Quand le Général Leclerc menace Von Choltitz de « crime de guerre » pour sauver Paris

A l’occasion du 70ème anniversaire de la disparition du Général Leclerc le 28 novembre 1947, retour sur un épisode méconnu de la deuxième guerre mondiale.

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Quand le Général Leclerc menace Von Choltitz de « crime de guerre » pour sauver Paris

Publié le 28 novembre 2017
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Par Pierre Le Blavec1

 

À la mémoire du lieutenant Jacques Petit Le Roy (1916-1944) et de l’adjudant-chef Augustin Dericbourg (1909-1944)

Il aura fallu l’annonce du décès de l’acteur Claude Rich (1929-2017), qui participa – il y a soixante treize ans et à l’âge de quatorze ans – le 25 août 1944, à la libération du Palais du Luxembourg – actuel Sénat – sur le boulevard Saint-Michel, pour que la mémoire revienne.

En effet, treize ans plus tôt, dans le cadre de la commémoration des soixante ans de la Libération de Paris (25 août 2004), le professeur et historien, Pierre Le Blavec, s’est rappelé les propos tenus par le général Alain de Boissieu (1914-2006), sous forme de témoignage oral, lors de la remise des insignes de Commandeur de la Légion d’honneur, à titre militaire, à Pierre de La Fouchardière (1920-2011), dans le jardin d’hiver du Petit Luxembourg.

Étaient, entre autres, présents : le président du Sénat, Christian Poncelet, le maire de Paris de l’époque, Bertrand Delanoë, l’amiral Philippe de Gaulle et Jacqueline Péry d’Alincourt (1919-2009), proche collaboratrice de Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin (1899-1943), Résistante et déportée à Ravensbrück.

À l’époque, le Palais abritait l’un des commandements « régionaux » de la Luftwaffe. Il fut désigné par le général Leclerc, comme l’un des objectifs donnés aux troupes de la 2ème Division Blindée (DB) qui investirent Paris. Il s’agissait de neutraliser l’important contingent allemand – 22 000 soldats – et les nombreux chars qu’il possédait, afin de faciliter la pénétration des unités dans la Capitale et laisser Leclerc libre de ses mouvements à la gare Montparnasse.

À la tête d’un peloton du 501ème régiment de chars de combat, le commandant Pierre de la Fouchardière (1920-2011), chargé de la protection du général Leclerc sous les ordres d’Alain de Boissieu (1914-2006), reçoit comme mission de reconnaître le Palais et le jardin du Luxembourg et se présente devant les grilles.

Avec ses hommes, il participe activement à la bataille pour le jardin et le Palais et joue un rôle déterminant pour débusquer, une grande partie de la journée du 25 août, les troupes allemandes, jusqu’à réduire les dernières résistances de l’École des Mines, boulevard Saint-Michel.

Nous savions tous, présents à la cérémonie privée, que le général Dietrich von Choltitz (1894-1966), commandant en chef de la Wehrmacht à Paris, depuis le 7 août, avait reçu l’ordre impératif d’Adolf Hitler (1889-1945), dès le 23 août, de défendre Paris par la destruction, qu’elle « ne devait pas tomber entre les mains de l’ennemi, ou alors que ce soit un champ de ruines »2.

Nous savions tous, comme l’expliquent clairement l’historien Johann Chapoutot et le conservateur de musée Lionel Dardenne, que conscient que la destruction de la Capitale – « siège de toutes les cultures » – étant inutile, que la guerre étant perdue pour son camp, et soucieux de ménager son avenir de futur prisonnier, Choltitz allait décider de négocier sa reddition et signer un ultimatum.

En effet, après de rudes combats en forme de baroud d’honneur, la signature de la capitulation avait été facilitée par Raoul Nordling (1881-1962), Consul de Suède à Paris, lui portant l’ultimatum – remis à 10h30 – du colonel Pierre Billotte (1906-1992), commandant de la 1ère brigade blindée de la 2ème DB, pour devenir effective (à 14 heures), auprès du soldat espagnol Antonio González, de la compagnie La Nueve de la 2ème DB, avant de capituler définitivement (à 16 heures) devant le général Leclerc et le colonel Henri Rol Tanguy (1908-2002), chef des Forces françaises de l’intérieur (FFI) d’Ile-de-France, au poste de commandement de la Gare Montparnasse (à 17 heures).

Ce que nous ignorions – et qui a été évoqué individuellement, sous forme de témoignage oral filmé, en 2004 – par le général de Boissieu, puis dans un courrier privé adressé aux héritiers de Pierre de la Fouchardière -, c’est que le général Leclerc avait rédigé un message pour menacer personnellement le général von Choltitz de « crimes de guerre, s’il faisait sauter les ponts de Paris » et ne préservait pas la Capitale.

Ce message a été transmis par le lieutenant Jacques Petit Le Roy (1916-1944), officier de liaison du général Chaban (1915-2000), délégué militaire national ; et l’adjudant-chef Augustin Dericbourg (1909-1944), servant l’escadron de protection du général Leclerc. Tous deux morts au combat à Chevilly-Larue (Val de Marne).

Entre le statut de « criminel de guerre » pour la postérité – peine de mort assurée – et celui de « prisonnier de guerre » – jugement et condamnation à deux ans de prison (libéré en 1947) – , le général von Choltitz a dépassé le choix cornélien et donc choisi la voix de la raison, défendue ces dernières années, par son fils, Timo.

C’est avec émotion que Pierre Le Blavec tient à remercier – personnellement et très amicalement -, les ayants-droit de la famille de la Fouchardière qui lui ont transmis le document écrit, ainsi que la famille de Boissieu, sans oublier les responsables de la Fondation Leclerc ainsi que les membres de l’association des anciens de la 2ème DB.


Sources bibliographiques :

  • Soldat unter Soldaten (De Sébastopol à Paris : un soldat parmi les soldats, Dietrich von Choltitz, 1951, éditions Aubanel, préface de Pierre Taittinger, 319 p.)
  • Brennt Paris ? Adolf Hitler : Tatsachenbericht des letzten deutschen Befehlshabers in Paris Gebundene Ausgabe (Paris brûle-t-il ? Adolf Hitler : rapport factuel du dernier commandant allemand à Paris), Timo von Choltitz, 2014
  • Du capitaine de Hautecloque au général Leclerc, Christine Levisse-Touzé, 2000, éditions Complexe, 477 p.
  • Libérer Paris – août 1944, sous sa direction de Christine Levisse-Touzé, 2014, avec Dominique Veillon, Thomas Fontaine, Vincent Giraudier, Vladimir Trouplin, éditions Ouest-France, 144 p.)
  • Sauver Paris : Mémoires du consul de Suède (1905-1944), Raoul Nordling (2002, édition établie par Fabrice Virgili, éditions Complexe, IHTP CNRS)
  • Allocution de M. Christian Poncelet, Président du Sénat, à l’occasion de la remise des insignes de Commandeur de la Légion d’honneur à M. Pierre de La Fouchardière (25 août 2004, Sénat)

Sources filmographiques :

  • Hitler et Paris (Juliette Desbois, 2017, documentaire)
  • Paris brûle-t-il ? (1965, René Clément, drame historique, d’après l’œuvre de Larry Collins et Dominique Lapierre)
  • Diplomatie (Volker Schlöndorff, d’après la pièce de théâtre de Cyril Gély)


Notes :

  1. Pierre Le Blavec de Crac’h est professeur et historien, ancien assistant parlementaire non-inscrit à l’Assemblée nationale et au Sénat, ancien étudiant de M. Philippe Masson (1928-2005), spécialiste de la Seconde Guerre mondiale.
  2.  « Paris darf nicht oder nur als Trümmerfeld in die Hand des Feindes fallen ».
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  • Les gouvernants actuels, eux, laissent plutôt massacrer des français et octroient des allocations aux terroristes sans que cela émeuve leur conscience.
    Les temps ont changé.
    Il est vrai que l’honneur n’est pas une matière que l’on enseigne à l’ENA.

  • L’autre point d’achoppement était le retrait en bon ordre de la Wehrmacht de la rive gauche de la Seine. C’était le souci numéro 1 du haut-commandement de l’Ouest dont le GQG était à Margival, non loin de Soissons, et qui jamais ne transmit l’ordre néronien. Le retard de l’intervention de la 2ème DB a permis d’achever la manœuvre: le sud de l’Ile-de-France était déjà quasiment vidé de ses forces allemandes lors de la marche triomphale. Peut-être était-ce l’objet des négociations avec l’ambassadeur Nording.

    De plus, la destruction de Paris aurait sans doute gêné l’opération logistique complexe de la retraite allemande en perdant la maîtrise du cours fluvial par effondrement du système hydraulique.

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