Hivers d’auteurs : les nuits dans le donjon de Chateaubriand

Deuxième épisode de la série “Hivers d’auteurs” : 1780, Chateaubriand chez ses parents au château de Combourg en Bretagne, est logé seul dans le donjon pour s’aguerrir.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Chateau de Combourg by Calips- CC BY-SA 3.0-Wikipedia

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Hivers d’auteurs : les nuits dans le donjon de Chateaubriand

Publié le 7 janvier 2018
- A +

Par Gabrielle Dubois.

Enfant, Chateaubriand né en 1768, quand il vit chez ses parents au château de Combourg en Bretagne, et qu’il n’est pas en pension, est logé seul dans le donjon pour s’aguerrir. Extraits des Mémoires d’Outre-Tombe.

Les Chateaubriand en Bretagne

« Quatre maîtres, mon père, ma mère, ma sÅ“ur et moi François-René de Chateaubriand, habitions le château de Combourg. Une cuisinière, une femme de chambre, deux laquais et un cocher composaient tout le domestique : un chien de chasse et deux vieilles juments étaient retranchés dans un coin de l’écurie. Ces douze êtres vivants disparaissaient dans un manoir où l’on aurait à peine aperçu cent chevaliers, leurs dames, leurs écuyers, leurs valets, les destriers et la meute du roi Dagobert.

Pendant la mauvaise saison, des mois entiers s’écoulaient sans qu’aucune créature humaine frappât à la porte de notre forteresse. Si la tristesse était grande sur les bruyères de Combourg, elle était encore plus grande au château, augmenté par l’humeur taciturne et insociable de mon père. »

L’esprit de famille selon Chateaubriand père

« Au lieu de resserrer sa famille et ses gens autour de lui, il les avait dispersés à toutes les aires de vent de l’édifice. Sa chambre à coucher était placée dans la petite tour de l’est. L’appartement de ma mère régnait au-dessus de la grande salle. Ma sÅ“ur habitait un cabinet dépendant de l’appartement de ma mère. La femme chambre couchait loin de là, dans le corps de logis des grandes tours.

Moi, Chateaubriand, enfant, j’étais niché dans une espèce de cellule isolée, au haut de la tourelle.

À huit heures, les soirs d’hiver, la cloche annonçait le souper.

Le souper fini et les quatre convives revenus de la table à la cheminée, ma mère se jetait, en soupirant, sur un vieux lit de jour de siamoise flambée ; on mettait devant elle un guéridon avec une bougie. Je m’asseyais auprès du feu avec Lucile. Mon père commençait alors une promenade qui ne cessait qu’à l’heure de son coucher. Il était vêtu d’une robe de ratine blanche, ou plutôt d’une espèce de manteau que je n’ai vu qu’à lui. »

Un spectre dans le salon

« La tête demi-chauve de mon père était couverte d’un grand bonnet blanc qui se tenait tout droit. Lorsqu’en se promenant il s’éloignait du foyer, la vaste salle était si peu éclairée par une seule bougie qu’on ne le voyait plus ; on l’entendait seulement encore marcher dans les ténèbres : puis il revenait lentement vers la lumière et émergeait peu à peu de l’obscurité, comme un spectre, avec sa robe blanche, son bonnet blanc, sa figure longue et pâle. Lucile et moi nous échangions quelques mots à voix basse quand il était à l’autre bout de la salle ; nous nous taisions quand il se rapprochait de nous, saisis de terreur.

Dix heures sonnaient à l’horloge du château : mon père s’arrêtait. Ma sÅ“ur Lucile et moi, nous nous tenions sur son passage ; nous l’embrassions en lui souhaitant une bonne nuit. Il penchait vers nous sa joue sèche et creuse sans nous répondre. Puis il continuait sa route et se retirait au fond de la tour, dont nous entendions les portes se refermer sur lui. »

Les chambres hantées du château de Combourg

« Le talisman était brisé ; ma mère, ma sœur et moi, transformés en statues par la présence de mon père, nous recouvrions les fonctions de la vie par un débordement de paroles : si le silence nous avait opprimés, il nous le payait cher.

Ce torrent de paroles écoulé, j’appelais la femme de chambre, et je reconduisais ma mère et ma sÅ“ur à leur appartement. Avant de me retirer, elles me faisaient regarder sous les lits, dans les cheminées, derrière les portes, visiter les escaliers, les passages et les corridors voisins. Toutes les traditions du château voleurs et spectres, leur revenaient en mémoire. Ma mère et de ma sÅ“ur se mettaient au lit, mourantes de peur ; je me retirais au haut de ma tourelle. »

L’enfant Chateaubriand logé dans le donjon

« La fenêtre de mon donjon s’ouvrait sur la cour intérieure ; le jour, j’avais en perspective les créneaux de la courtine opposée. La nuit, je n’apercevais qu’un petit morceau de ciel et quelques étoiles. Lorsque la lune brillait j’en étais averti par ses rayons, qui venaient à mon lit au travers des carreaux losanges de la fenêtre. Des chouettes, voletant d’une tour à l’autre, passant et repassant entre la lune et moi, dessinaient sur mes rideaux l’ombre mobile de leurs ailes. Relégué dans l’endroit le plus désert, à l’ouverture des galeries, je ne perdais pas un murmure des ténèbres. Quelquefois le vent laissait échapper des plaintes ; tout à coup ma porte était ébranlée avec violence, les souterrains poussaient des mugissements, puis ces bruits expiraient pour recommencer encore. »

Une éducation de chevalier

« L’entêtement du comte de Chateaubriand à faire coucher un enfant seul au haut d’une tour pouvait avoir quelque inconvénient ; mais il tourna à mon avantage.

Cette manière violente de me traiter me laissa le courage d’un homme, sans m’ôter cette sensibilité d’imagination dont on voudrait aujourd’hui priver la jeunesse. Au lieu de chercher à me convaincre qu’il n’y avait point de revenants, on me força de les braver. Lorsque mon père me disait, avec un sourire ironique : « Monsieur le chevalier aurait-il peur ? » il m’eût fait coucher avec un mort. »

Voir les commentaires (2)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (2)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
Les réflexions pleines de pertinence et de bon sens d’un esprit libre et empli de courage.

Il est question ici de courage, d’ignorance, de servitude heureuse, de bêtise. Autant de sujets que nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion d’aborder ensemble.

Après une entrée en matière non dénuée d’ironie et agrémentée de treize citations d’une grande profondeur, c’est avec le sens de la dérision que Boualem Sansal donne le ton du livre, avec « en guise de préambule, une interview qui n’a pas eu lieu et qui, normalement, jamais ne pourra... Poursuivre la lecture

Qui a dit que les humanités ne servent à rien ? Jean-Baptiste Noé montre leur rôle et leur importance fondamentale dans notre société et nos libertés.

Cet ouvrage trouve bien sa place dans cette série. En effet, nous vivons à une époque et dans un monde où les technologies ont pris une place prépondérante, où tout va vite, où on entend à la fois se tourner vers un futur mû par les promesses en partie inquiétantes de l’Intelligence Artificielle et un désir de sombrer dans le présent et la tyrannie du divertissement. En quoi les humanités sont-... Poursuivre la lecture

Je prévoyais initialement de consacrer ce vingtième volet à la littérature russe. Tolstoï, Dostoïevski, Gogol, Tchékhov, Pouchkine, assez nombreux sont les romans de ces auteurs que j’ai lus. Malheureusement, j’en garde trop peu de traces écrites pour pouvoir proposer quelque chose de suffisamment satisfaisant. C’est pourquoi j’improvise cette évasion bucolique aux parfums de fin d’été.

 

Le Mur invisible, de Marlen Haushofer

Voilà un thème qui est aujourd'hui régulièrement l'objet de scénarios multiples : la fin du monde e... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles