Friedrich, ce migrant allemand qui a changé le destin de l’Amérique

La petite histoire d’un migrant allemand, au 19e siècle, qui affrontera les déconvenues et les coups du sort pour finalement réussir et construire l’Amérique d’aujourd’hui…

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Friedrich, ce migrant allemand qui a changé le destin de l’Amérique

Publié le 1 avril 2017
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Par Guillaume Nicoulaud.

Friedrich est né à Kallstadt, dans le royaume de Bavière, le 14 mars 1869. À la mort de son père, Johannes, alors qu’il n’a que 8 ans, c’est sa mère, Katharina, et ses cinq frères et sœurs qui héritent des vignes familiales et d’un bon paquet de dettes.

Katharina, jugeant Friedrich trop chétif pour le dur labeur des champs, décide d’en faire un barbier. Mais ce n’est pas à Kallstadt, modeste bourgade de mille âmes, que le garçon pourra exercer son art et ce, d’autant plus que l’âge de la conscription dans l’armée impériale allemande approche. Friedrich, qui n’a alors que 16 ans, décide d’émigrer aux États-Unis.

Des migrants jeunes, célibataires et pauvres

Nous sommes en 1885. Après une traversée de 12 jours à bord du Eider, le jeune Friedrich arrive au Castle Garden1 le 19 Octobre avec un bon millier de ses compatriotes.

Comme tous les migrants depuis la nuit des temps, ce sont majoritairement des hommes, ils sont jeunes, célibataires et plutôt pauvres. Friedrich n’échappe à aucune de ces règles mais il peut compter sur sa sœur et son beau-frère, qui vivent à New-York depuis déjà deux ans : avoir des contacts sur place, c’est une chance.

De fait, quelques heures à peine après avoir débarqué, il rencontre un barbier germanophone qui, coup de chance, cherche justement à embaucher. Le lendemain, Friedrich est déjà à l’œuvre et le voilà qui taille des barbes dans Little Germany, le quartier allemand de Manhattan2.

Se regrouper pour mieux s’intégrer

Ça aussi c’est une constante de l’histoire des migrants : de tout temps et à chaque fois que ça a été possible, ils se sont regroupés entre eux le temps d’adopter la langue, la culture et les codes de leur pays d’accueil.

Six années plus tard, avec quelques centaines de dollars d’économies en poche, Friedrich repart à l’aventure. Nous sommes en 1891 et le jeune Allemand déménage de l’autre côté des États-Unis, à Seattle, et se lance dans une nouvelle carrière : il sera désormais restaurateur. Il ouvre un restaurant dans le quartier chaud de la capitale du tout nouvel État de Washington3 ; restaurant qui, dans ses publicités, faisait état de ses « chambres pour dames » — c’est-à-dire qu’il faisait aussi office de bordel.

L’hostilité des nativistes

C’est à Seattle que Friedrich devient officiellement citoyen des États-Unis et, par la même occasion, se renomme Frederick pour essayer de faire oublier ses origines allemandes qui, à l’époque, lui valaient les foudres des « nativistes »4. C’est, là encore, une constante de l’histoire des migrations qui transcende les pays d’accueils et les pays d’origines : parce qu’ils sont généralement pauvres — raison pour laquelle ils quittent leur terre natale — et peu éduqués les immigrés sont toujours, aux yeux d’une part incompressible de la population, la source de tous les maux.

Toujours est-il qu’en 1892, sept ans après avoir débarqué du Eider, notre nouveau citoyen des États-Unis d’Amérique participe à l’élection de Benjamin Harrison ; laquelle, d’ailleurs, fût quelque peu mouvementée puisque son opposant Démocrate avait remporté le vote populaire mais perdu celui du collège électoral — ce qui n’est pas sans rappeler une affaire plus récente.

Enfin le succès

À partir de 1894, Frederick modifie son business model : il restera hôtelier, restaurateur et accessoirement tenancier de maison de joie, mais tentera désormais de faire cela dans les villes minières qui se développent un peu partout, à chaque ruée vers l’or. Après une première tentative avortée à Monte Cristo et un bref retour à Seattle, il participe à partir de 1898 à la ruée vers l’or du Klondike en ouvrant, avec son associé Ernest Levin, l’hôtel-restaurant Arctic à Bennett, en Colombie Britannique.

Cette fois-ci c’est la bonne. Si l’Artic n’est, au tout début, qu’une modeste tente, il va connaître un succès phénoménal qui permettra à Frederick d’en ouvrir d’autres et de diversifier ses activités — prostitution, jeux d’argent et vente d’alcool — jusqu’à constituer une véritable petite fortune. Mais en 1901, les autorités ayant manifestement l’intention de mettre fin à ce type d’activités, il décide de tout vendre… et de rentrer à Kallstadt en homme riche.

L’installation à New York

Ce retour aux origines ne durera qu’un an, juste le temps d’épouser Elisabeth Christ, la fille d’un voisin, avant de retourner s’installer à New York, mais dans le sud du Bronx cette fois. C’est là que naîtra leur fille aînée ; mais, Elisabeth ayant le mal du pays, la petite famille tentera un retour en Allemagne en 1904 ; retour qui s’avèrera impossible puisque Frederick y est désormais considéré comme un déserteur. Bref, le 30 juin 1905, ils s’installent définitivement à New-York où naissent leurs deux fils : Fred (1905) et John (1907).

Frederik poursuivra sa carrière d’hôtelier dans la grande pomme, faisant au passage l’acquisition de plusieurs biens immobiliers quand le sentiment anti-allemand, cette fois-ci à cause de la première guerre mondiale, le lui permettait jusqu’au 27 mai 1918, date à laquelle il succombe, comme des millions d’autres, à la grippe espagnole. On estime aujourd’hui qu’à sa mort, il avait accumulé une petite fortune immobilière de près d’un demi-million de dollars actuels.

Ce que Frederik ne pouvait pas savoir, c’est que son fils Fred, aidé de sa mère, reprendrait le flambeau paternel et développerait le petit patrimoine immobilier familial jusqu’à en faire une fortune colossale.

Il ne pouvait pas deviner, non plus, que 132 ans après qu’il ait débarqué du Eider, le 45ème président des États-Unis serait élu sur un programme visant à rejeter les émigrés comme lui à la mer. Et il pouvait encore moins deviner que ledit président ne serait autre que son petit-fils Donald Trump.

Sur le web

  1. Aujourd’hui Castle Clinton, c’est le premier centre d’accueil des immigrants des États-Unis avant l’entrée en service du centre de Ellis Island en 1890.
  2. Dans le Lower East Side de Manhattan, Kleindeutschland pour les germanophones ou Dutchtown pour les Irlandais restera jusqu’en 1904 le point de regroupement de la plupart des immigrés allemands à New-York qui, en 1855, était la troisième plus grande ville germanophone au monde après Vienne et Berlin. Lors du recensement de 2013, pas moins de 49 millions d’Américains déclaraient avoir des ancêtres allemands : 15% de la population.
  3. L’État de Washington n’est devenu le 42ème État des États-Unis que le 11 novembre 1889, deux ans avant l’arrivée de Friedrich.
  4. Lire, à ce propos, l’excellent As American as Apfelkuchen de Jackson Kuhl.
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  • Pour comprendre un peu mieux les Etas Unis, lire le livre « L’or » de Blaise Cendrars qui raconte comment John Sutter, un immigré Suisse qui a été ruiné par la ruée vers l’Or de 1848…

  • On comprend bien le message, pas de soucis !
    Pour autant, la vérité d’hier n’est pas forcément celle d’aujourd’hui.
    Ce serait bien long d’expliquer ici toute les différences entre un pays grand comme plus de 10 fois la France, sans passé historique et quasi non peuplé !
    J’appelle ça une escroquerie intellectuelle…
    Désolé.

    • « sans passé historique et quasi non peuplé »

      C’est vrai qu’en 1900, les USA n’étaient pas peuplés et n’avaient aucun passé historique… d’ailleurs Christophe Colomb venait de découvrir l’Amérique…

      • – Recensement 1890 : 62M d’habitants sur 9millions de km2…
        http://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1892_num_1_3_18072
        Ca laisse encore un peu de place à l’immigration non ?

        – Naissance des USA libéré des anglais 1783…
        La France n’avait même pas fait sa révolution effectivement et on peut comparer le passé historique de ces deux pays bien sûr…

        Le sujet de l’article étant qu’en creux l’immigration en France ne devrait pas poser autant de problème ou en tout cas pas plus qu’au USA en 1890 !

        • « Ca laisse encore un peu de place à l’immigration non ? »

          C’est vrai qu’avec une densité de 112 habitants par km2, il n’y a plus de place pour les migrants dans la France d’aujourd’hui…

  • Donald Trump n’a jamais eu l’intention de rejeter les émigrés à la mer, seulement de limiter les musulmans et les clandestins sud-américains! C’est de la calomnie!
    D’autre part, dès leur naissance les USA ont limité l’immigration en 1790 et 1798, puis établit des quotas stricts par pays, limitant sévèrement l’immigration.
    Donc Trump ne fait rien de nouveau!

    • « des quotas stricts par pays, limitant sévèrement l’immigration »

      C’est bien connu, il n’y a jamais eu d’immigration massive aux États-Unis entre 1860 et 1920 !
      Populations des USA : 31 millions d’habitants en 1860, 62 millions d’habitants en 1890, 75 millions d’habitants en 1900 et 105 millions d’habitants en 1920.

      • On ne nie pas l’immigration massive, monsieur Raphaël qui ne sait pas lire ou qui ne comprend pas ce qu’il lit! On informe juste que les USA l’ont dès le départ limité, puis institué des quotas par pays avec le Quota Emergency Act en 1921.
        Donc rien de neuf

        • « limitant sévèrement l’immigration »
          « On ne nie pas l’immigration massive »

          Si, je sais lire. En revanche, de votre côté, il semble que les mots n’ont plus beaucoup de sens.

  • Je vous invite à lire ça sur ce sujet :
    http://www.causeur.fr/liberalisme-multiculturalisme-gauchisme-macron-43208.html

    Je sent poindre une infiltration très gauchisante se cachant derrière le mot libéralisme, chez pas mal d’auteurs et de lecteur sur contre points.Surtout sur les sujets sociétaux. Macron en étant le point culminant (Crime contre l’humanité, il n’y a pas de culture française etc.)
    En économie le socialisme et sa pensée gauchisante ayant prouvé sa faillite totale, ils ne leur reste plus que le sociétale !
    Le danger est encore bien plus grand.
    Une économie met quelques dizaines d’années à se relevé du socialisme (Cf RDA- Roumanie etc…)
    Je pensée que ce même mode de pensée appliqué à la société amène une destruction totale dont on ne se relève pas…
    L’enjeu est bien plus grand !
    Je suis libéral et conservateur.
    Je m’appuie sur ce que nos ancêtres ont laissé de bien et ne m’excuse pas de leurs erreurs. J’avance.
    Je réfute ce faux libéralisme !

    • Au contraire, CP est malheureusement envahi de droiteux depuis maintenant quelques années. Et je ne parle pas seulement des commentaires mais également des auteurs. Beaucoup de conservateurs (voire pire) essayant de se faire passer pour des libéraux, mais qui en fait n’acceptent que le libéralisme économique.

      Au début, il y avait surtout des gauchos qui venaient troller sur CP. Maintenant on doit se taper les gauchos ET les droiteux! Misère…

      Enfin, quand on connaît Guillaume Nicoulaud (qui écrivait auparavant sous le pseudo de Georges Kaplan), on ne peut que doucement rire de voir certains ignares l’associer de près ou de loin au socialisme ou aux gauchos. Quand on ne sait pas, on ne parle pas.

      • mais non mais c’est sûr c’est un poisson d’avril cet article
        Si c’est pas cet article, quel est l’article poisson d’avril de ce site aujourd’hui, hein ?

  •  » Il ne pouvait pas deviner, non plus, que 132 ans après qu’il ait débarqué du Eider, le 45ème président des États-Unis serait élu sur un programme visant à rejeter les émigrés comme lui à la mer.  »
    Cette remarque caricaturale est une contre vérité qui n’engage que son auteur. Trump a toujours pris soin de distinguer les immigrés illégaux sources de délinquances et d’insécurité, des autres. Jusqu’à souhaiter la bienvenue aux Mexicains qui immigrent par les voies officielles. Mais ce discours a peut échappé à M, Nicoulaud – comme aux médias en général de ce côté-ci de l’Atlantique – dont le narratif soigneusement construit voulait arriver à cette conclusion qu’il trouve sans doute esthétique et annoncée par la titre qui s’explique donc… à posteriori.
    L’histoire de Friedrich est toutefois intéressante et il est plaisant de voir que les ancêtres de Trump ont investis déjà dans l’immobilier, l’hôtellerie et les casinos ! Une tradition ou un destin familial ?

    • Comme si le fait d’être immigré illégal ou non avait un quelconque rapport avec la délinquance. Au contraire, l’immigré illégal a plutôt tendance à se faire discret, à se « tenir à carreau » par peur de se faire expulser (les USA ne sont pas la France).
      D’autre part le côté « illégal » de l’immigration relève de l’arbitraire étatique et non du Droit (remarquez le D majuscule. Et si vous ne comprenez pas cette remarque sur la majuscule, vous ne pourrez comprendre le sens de la phrase).

      • Ce qui est bien avec Mateo c’est qu’en 2 remarques, on constate que c’est LUi le sachant. Circulez y a rien à voir.
        Et qu’ensuite ses commentaires sont sans appel, l’arbitraire ne s’applique pas lui, les arguments c’est pour les autres…

        Quant au poncif au sujet d’une personne qui est de telle ou telle orientation et qu’il n’en changera jamais, les bras m’en tombe devant tant de bêtise…
        L’exemple le plus « médiatique » actuel étant Filkenkraut qui de gauchiste bien ancré à gauche, dans les nnées 80, est traité de facho d’extrême droite par les « mateo » d’aujourd’hui qui savent tout et qui vous disent de vous taire !
        Pathétiques commentaires…

      • @ Mateo

        La réalité est plus compliquée: un « illégal » donc « sans papier » peut trouver du travail mais souvent au rabais: mal payé, exclu des organismes de sécurité sociale, en fait « exploité », il reste une sorte « d’indépendant précaire », licenciable sans complication, d’où leur présence sur les chantiers, forcément provisoires, de la construction ou saisonnier pour les récoltes de fruits.

        Ils restent d’habitude expulsables, même avec des enfants scolarisés, un certain revenu, un logement et éventuellement une intégration sociale.

        Mais leur valeur bien réelle ne les met pas à l’abri de l’expulsion!

        Et ils participent involontairement à l’économie « noire » ou « non déclarée », quand ce n’est pas au coût plus modéré de la construction ou à la productivité agricole!

        Ils risquent pourtant de rester « non reconnus » en tant que citoyens: situation donc peu enviable et précaire: seuls un mariage avec un citoyen reconnu ou un patron compréhensif leur signant un contrat de travail peuvent parvenir à les faire intégrer légalement.

        Actuellement, les « vrais réfugiés » reconnus ont un statut, les « illégaux » sont à la merci d’une officialisation par un gouvernement qui y voit évidemment son propre intérêt et éventuellement, l’intérêt du pays surtout avec des illégaux quasi intégrés, donc utiles à l’économie nationale.

        Ce sujet reste donc délicat et très conjoncturel. Mais la politique a cette différence avec le libéralisme de Contrepoints, que la politique se doit d’être réaliste et pragmatique, grâce à son pouvoir de légiférer sur une « exception », quand le libéralisme de Contrepoints reste rigide, pur et théorique, ce qui ne l’aide pas à se traduire concrètement en politique.

        J’habite hors de France où les partis dits « libéraux », n’étant pas seuls à décider, n’ont évidemment pas cette « pureté théorique » mais composent obligatoirement avec des partenaires d’autres « chapelles » ou restent très minoritaires et dans l’opposition, condamnant plus que construisants.

        C’est une question de choix!

        • Tout-à-fait d’accord! Ton commentaire va dans le même sens que le mien: l’immigré illégal n’a pas spécialement d’impact à la hausse sur la délinquance et l’insécurité.

  • Si seulement les indiens natifs des USA avaient pris cette résolution à leur époque.

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