Par Mathieu Bédard
Un article de l’Institut économique de Montréal
Dans l’Introduction à son plan budgétaire déposé plus tôt cette semaine, le ministre canadien des Finances Bill Morneau annonçait un déficit de 29,4 milliards de dollars pour l’année 2016-2017, soit 1631 $ par contribuable imposable, et des déficits totalisant 113 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années1.
L’un des arguments évoqués par le document en faveur de cet endettement important est que la dette totale du Canada est aujourd’hui bien plus faible que celle des autres pays du G7, ce qui donne une marge de manœuvre au gouvernement fédéral pour s’endetter davantage. Cette comparaison se base cependant sur la dette nette (voir Figure 1, qui reproduit le graphique du document budgétaire), ce qui fausse le portrait. L’utilisation d’une autre mesure, celle de la dette brute, montre un paysage fiscal bien différent.
Pourquoi il faut plutôt utiliser la dette brute
L’utilisation de la dette nette ne traduit pas la réalité budgétaire des gouvernements. La dette nette est une mesure où les actifs financiers ont été retranchés de la dette brute2. Dans le cas du Canada, la dette nette est la dette à laquelle ont été soustraits, par exemple, les actifs des régimes de retraite de la fonction publique, ou encore les liquidités que détient le gouvernement sous forme de dépôts, de dollars, ou tout autre actif financier monnayable.
L’hypothèse qui mène à utiliser la dette nette plutôt que la dette brute est que si le gouvernement devait un jour faire face à une crise de l’endettement, chose qui n’est pas à l’horizon du Canada, il pourrait vendre ces actifs pour rembourser sa dette. Cette vision, défendue par le précédent gouvernement dans son budget 20153, s’appuie sur le fait que la mesure de la dette brute désavantage le Canada dans les comparaisons internationales. Ceci est dû au fait que le Canada a beaucoup plus d’actifs financiers que la plupart des autres pays pour provisionner les retraites de ses fonctionnaires, ce qui implique un plus gros montant à soustraire de sa dette brute.
Le problème avec l’utilisation de cette mesure vient du fait qu’elle est essentiellement une fiction comptable. L’État, même en période de crise, ne pourrait pas se défaire de ses actifs financiers pour rembourser sa dette puisqu’il a toujours besoin de liquidités pour ses opérations normales et il a toujours besoin de provisionner les retraites futures de ses fonctionnaires. On imagine mal un gouvernement se rendre volontairement incapable d’assurer sa propre gestion pour cause de manque de liquidités et vendre les actifs des retraites de ses fonctionnaires afin de rembourser ses créanciers.
De plus, ce n’est pas sur la dette publique nette que le gouvernement paie des intérêts, mais bien sur la dette brute. Selon le plus récent budget, les frais de dette publique brute s’élèvent aujourd’hui à 25,7 milliards de dollars et s’élèveront à 35,5 milliards de dollars en 2020-20214. Ce sont ces paiements d’intérêts qui empêchent les baisses d’impôts et limitent la marge de manœuvre du gouvernement, ce qui n’a rien à voir avec la dette nette5.
Lorsqu’on compare la dette publique brute du Canada à celle d’autres pays, le portrait est sensiblement différent. En utilisant la dette brute au lieu de la dette nette, l’endettement du Canada en pourcentage du PIB passe de 38 % à 90 %. Comme on peut le voir sur la Figure 2, le Canada se retrouve alors très près de la moyenne des autres pays du G7. La marge de manœuvre importante que prétend avoir le gouvernement fédéral lorsqu’il compare le Canada aux autres pays n’existe donc pas et ne permet pas de justifier les importants déficits à venir annoncés dans le budget.
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- Gouvernement du Canada, Budget 2016, déposé à la Chambre des communes par le ministre des Finances, 22 mars 2016, p. 270. ↩
- Fonds monétaire international, Perspectives de l’économie mondiale : Croissance inégale Facteurs à court et long terme, avril 2015, p. 171. ↩
- Gouvernement du Canada, Budget 2015, Annexe 2 – Comparaisons internationales de la dette, 21 mars 2015. ↩
- Gouvernement du Canada, op. cit., note 1, p. 278. ↩
- Pour un argument similaire au sujet de la dette nette et la dette brute du Québec, voir Francis Vailles, « Bonnes et mauvaises nouvelles sur la dette », La Presse, 29 mai 2015.​ ↩
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