Par Éric Verhaeghe.
Emmanuel Macron, qui s’est enrichi lorsqu’il était salarié d’une banque d’affaires et qui n’a jamais travaillé à son compte, défend une idée toute sociale-démocrate de l’entreprise. Dans son esprit, l’entreprise, ce sont d’un côté des capitalistes héritiers qui possèdent une structure juridique et la rentabilisent, de l’autre des salariés qui lui prêtent leur force de travail à des coûts plus ou moins élevés. Mais de la prise de risque et de la création de valeur par un travail indépendant, ce que nous appelons historiquement l’entreprise, cette idée-là, il l’ignore superbement et n’en soupçonne peut-être pas l’existence.
On ne peut évidemment entendre autrement les propos qu’il a tenus sur le RSI dont il faut ici décoder le sens.
Le RSI, ce hold-up du siècle
Peu de Français comprennent le RSI. Il faut donc bien commencer par en rappeler succinctement le sens et l’origine.
Dans les années 1930, la France avait développé une protection sociale obligatoire pour les plus bas salaires et une liberté de couverture et d’affiliation pour les autres, notamment pour les artisans. En pleine séquelles de la crise de 1929, ce choix comportait une certaine dose de courage malgré les « trous dans la raquette » qu’il maintenait.
En 1945, Alexandre Parodi et Pierre Laroque, conseillers d’État, mirent en place la Sécurité sociale qu’ils avaient en vain proposée à Vichy durant les premiers mois du régime de Pétain dont ils furent, ils l’ont dissimulé par la suite, de zélés collaborateurs. Ce système bureaucratique rendait obligatoire l’affiliation de toutes les personnes actives à un régime unique de protection sociale. Vichy en avait repoussé l’idée à l’époque par crainte d’une « collectivisation » de l’économie. Les technocrates du gouvernement provisoire profitèrent des circonstances de la Libération pour la mettre en pratique.
Contrairement à la légende forgée de toutes pièces depuis cette époque par les idéologues du solidarisme bureaucratique, la mise en place d’un régime unique de Sécurité sociale suscita dès 1945 des réactions et des résistances très virulentes au sein de la société française. Les premières marques d’hostilité vinrent d’ailleurs de la CGT : celle-ci refusa catégoriquement la suppression de ce qui fut appelé par la suite les régimes spéciaux, beaucoup plus favorables que le régime général.
Dès 1947, les cadres créèrent l’AGIRC et l’ARRCO et, surtout, les indépendants refusèrent d’être absorbés par le régime général pour des raisons qui sont mot pour mot celles qui nourrissent la haine des indépendants contre le RSI aujourd’hui.
Égrenons-en quelques-unes :
- obligation d’affiliation à une couverture unique qui ne correspond pas au libre choix des individus,
- taux de cotisations usuraires destinés à financer l’assistanat,
- rigidité d’un système qui épouse mal les fluctuations d’activité de l’entreprise,
- subordination à une caste de bureaucrates appelés « inspecteurs URSSAF » qui ne sont rien d’autre que des fonctionnaires rentiers de la solidarité,
- faibles performances sociales d’un système qui coûte cher et qui indemnise mal.
Bref, le Régime unique de Sécurité sociale pour les Indépendants est une idée aussi idiote et mortifère pour l’entreprise que l’engagement dans la légion étrangère pour un artiste ou la pratique quotidienne de la boxe pour un pianiste.
Le RSI, la revanche haineuse de la technostructure sur les indépendants
En 1947, les indépendants remportèrent une grande victoire en échappant à leur intégration dans le régime général de la Sécurité sociale.
La France de l’époque avait du bon : malgré l’émotion de la Libération, les forces sociales étaient encore en position de résister aux logiques hégémoniques de la technocratie. Certes, à cette époque, les présidents de la République en tartinaient moins sur le dialogue social, sur la démocratie sociale, sur les grandes conférences sociales et autres balivernes qui dissimulent tant bien que mal la rupture profonde entre le pouvoir politique et la société. En revanche, ils évitaient de violer le corps social en imposant sans mollir des réformes inventées dans les couloirs hors sol des ministères dont le premier résultat est de braquer ceux qui créent de la valeur.
Depuis 1947, la technostructure n’a jamais pardonné aux indépendants cette espèce de victoire au Camp des Éperons d’Or remportée sur l’idéologie solidariste. Il fallait bien que cette humiliation historique fût, tôt ou tard, payée amèrement.
C’est à cette œuvre de vengeance que deux conseillers d’État devenus ministres se sont employés en 2005. L’ordonnance de Philippe Bas et Renaud Dutreil, sous l’autorité de Jean-Pierre Raffarin, constitua une première réparation du dommage de guerre. En fusionnant les trois caisses existantes pour les indépendants en une entité unique, ces technocrates revanchards ont créé les conditions d’une future fusion avec le régime général.
Pour y parvenir, la logique était double.
D’une part, le gouvernement créait une unité dans un système disparate, ce qui était une étape préparatoire à une future absorption par la Sécurité sociale.
D’autre part, il dégradait délibérément les conditions de gestion du régime en sous-dimensionnant la structure de portage, pour rendre sa survie impossible à long terme.
De façon très logique, Emmanuel Macron se propose aujourd’hui de finir le travail en réalisant l’étape ultime d’un projet quasi-séculaire : l’intégration des indépendants dans une Sécurité sociale de salariés.
Détruire le travail indépendant, une obsession de la technostructure
Pour bien comprendre les motivations de la technostructure dans ce projet à long terme, il faut reprendre quelques statistiques économiques.
En 1970, la France comptait encore 4,5 millions de travailleurs indépendants contre 17 millions de salariés. Il y a près de cinquante ans, le travail indépendant représentait 20 % de l’économie française. En 2015, la France ne compte plus que 2,5 millions d’indépendants pour 23 millions de salariés. Le travailleur salarié s’est donc proportionnellement et en valeur absolue réduit de moitié dans la société française.
Pareil mouvement démographique ne tient ni du hasard ni de l’échec. Il répond à une tendance longue justifiée par une logique économique dont les formes historiques sont évidentes.
La tendance longue est celle d’une caporalisation grandissante de la société par la technostructure d’État, d’une instrumentalisation politique du salariat au service d’une vision bureaucratique hégémonique. Contrairement aux grotesques idées reçues sur un prétendu triomphe du néolibéralisme dans nos sociétés, l’histoire de la société française depuis cinquante ans est celle d’une lutte sans merci de l’appareil d’État contre l’esprit d’entreprise.
Les formes historiques de cette lutte sont bien connues
La première est celle de l’instabilité et de l’inflation réglementaire qui rendent impossibles l’exercice normal du métier de chef d’entreprise. On oublie trop souvent de dire que le changement permanent des lois et des règlements est la première restriction apportée à la libre concurrence : elle pénalise lourdement les petites structures pour lesquelles les coûts d’acquisition des connaissances réglementaires sont très élevés.
La deuxième forme de lutte contre l’esprit d’entreprise est la pénalisation grandissante des décisions de gestion. L’ubuesque réglementation sur les abus de biens sociaux, sur le harcèlement moral, sur le délit d’entrave syndical, la complexité des règles applicables dans ce domaine, transforment le chef d’entreprise en délinquant permanent qu’il est facile de coincer quand il n’obéit pas assez.
Une troisième forme historique de la lutte contre l’esprit d’entreprise est fiscale : le chef d’entreprise est soumis à une véritable confiscation de son chiffre d’affaires par les pouvoirs publics. Pour dégager 25 000 euros de revenus, il faut 100 000 euros d’excédent brut d’exploitation. C’est évidemment intenable.
Bas, Dutreil, et bientôt Macron, ont ajouté à cet impressionnant arsenal la lutte sociale. Elle s’appelle aussi la quadrature du cercle ou le RSI. Son objet est de bureaucratiser la vie privée du chef d’entreprise en l’obligeant à adhérer à un système de Sécurité sociale qui l’assomme de prélèvements souvent indus, parfois plusieurs dizaines de milliers d’euros sans raison, et de taux de cotisations prohibitifs pour un résultat médiocre.
Le projet politique de la technostructure
Derrière ces éléments tactiques se cache bien entendu une stratégie. La technostructure entend bien mener à terme son projet de domination sociale.
D’un côté, la technostructure souhaite tout savoir de tout le monde, de tous les Français. Dans ce dessein, la Sécurité sociale tient une place essentielle puisqu’elle permet de donner un visage positif, « solidaire » à un grand système de collecte très intrusif de données sur les individus. Certes, vous n’avez rien demandé mais comme on vous aime, on va vous soigner, prévoir votre retraite et en contrepartie vous allez tout nous dévoiler sur vos petits secrets.
D’un autre côté, pour ce qui la concerne la technostructure entend bien s’exonérer des obligations « universelles » qu’elle impose aux Français. La technostructure conserve son propre régime de retraites, dont le déficit est financé à guichets ouverts par l’impôt, avec ses règles de calcul hyper-favorables et ses taux de remplacement hallucinants quand on connaît la réalité du secteur privé.
Un projet de domination globale par les hauts fonctionnaires : c’est cela qu’il faut entendre dans la bouche d’Emmanuel Macron. La question qui reste est de savoir si la technostructure agit pour son propre compte, ou si elle agit pour le compte d’autrui. Une chose est sûre : elle œuvre à la servitude de la société française comme un tanneur travaille son cuir. Avec patience mais détermination.
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Lire sur Contrepoints notre dossier RSI
Lucide, glaçant !! et très juste…
Exact. Une démonstration sans faute. Ainsi avec tous les parasites , point d’avenir. Mais, au fait, on fait comment pour éteindre la technostructure?
« En 1970, la France comptait encore 4,5 millions de travailleurs indépendants contre 17 millions de salariés. Le travail indépendant, il y a près de cinquante ans, représentait 20% de l’économie française. En 2015, la France ne compte plus que 2,5 millions d’indépendants pour 23 millions de salariés. »
Est-ce que ce ne serait pas en partie dû au fait qu’aujourd’hui des indépendants dont la structure juridique est une SAS par exemple sont directement rattaché au régime générale et non au RSI ?
Au-delà de ça, pouvez vous me fournir la source des chiffres que vous avancez s’il vous plaît ?
D’accord avec vous concernant les médecins, mais ma remarque était plus générale. En effet, ces chiffres vont un peu à l’encontre de ce que je pensais, étant donné la mise en place de dispositif comme le statut d’auto-entrepreneur qui, même s’il sert dans la majorité des cas comme simple complément de revenu, simplifie quand même la transition de nombreuses personnes vers un statut indépendant.
Serait-ce alors plutôt dû à une baisse du nombre d’artisans et de petits commerçants ?
Difficile à dire, vraiment, et j’attends impatiemment la source de l’auteur.
Je suis tout seul dans ma SAS. J’ai des amis qui sont indépendants en portage. Le statut de travailleur indépendant peut en effet prendre différentes formes.
« Un projet de domination globale par les hauts fonctionnaires »
Qu’attendre d’autre d’un pays dirigé par des fonctionnaires ?
Merci pour cet article lucide.
Que faire alors ?
La réponse tient en 4 nombres : 54, 57, 67 et 68.
Simplement les Nos de départements limitrophes de l’Allemagne et du Luxembourg qui permettent à la fois de bénéficier du régime social de ces pays en s’y installant professionnellement, tout en restant résidant fiscal français. Assurance 100% privée pour les indépendants en Allemagne, par exemple. Soyons bien clair, ça veut dire que vous payez une assurance dont le coût ne dépend pas de votre revenu.
Et bien sûr en bénéficiant de l’IR français qui est l’un des plus bas en Europe (paradoxalement, ce qui illustre bien la fausseté du débat sur l’imposition quand ce sont les charges sociales qui vous étouffent).
Il faut vraiment être masochiste pour continuer à travailler en France.
Merci infiniment pour cette excellente analyse que je partage à tout point de vue, et c’est un chef d’entreprise au RSI qui vous le dit.
D’autre part, ne pensez-vous pas que si la situation s’accélère c’est parce que la technostructure a compris que l’incompétence et l’indigence endémiques du RSI ayant atteint un seuil de non-retour, il vaut mieux pour elle agglomérer les indépendants au régime général, plutôt que de les voir s’intéresser de trop près aux alternatives que pourraient proposer les assurances privées, si par bonheur demain un gouvernement moins collectiviste venait aux affaires ou si des décisions européennes garantissaient la liberté de choix ?
Ne croyez-vous pas qu’il n’est rien de mieux pour cela que d’utiliser Canada Dry Macron (ça a la couleur du libéralisme, le goût du libéralisme… mais ce n’est pas du libéralisme) pour faire passer une décision de verrouillage social pour une harmonisation des régimes ?
Bref, ce soudain élan de solidarité n’a-t-il pas d’autres buts que de sauver les meubles et de tuer dans l’œuf toute prise de conscience libérale avant que cela ne devienne incontrôlable pour tous ceux qui en croquent ?
Bravo !
Ayant moi-même écrit des choses très voisines sur la technocratie, je ne peux qu’applaudir… tout en me tenant la tête à deux mains, bien sûr.
http://www.contrepoints.org/2014/09/25/182341-professions-liberales-derriere-la-dereglementation-la-technocratie
« La question qui reste est de savoir si la technostructure agit pour son propre compte, ou si elle agit pour le compte d’autrui » : tres bonne question , peut être les deux, en tous les cas , pas pour le notre , ça c ‘est sûr ….
Le débat est loin d’être trancher . Le PM a pris comme prétexte pour moucher Macron le surcoût de 30% que représenterait l’adhesion au régime général . C’est facialement vrai sur l’assiette des cotisations de base , c’est faux a l’arrivée car le RSI re fiscalise son assiette de cotisations en re intégrant tous les avantages en nature , les assurances chômage , les complémentaires santé , les assurances décès bref tout ce qui est contracté par l’entreprise pour couvrir l’entrepreneur . j’ai pu quitter le RSI après un parcours du combattant où il faut vraiement s’accrocher en n’hésitant pas à saisir le tribunal de la SS . J’ai récupérer 18 mois plus tard les sommes appelées indûment et qu’il a bien fallu payer sauf à être saisi ( le RSI est l’un des plus gros client des Huissiers de France ) .
le regime RSI et en particulier ses administrateurs sont juste au-delà des réalités des indépendants qui pour la plus part restent de simples salaries indépendants sans aucun enrichissement personnel qui souvent sans salaire mensuel ni bénéfice en fin d exercice et qui souffrent face à la concurrence sauvage et illégale par les ouvriers embauchés venue des pays de l est et que le gouvernement encourage par son manque d intervention et d encadrement…
souvent des taxations d office avec des montants exorbitants qui finissent au tribunal de commerce et souvent le RSI soit en tort mais entre temps arriver jusque la les indépendants sont détruis .