Par Gabrielle Dubois.
Nous voici arrivés au cinquième article de cette série Liberté et auteurs du 19ème siècle. Vous en souvenez-vous ? Nous avons parlé Liberté, égalité, argent, ingérence de l’État, répression même, et nous nous sommes demandés dans quel obscur méandre de la bureaucratie française s’était perdue la Liberté demandée en 1789.
Nous avons tenté de retrouver notre Liberté, nous l’avons réclamée à la Révolution, à l’Empire, à la Monarchie, à la République ou encore au Second Empire et… Théophile Gautier s’est amusé de notre naïveté à croire encore en la politique !
Mais alors, où est la Liberté ?
Le choix de la liberté
Ne serait-ce pas à chacun de faire le choix de la Liberté ?
En 1830, Victor Hugo (28 ans) l’a fait en écrivant Hernani, pièce de théâtre romantique qui donna lieu à une révolution littéraire quand elle fut jouée pour la première fois à la Comédie Française.
Dans la salle, les pro-classiques (l’équipe des vieux) affrontèrent un parterre de romantiques (l’équipe des jeunes), Théophile Gautier (19 ans) en tête, jeune chevelu à la coiffure mérovingienne, gilet incarnat, couleur entre le rose et le rouge le plus vif, couleur des joues qui se fardent, couleur des lèvres des amants, défendait bec et ongles son ami et poète Victor Hugo.
Il n’était pas le seul et il était bien accompagné : Gérard de Nerval, Hector Berlioz, Alexandre Dumas qui avait déjà eu des déboires avec la censure. N’hésitez à compléter cette liste de jeunes et modernes Romantiques et à jeter un coup d’œil sur la caricature qu’en avait fait Benjamin Roubaud.
Pour faire court, puisque les mots sont comptés, les Romantiques triomphèrent.
Publication et liberté
Avait-on la liberté d’être publié quand on écrivait ce que l’on voulait au 19ème siècle ? Non. La censure exerçait-elle son autorité sur chaque ouvrage sorti des presses ? Oui. Par chance, la censure avait laissé passer Hernani, cette pièce abondant en inconvenances de toutes natures et en vices capitaux, pensant que le public verrait jusqu’à quel point d’égarement peut aller l’esprit humain affranchi de toute règle et de toute bienséance. Ceci résumant l’avis de la censure sur la pièce de M. Hugo !
Plus tard, M. Flaubert, plusieurs fois aux prises avec le tribunal pour Madame Bovary, pour Salammbô… se demanderait avec humour si une interdiction de la censure ne serait pas le gage de qualité d’un livre ?
La conclusion de tout ceci est-elle qu’il y avait moins de Liberté qu’aujourd’hui ? Non.
Non, et je m’explique.
Prendre la liberté
S’il y avait bataille pour jouer une pièce, pour faire publier un livre, c’est qu’il y avait matière à batailler. C’est que l’auteur avait pris la liberté d’écrire exactement ce qu’il avait voulu, sachant ce qu’il encourait.
Certains auteurs n’attendaient pas que l’État, quel qu’il soit, leur donne la liberté d’écrire, ils la prenaient. N’est-ce pas là la plus grande des Libertés ? La liberté individuelle d’oser dire ce qu’on pense, même si ce n’est pas à l’ordre du jour, même si cela ne s’inscrit pas dans le courant de pensée officieux, mais unique ?
À quoi bon se rappeler de tout ceci, puisqu’aujourd’hui, officiellement, on peut tout écrire ?
Mais insidieusement, officieusement, n’est-il pas recommandé d’aborder des sujets gentils : prendre une personne sans abri à sa table, être bon pour un enfant différent ? Bref, aimer son prochain comme le faisait un Homme né il y a 2017 ans, mais surtout sans se référer à lui ! Il n’est pas bien vu de nous rappeler certains héritages culturels, même sans entrer dans des considérations de confession.
Liberté et argenterie
Mais revenons au 19ème siècle. En un sens, on peut dire que la censure gouvernementale a créé quelques écrivains libres, voici comment :
Acquérir la Liberté est plus difficile qu’acquérir de l’argent (c’est dire combien c’est difficile !), et le résultat est bien moins sûr. On sait ce que l’argent nous offre : une maison, un gigot sur la table, des tentures de velours, toutes choses matérielles et rassurantes. Toutes choses dont, avec des romans et des pièces de théâtres agréées par l’État et la masse du public, un écrivain pouvait espérer être le possesseur, même sans être libre.
La Liberté, elle, ne nous offre pas forcément argenterie et tentures de velours ; elle ne nous rassure pas. La Liberté qui nous laisse le choix de nos actes et de nos pensées, nous expose aussi corps et âme à la vie, et la vie, c’est l’inconnu, c’est la surprise.
Et pour les écrivains du 19ème siècle dont on parle ici, qui avaient le courage de leurs idées, la Liberté était au bout de la plume, même si l’argenterie n’était pas toujours sur la table ! Ils n’attendaient pas la Liberté de l’extérieur, ils la puisaient courageusement en eux, comme lors de la bataille d’Hernani, qui était loin d’être finie…
Ecrire Hernani ou le lire
Mais, nous ne sommes pas Victor Hugo, loin de là, et n’avons donc pas pu prendre la Liberté d’écrire Hernani.
Soit dit en passant, lisez Hernani. C’est un divertissant vaudeville ayant pour toile de fond la cour espagnole de Charles Quint. Il n’y a pas un, mais deux amants dans le placard, et pour autant, la vertu est sauvegardée. Et les vers de Victor Hugo, bien qu’outrageusement libérés de la forme classique ! sont bien sûr admirables, romantiques et plein d’humour !
Alors, comment donc manifester notre Liberté ? Peut-être en ayant le courage d’affirmer ses convictions, quand le moment se présente dans une vie, comme le fidèle, le bon Théo le fit en 1867, trente-sept ans après Hernani. Mais nous ne sommes pas Gautier non plus !
Cependant, peut-être pourrons-nous, dans notre prochain épisode de Liberté et auteurs du 19ème siècle, piocher un peu de courage !
Impossible de laisser un commentaire, il n’y a rein à ajouter. Juste encoure, encore et merci