Murray Rothbard : « État, qu’as-tu fait de notre monnaie ? »

La leçon de Murray Rothbard de l’Ecole autrichienne d’économie, sur la beauté de la monnaie et son accaparement désastreux par l’État.

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Murray Rothbard : « État, qu’as-tu fait de notre monnaie ? »

Publié le 21 novembre 2016
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Par Nathalie MP.

Etat, qu’as-tu fait de notre Monnaie, Murray Rothbard
Etat, qu’as-tu fait de notre Monnaie, Murray Newton Rothbard (1963), traduction de Stéphane Couvreur, Editions de l’Institut Coppet (2011)

Les nouvelles monnaies telles que le Bitcoin sont terriblement intrigantes car elles se présentent sous des dehors hautement techniques qui pourraient facilement passer pour rebutants. Qualifiées de cryptées, ce qui les rend déjà très mystérieuses, elles fonctionnent selon des protocoles informatiques complexes qui, même expliqués simplement, paraissent très éloignés des besoins du citoyen moyen pour échanger.

Aussi, il me semble que si l’on a tant de difficultés à appréhender le phénomène Bitcoin, c’est non pas parce que nous, public général, sommes de piètres informaticiens, mais avant tout parce que nous avons oublié ce qu’est la monnaie, habitués que nous sommes à la considérer comme part intégrante de la souveraineté nationale, entièrement gérée par l’État au même titre que la police ou l’armée.

Murray Rothbard, l’homme qui détestait la coercition

Murray Rothbard (1926 – 1995) est un économiste libéral américain. Très bon élève dès l’enfance, il poursuit des études supérieures à l’université de Columbia où il obtient des diplômes en mathématique, en économie et en philosophie politique. Fervent défenseur de la non-agression, partisan de l’économie du Laissez-faire, et convaincu que toute coercition étatiste est illégitime, il se rapproche de l’anarcho-capitalisme.

Au début des années 1950, il suit les séminaires de Ludwig von Mises, économiste de l’Ecole autrichienne d’économie. Il est fortement influencé par son imposant ouvrage L’action humaine (1949), lequel, englobant toutes les branches de l’économie, vise à montrer combien les idées fausses, et notamment toutes les expériences socialistes, sont porteuses de désastres.  En 1982, il participe à la fondation du Ludwig von Mises Institute dont il sera vice-président jusqu’à sa mort.

Parmi ses nombreux travaux, on peut citer America’s great depression (1963) dans lequel il montre que l’effondrement de l’économie n’était pas la résultante d’un quelconque capitalisme sauvage, mais bien celui d’une interférence gouvernementale dans l’économie en raison de la bulle provoquée par une politique monétaire expansionniste pendant toutes les années 1920.

Quand Murray Rothbard accuse l’Etat d’avoir dévoyé la monnaie

En 1963 toujours, Rothbard porte cette idée d’un dévoiement de la monnaie par l’Etat devant le grand public avec son pamphlet Etat, qu’as-tu fait de notre monnaie ? Simple et alerte, ce petit ouvrage a aussi trouvé un large écho chez nombre d’étudiants, professeurs, économistes et homme politiques. Il parait que Ron Paul, ex-membre du congrès des Etats-unis et plusieurs fois candidat républicain ou libertarien à la présidence américaine, est entré en politique à la suite de sa lecture ! De fait, il est partisan de l’abolition de la FED, la banque centrale américaine.

Dans une première partie, Murray Rothbard raconte l’émergence historique de la monnaie et montre que la liberté peut produire un système monétaire qui fonctionne tout aussi bien que n’importe quel autre champ de l’économie. Il en résulte à la fois ordre et efficacité.

En revanche (seconde partie), chaque fois que l’État se mêle de réguler ou corriger ou encourager tel ou tel comportement, la réalité des prix est perdue et il faut adopter de nouvelles mesures pour corriger les mauvais effets des corrections, et ainsi de suite jusqu’à la crise finale.

Mais s’agissant des États, il est de toute façon beaucoup trop bienveillant de s’imaginer qu’ils s’immiscent dans le marché de la monnaie par pur souci de maintien de l’ordre et de la justice, pour prévenir les fraudes ou les abus. Voyez comment les représentants de nos États s’insurgent aujourd’hui contre les monnaies cryptées en les accusant de participer au financement d’activités illégales telles que drogues, prostitution et trafic d’armes, comme si ces trafics n’existaient pas avant l’apparition des ordinateurs !

Il convient de se rappeler que les États et ceux qui vivent à leurs crochets doivent se financer. Quand trop d’impôt tue l’impôt, quand le « ras-le-bol fiscal » devient ingérable, il n’y a rien de tel qu’une bonne petite inflation pour ponctionner les citoyens sans douleur. Aussi, l’explosion du monopole monétaire serait une catastrophe pour les États qui y perdraient beaucoup de ressources et un formidable levier de contrôle sur l’ensemble de l’économie.

La monnaie dans une société libre

A l’origine de tout, il y a l’échange. Aucune société ne pourrait se développer sans échange tant les ressources naturelles et les aptitudes de chaque homme sont variées. L’échange direct, ou troc, ne permet cependant pas de satisfaire parfaitement les besoins, car il est très difficile de parvenir à échanger convenablement une charrue contre des chaussures (problème de la divisibilité) et il est également douteux que le propriétaire prêt à céder sa charrue trouvera au même moment quelqu’un disposé à lui céder ses chaussures (problème de la coïncidence).

La solution réside dans l’échange indirect qui consiste à échanger un bien A (la charrue) non pas contre un autre bien B (des chaussures) dont on a immédiatement besoin, mais contre un bien C (du beurre) qu’on va garder pour le vendre plus tard contre le bien B dont on a besoin. Le bien C, le beurre, c’est une monnaie en train d’apparaître. L’intérêt du beurre vient de ce qu’il est divisible et qu’il est plus facilement échangeable qu’une charrue ou des chaussures.

On voit donc ce qui caractérise une monnaie : c’est un bien utile, recherché pour lui même et pour des caractéristiques supplémentaires d’échangeabilité. On voit aussi que nul diktat asséné d’en haut n’a présidé à son émergence, c’est l’expérience des hommes, c’est le marché libre, qui a tout fait. Au fil du temps, les hommes se sont fixés sur différents moyens d’échange, sucre, sel, coquillages etc…, mais  deux biens ont fini par dominer les autres : l’or et l’argent, l’unité monétaire étant une unité de poids de ces marchandises.

Abordons maintenant la question de la quantité de monnaie. Supposons un marché avec une seule monnaie qui serait l’or. L’offre totale de monnaie est donc le poids de tout l’or disponible dans la société. Ce stock augmente naturellement par la production des mines d’or et diminue par l’usure des pièces. Pour obtenir la « bonne » quantité de monnaie, faudrait-il l’indexer sur la croissance démographique, ou sur l’évolution du volume des échanges, ou sur la production ?

Pour Rothbard, ces  questions passent à côté d’un point essentiel : la monnaie, considérée dans la perspective d’un échange, et non pour être consommée comme des oeufs ou des chaussures, est différente de tous les autres biens dans la mesure où l’accroissement de l’offre de monnaie pour une demande identique aboutit à la baisse du pouvoir d’achat de la monnaie :

« Une augmentation de l’offre de monnaie fait baisser son prix – comme avec n’importe quel bien. Mais cette augmentation ne procure aucun bénéfice social – contrairement aux autres biens. La population ne devient pas plus riche. Tandis qu’une augmentation des biens de consommation ou de production améliore notre niveau de vie, la monnaie supplémentaire fait monter les prix – et cela dilue son propre pouvoir d’achat. »

On en déduit que la quantité de monnaie disponible n’a pas d’importance. Le marché est capable de produire une quantité suffisante d’or qui sera en permanence ajustée avec le pouvoir d’achat de l’unité monétaire.

Signalons maintenant que pour des questions pratiques, les stocks d’or (ou d’argent ou d’autres marchandises sélectionnées par le marché) ont fini par ne plus être déplacés physiquement à chaque échange. Les acteurs économiques laissent leur or dans un entrepôt (une banque) et s’échangent des certificats de dépôt (billets, compte en banque). Ces derniers sont des « substituts monétaires », ils n’ont aucune incidence sur l’offre de monnaie dont le stock reste inchangé. Jusque là, tout va bien.

La monnaie est donc une excellente chose qui a permis à l’humanité de se développer, mais étant au coeur de toutes les activités économiques de la société, elle était vouée à attirer la convoitise et les manipulations torves des États.

Quand l’État se mêle de la monnaie

Murray Rothbard commence par rappeler que l’État n’est pas un agent économique comme les autres :

« L’État, contrairement à n’importe quelle autre organisation, ne tire pas ses revenus de la vente de ses services. (…) il (lui) suffit de trouver le moyen de prélever plus de biens, même sans le consentement des propriétaires. »

Le premier moyen est l’impôt dont le prélèvement fut grandement facilité par le passage du troc à l’échange monétaire. Mais l’impôt peut provoquer des mécontentements, parfois même des révoltes populaires, il connait donc des limites que l’emprise de l’État sur la monnaie va permettre de dépasser.

Avant l’apparition des substituts monétaires que sont les billets et les comptes en banque, l’État avait moins de latitude pour contrôler la monnaie et il devait se limiter à des petites fraudes sur le poids en or ou argent des pièces utilisées. Les substituts monétaires ont élargi son champ d’action en permettant d’en augmenter la diffusion sans contrepartie métallique. Ceci s’appelle l’inflation. Elle n’a aucune utilité sociale mais profite à une partie de la société au détriment du reste de la population. C’est purement et simplement un vol organisé par l’État qui prétend par ailleurs monopoliser la monnaie pour éviter les fraudes.

C’est finalement à travers la création des banques centrales, lesquelles sont fortement identifiées à un sentiment national et institutionalisent aux yeux du public l’impression de bénéficier d’une gestion moderne et rigoureuse des affaires financières, que les États se sont dotés de tous les leviers pour contrôler l’offre de monnaie et l’ajuster à leurs besoins.

Ils ont ainsi toute facilité à faire sortir de la monnaie de nulle part pour se financer sans avoir à vendre des biens et services ni à extraire de l’or. Les techniques sont nombreuses, de la planche à billets au « quantitative easing » (écriture comptable dans les livres des banques centrales) mis en oeuvre ces derniers temps dans l’Union européenne et aux États-Unis.

La coercition amène le chaos

Pour Rothbard et tous les libéraux de l’école autrichienne d’économie, la coercition dans la monnaie, comme toutes les coercitions, a amené le chaos et des perspectives de crises sans fin. Selon eux, la seule façon d’éviter un effondrement monétaire résiderait dans le retour à une monnaie marchandise telle que l’or et le retrait total de tous les États du marché monétaire, très capable de se gérer par les interactions éclairées d’acteurs libres.

Vu la façon hargneuse dont les cryptomonnaies, qui ne sont rien d’autre que des monnaies privées répondant exactement et uniquement aux besoins de leurs opérateurs, sont accueillies par les responsables politiques, on sent que ce voeu de Murray Rothbard n’est pas à la veille d’obtenir satisfaction.

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  • Mmh. Cette vision du libéralisme poussé à l’extrême…n’est elle pas un extrémisme? Aussi utopique et dangereux que le socialisme…?

    • « SocialLibéral » n’a pas beaucoup de sens non plus….

    • C’est surtout l’explication la plus crédible que l’on ait sur les crises économiques, car la théorie des cycles qui est adoptée par nos instances dirigeantes n’a pas été capable de prédir la déflation actuelle, elle prévoyait le contraire (crise 2008 + QE = reprise + inflation).
      Du coup nous sommes desemparé devant la mollesse de la croissance entre deux crises, alors que l’école autrichienne l’avait bien prédit.
      Mais il ne faut pas se faire d’illusions, le passage d’une économie étatise à une économie libérale predra beaucoup de temps : il faudra seuvrer des populations entières accro à l’argent public pour pouvoir réduire les prélévements obligatoires.

    • Cette vision du libéralisme poussé à l’extrême

      Hum, lâchez-vous un peu, osez : ultra-méga-giga-turbo-néo libéralisme :mrgreen:

  • Un grand merci à Nathalie MP pour avoir résumé cet excellent petit livre de Murray Rothbard. Encore meilleur du même auteur « The Mystery of Banking », malheureusement non traduit en Français mais à lire absolument par tous ceux qui s’intéressent aux questions monétaires. Téléchargeable sur le site du Ludwig von Mise Institute (https://mises.org/search/site/the%20mystery%20of%20banking).

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