvent associées, produisent maintenant des produits concurrents.

Ces entreprises étrangères ont longtemps déclaré que leur puissance en recherche et développement leur permettrait de conserver leur avance technologique. Mais elles commencent à en douter en voyant se multiplier les promotions d’ingénieurs chinois.

Résultat : la puissance chinoise commerciale, puis technologique et militaire se confirme, et dérange l’ordre du monde, comme il est normal pour un pays de près d’un milliard 400 millions d’habitants. D’où un orgueil grandissant.

La certitude idéologique, un poison à long terme ?

Cet orgueil se nourrit de la certitude idéologique d’être sur le bon chemin. Et le « centralisme démocratique » est en outre bien pratique pour justifier le pouvoir du chef, et le garder à l’abri de toute élection populaire. L’URSS et l’Allemagne nazie ont un temps raisonné ainsi. On sait comment cela s’est terminé.

Mais, direz-vous, il y a des réalisations concrètes : logement, infrastructures, percée dans les technologies de pointe… et il y a toujours une forte croissance, de 6,8 % au premier trimestre 2018. Cela me rappelle ce que disaient les admirateurs de l’URSS et de l’Allemagne nazie à certaines époques.

Dans mes précédents articles, j’ai analysé cette croissance que j’estime être pour partie naturelle (rattrapage de la dégringolade maoïste) et pour partie purement statistique (infrastructures et capacités de production surdimensionnées financées par la dette… ce qui inquiète des financiers internationaux). Malgré les proclamations en faveur de la consommation au détriment des investissements, la machine continue à rouler dans le mauvais sens. Il y a des raisons à cela.

Des mesures contre-productives

Ces raisons sont de deux ordres : des difficultés de pilotage et les mesures liberticides.

Les difficultés de pilotage sont dues à l’action des couches intermédiaires de l’administration. Les multiples manifestations populaires contre la pollution ou contre le classement de terres agricoles en terrains industriels ou résidentiels au profit des apparatchiks sont durement réprimées. Les condamnations pour corruption par le sommet ne changent pas non plus ces comportements.

Ces pouvoirs locaux doivent en effet leur carrière et leur rémunération par corruption à la multiplication des investissements au détriment de l’environnement et ce malgré leur rentabilité décroissante. L’exportation des surplus, acier ou capteurs solaires par exemple, a été un des déclencheurs de la guerre commerciale internationale actuelle. « Les routes de la soie » sont une autre façon d’exporter ces surplus en équipant des pays tiers, ce qui laisse entière la question du financement et donc de la dette.

L’idéologie génère des mesures liberticides qui ne sont pas considérées comme contre-productives sur le plan économique. Elles me paraissent pourtant plus graves à terme. Par exemple, la coupure croissante avec l’Internet du reste du monde va ralentir l’innovation, décourager l’implantation des entreprises étrangères et pousser certains cadres, notamment scientifiques, à l’émigration. En 2017 la chambre de commerce américaine en Chine estimait que 41 % des entreprises interrogées voyaient leurs opérations très fortement limitées. La chambre européenne notait que 40 % de ses répondants souffraient de pertes de chiffre d’affaires allant jusqu’à 20 %.

La condamnation d’une entreprise vendant des VPN (Virtual Private Network, en français Réseau Privé Virtuel), logiciel permettant de se connecter avec l’étranger (il y a une frontière informatique), a été très remarquée. Apple a du retirer les siens de son catalogue. La connexion internationale reste possible à condition de passer par les logiciels du pouvoir.

L’empilement des mesures liberticides font maintenant de la Chine une  » contrôlocratie ». La censure est de plus en plus sévère dans les universités et les médias, le culte de la personnalité est omniprésent. La menace de la terreur est réaffirmée par quelques exemples de disparitions provisoires ou définitives et l’intervention musclée de la police.

Plus généralement, la réaffirmation brutale du rôle du parti depuis la nouvelle nomination du président Xi alourdit l’ambiance, notamment chez les investisseurs étrangers.

En Chine, c’est le parti qui dirige

Le Quotidien du peuple, organe du parti a publié en décembre 2017 un article  instructif. Dans une coentreprise avec l’américain Cummins, la cellule du Parti a refusé la nomination d’un cadre, décidée par la hiérarchie américaine. « Le directeur général américain s’est rendu au jugement du Parti ».

Fin 2016, il y avait 74 000 cellules du Parti communiste dans les entreprises à capitaux étrangers. On estime que la centaine de milliers en seront toutes pourvues très bientôt.

Le 2 avril 2018, les investisseurs ont reçu l’ordre de ne pas vendre pendant le discours de XI.

Le secteur privé, qui avait beaucoup progressé d’abord dans les productions courantes et la sous-traitance de l’étranger et se développe aujourd’hui dans le domaine des nouvelles technologies, est en train de se faire reprendre en main. Or c’est ce secteur privé qui est à l’origine du décollage économique (voir mon article :  Chine d’en bas contre Chine d’en haut).

Le problème est que le Parti n’a pas forcément les meilleures compétences managériales, et il est même par ailleurs une des causes de la corruption.

L’ouverture du parti aux entrepreneurs, souvent de la famille d’un politique, a étendu le domaine du « capitalisme de connivence ». Les responsables du Parti contrôlent les propriétés d’État (plus de 50 % du PIB en 2016), ce qui leur permet de convertir leur pouvoir politique en gains matériels personnels.

En tout cas, le Parti va avoir à relever un défi à sa mesure : la démographie. Le nombre de jeunes actifs diminue rapidement, le réservoir des populations rurales se vide. Il va falloir augmenter doublement la productivité, pour continuer à croître et pour compenser la perte de production par manque de jeunes. Il va falloir aussi relever massivement l’âge de la retraite et mettre les femmes au travail. Vous me direz qu’un régime autoritaire fera ça plus facilement qu’une démocratie…

Perseverare diabolicum

Revenons à l’analogie entre la Chine d’aujourd’hui et les bonnes années de l’URSS : une croissance rapide et la proclamation au monde des « grands succès » : barrages gigantesques, aciéries… bref l’investissement plutôt que la consommation : « nos dirigeants mangent de l’acier, disait le bon peuple, mais nous préférerions de la goulash ».

Dans les deux cas, la croissance rapide était en partie du rattrapage des catastrophes antérieures : la première guerre mondiale puis la guerre civile pour l’URSS, et, pour la Chine, la folie maoïste qui elle aussi dégénéra en guerre civile à la fin de la révolution culturelle.

Cette croissance venait aussi en partie de l’importation des techniques occidentales. En URSS par l’utilisation des usines implantées par « les capitalistes » avant la guerre : souvenez-vous des épargnants français ruinés par le non-remboursement des « emprunts russes » puis par l’espionnage industriel (le cas le plus médiatisé concerne le Concorde), parfois par des syndiqués occidentaux liés à Moscou. Plus efficacement, en Chine, on donna d’abord aux étrangers la liberté de s’installer, puis on s’appropria leur technologie en la faisant copier par les entreprises chinoises obligatoirement associées, ou par des contrats draconiens.

Bref tout cela a un joli parfum de guerre froide. Les « volontaristes » vantaient le succès de l’URSS : une dictature communiste égalitaire, opposée au chaos de la libre entreprise exploitant le peuple (ayant voyagé en pays communiste, j’ai gardé l’impression inverse) et niant cette invention capitaliste de la propriété privée, notamment intellectuelle. Les Occidentaux vantaient les mérites de la démocratie et de la libre entreprise. On sait qui a gagné le premier match. Le second est en cours…

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  • L’ « El Dorado » chinois, c’est fini. Tout ce que les chinois ont gagné depuis 1999 et la rétrocession de Hong-Kong, (comme l’équivalent de la population française qui atteint la classe moyenne chaque année), c’est du fini. Merci qui ? Merci Xi !

    • De mes voyages en Chine, j’ai retenu que le pire y paraît toujours probable mais ne se concrétise que rarement, et que même si la logique occidentale paraît prévaloir comme ici, ça n’est qu’une apparence. L’équivalent de la population française qui atteint la classe moyenne chaque année, ça n’est pas forcément fini, en revanche en France ça n’est toujours pas commencé, malgré les grands pas de notre Macron (un pays, deux « en même temps ») vers la dictature socialiste de marché classe économique.

  • Quoiqu’on en dise, la Chine sera la prochaine première puissance mondiale, elle possède et exploite l’or noir du 21ème siècle : les métaux rares.
    Et nous autres, pauvres occidentaux avons toujours autant de mal à comprendre comment le capitalisme ou l’economie de marché peuvent fonctionner sans démocratie, car nous avons longtemos cru naïvement que l’un ne va pas sans l’autre. Pourtant la Chine nous prouve le contraire depuis des années.

    • Réponse à tous.
      D’abord cet article est le dernier d’une longue série remontant à 2014, époque où l’on était en pleine sinomania. Sur mon site yvesmontenay.fr vous trouverez le développement d’arguments évoqués ici, et bien d’autres.
      Il ne faut pas confondre puissance et développement : l’URSS a été puissante, mais était mal développée. Un pays autoritaire peut concentrer ses forces sur ce qui le rend puissant : son armée et aujourd’hui des nouvelles technologies. Et puis la puissance est une conséquence normale du fait d’avoir 1 400 000 000 habitants

      Deuxièmement le rattrapage est relativement facile dès lors que le pays « fonctionne », ce qui n’est pas le cas d’autres pays à la traîne.

      Donc il ne serait pas étonnant d’avoir Chine monte en puissance et en progrès économique, mais avec une consommation par tête (ce qui est le vrai développement) dont la croissance ralentira au fur et à mesure l’on se rapprochera des autres et que l’innovation sera freinée par la fermeture intellectuelle. Le gouvernement sera suffisamment intelligent pour que cette fermeture touche le moins possible la partie créative de la société, mais ce sera un exercice difficile, surtout si le président prend goût au pouvoir absolu.

  • Ca change des articles decrivant la chine comme la nouvelle puissance economique.
    Il y a evidement un effet de rattrapage a la croissance chinoise mais sur pas mal de domaine ils sont en train de nous doubler. Raisons:
    1) il est plus facile d innover que vous avez les usines de production a cote (ce que les francais revant d entreprise sans usine n ont pas compris). Vous pouvez ameliorer votre production par Iteration, avoir un retour rapide …

    2) en europe ou aux USA il est preferable de faire medecine (ou du droit aux USA) que des etudes techniques. Ca paie bien plus etvous risquez pas d etre delocalisé ou en concurrence … avec un chinois 2 fois moins cher. On va donc de plus en plus avoir des second couteaux francais face a des gens brillant en chine. pas difficile de dire qui va gagner

    Apres le Regime chinois a en effet un certain nombre de problemes. une guerre interne (meme si Xi a fait du vide, il ne doit pas avoir que des amis), une corruption endemique (meme si la politique de Xi y a mit un frein d apres mon experience perso) et une pollution hors controle

  • Vous me direz qu’un régime autoritaire fera ça plus facilement qu’une démocratie…
    Tsee tsee. Nul besoin d’aller voir bien loin: Pour reprendre l’ancien slogan publicitaire de Citroën : « Vous n’ignorez pas ce qu’une bonne taxe peut faire pour vous »
    On dirait que nos zéros sont tous passés par Citroën…

  • Sauf que le président chinois utilise son pouvoir pour développer son pays et tenter de réduire les inégalités (tout en gardant le contrôle). Chose impossible à faire en France mais ça en énerve plus d’un de s’apercevoir que le communisme chinois évolue, se capitalise et pour le coup de manière intelligente. Le fait est que la Chine risque fort bien de s’en sortir mieux que nous…

  • La croissance ralentira moins qu’en France, même avec une fermeture intellectuelle, 57 morts par armes a feu en Chine en 2017, combien en France ?
    Les infos sur les attentats terroristes en occident passe a la télé chinoise, les chinois commence a se rendre compte que l’occident, c’est pas ca, on risque de se faire décapiter, violer a tous les coins de rue … Le ralentissement de la croissance en occident du a l’insécurité va être plus importante que la fermeture intellectuelle en Chine.

    • c est sur que la chine est plus sure que la France (enfin du moment que vous vous frottez pas avec le fils d un membre de rang moyen ou plus du PCC. la je suis pas sur que vous en sortiriez sans degat meme pour un occidental)

      Mais souhaite t on vraiment un gouvernement qui peut enfermer les gens qui lui deplaise ? qui censure ce qui lui plait pas ? avec un population consummeriste a fond car c ets le seul espace qu on lui laisse !

      Entre le laxisme francais (en particulier vis a vis de la petite delinquence) et la dictature il doit quand meme y avoir un espace non ?

      • Cela ne me gène pas, car je ne suis pas déçu. En France je vote non au referendum de 2005, et le gouvernent fais le contraire, je ne vote plus depuis.
        130 morts au Bataclan vous appelez ca petit délinquance , combien a Nice ?
        Mon prochain achat sera un pavillon en Chine, oui incroyable les propriétaires font des modifications de leur propriété sans permis de construire, tant qu’ils ne dépassent pas la limite de leur propriété. En France tu est propriétaire de ton terrain, mais tu dois demander l’autorisation pour construire quelques chose, et oui, c’est ca la a fausse démocratie. Les Chinois sont pragmatique, ils s’occupent d’eux, la politique c’est juste du bla-bla, en France c’est des politiciens qui te volent ton pognon.

  • Lorsqu’on constate la vitesse du développement de la Corée du sud ou de Taïwan et de la Chine, comparée à celle de la Russie, l’auteur a raison. L’URSS n’avait obtenu que 11 Prix Nobel scientifiques en 75 ans. L’occident plus de 300. Un minimum de liberté est indispensable, ce que Deng avait compris, mais que Xi comme tous les dictateurs, qu’ils s’appellent Poutine ou Maduro, sont incapables de saisir. Il risque fort de stériliser la recherche!

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