Afrique : les valeurs morales, armes contre l’argent sale

Qui profite de la pauvreté en Afrique par l’enrichissement illégal ?

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Aide au développement en Afrique (Crédits : MAECD-DFATD, Jean-François Leblanc, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.

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Afrique : les valeurs morales, armes contre l’argent sale

Publié le 8 décembre 2015
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Par H. E. Augustin KpeheNgafuan.

Aide au développement en Afrique (Crédits : MAECD-DFATD, Jean-François Leblanc, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.
Aide au développement en Afrique (Crédits : MAECD-DFATD, Jean-François Leblanc, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.

En janvier 2015, un groupe de haut niveau a été mis en place par la Commission économique des Nations Unies de l’Afrique (CEA) pour enquêter et rédiger un rapport sur la question sensible des flux financiers illicites en provenance d’Afrique. Le rapport définit les flux financiers illicites (IFF) comme étant de « l’argent gagné, transféré ou utilisé illégalement ».

Dans le rapport on peut lire que : « Au cours des 50 dernières années, il est estimé que l’Afrique a perdu plus de 1 trillion de $ sous forme de flux financiers illicites ». Cette somme est à peu près équivalente à l’ensemble de l’aide publique au développement reçue par le continent au cours de la même période. Actuellement, l’Afrique est estimée perdre plus de 50 milliards $ par an en IFF. Mais ces estimations pourraient être bien en deçà de la réalité parce que les données précises n’existent pas pour tous les pays africains, et ces estimations excluent souvent certaines formes d’IFF qui, par nature, sont secrets et ne peuvent pas être correctement estimés, tels que les produits de la corruption et les trafics de drogues et d’armes à feu. Le montant perdu chaque année par l’Afrique à travers les IFF est donc susceptible de dépasser largement les 50 milliards de $.

Ces fuites constituent une grande préoccupation, étant donné la croissance insuffisante et les niveaux élevés de pauvreté, les besoins en financement et de l’évolution du cadre mondial de l’aide publique au développement, etc. La pauvreté demeure très préoccupante en Afrique en termes absolus et relatifs. Le nombre de personnes vivant avec moins de 1,25 $ par jour y est estimé avoir augmenté de 290 millions en 1990 à 414 millions en 2010 (Nations Unies 2013). Ceci est du au fait que la croissance de la population l’emporte sur le nombre de personnes sorti de la pauvreté. La pauvreté en Afrique est également multidimensionnelle : accès limité à l’éducation, à la santé, au logement, à l’eau potable et à l’assainissement. Cette situation génère au mieux une perte de plus de 50 milliards $ par an en IFF.

Le groupe de réflexion a constaté que les IFF passent par le biais :

  • des activités commerciales telles que des prix de transfert abusifs, la sous-facturation commerciale, l’esquive des droits de douane et des prélèvements domestiques
  • des activités criminelles y compris le blanchiment d’argent
  • la corruption et l’abus des pouvoirs.

Le rapport identifie ce qui suit comme les sources et les facilitateurs de flux financiers illicites : la mauvaise gouvernance, la faiblesse des structures réglementaires, les conventions de double imposition, et l’existence de juridictions opaques financières et/ou des paradis fiscaux.

Ces chiffres sont en effet alarmants et ahurissants, surtout à un moment où plus de 400 millions d’Africains vivent dans la pauvreté absolue. Il est en effet scandaleux que le même continent est en train de perdre plus de 50 milliards de dollars chaque année. Chaque sortie illicite de l’Afrique est, ou pour être plus précis, devrait être une entrée illicite au profit d’autres continents et quelques autres pays. Par conséquent, il va sans dire que d’autres ont grandement profité de la pauvreté de l’Afrique. Cependant, il est souvent dit qu’il faut être deux pour danser le tango.

Qui sont les personnes sur notre continent qui collaborent avec les vampires d’autres continents pour sucer le sang de notre cher continent ? Les fils et les filles de l’Afrique eux-mêmes. La plupart d’entre eux sont des leaders dans les affaires ou au gouvernement. Beaucoup d’entre eux sont académiquement et intellectuellement excellents et il n’est pas étonnant que certains aient pu gagner des « certificats d’excellence académique ». Sans doute, cela signifie que la leçon de l’excellence morale pourrait ne pas avoir été écrite sur leurs ardoises au cours de leur formation impressionnante ou aurait pu être écrite si faiblement qu’elle s’évapore très rapidement face à la tentation.

De peur que je sois mal compris, l’éducation morale de la jeunesse n’est pas l’obligation exclusive du système scolaire en général. Toutes les parties prenantes, y compris la famille, le groupe de pairs, le gouvernement et les institutions confessionnelles doivent jouer leur rôle. Ce qui est arrivé dans la ville indienne de Bihar, où les parents aidaient leurs enfants à tricher lors des examens, vient confirmer l’idée qu’assurer l’excellence morale n’est pas la seule responsabilité des enseignants ou des autorités publiques chargées des examens. La fraude aux examens à Bihar était si répandue que cela lui a valu une place dans le bulletin des nouvelles de la BBC World Service. Dans un des extraits on peut lire : « Beaucoup d’étudiants trichent en utilisant des manuels scolaires et des notes dans les centres d’examen en dépit de la sécurité serrée. Leurs parents et leurs amis ont été photographiés escaladant les murs des centres d’examens pour leur passer les réponses… Les journaux locaux ont été plein de photos des parents qui tentent d’aider leurs enfants à tricher, même en risquant considérablement leur propre vie… Quelques photos montrent même des policiers à l’extérieur des centres qui prennent des pots-de-vin pour détourner le regard, ajoute notre correspondant. Lors d’une descente à une seule école le mercredi, les autorités ont saisi des feuilles contenant des réponses pouvant remplir jusqu’à neuf sacs ». Qu’est-ce que le gouvernement peut faire pour arrêter la tricherie si les parents ne sont pas prêts à coopérer ?  En aucun cas un parent ne doit donner sciemment de l’argent à son enfant pour soudoyer un enseignant ou l’aider et l’encourager sans vergogne à tricher comme ce fut le cas dans la ville indienne du Bihar.

Des qualités telles que l’auto-discipline, l’estime de soi, l’humilité, la capacité de faire face et rebondir après l’échec ou prendre du recul sont parmi une longue liste de qualités qui doivent être écrites sur l’ardoise de la jeunesse. Les gouvernements, les chefs religieux, la famille et la société en général doivent tous jouer leurs rôles respectifs pour que nous puissions atteindre notre objectif et produire des jeunes, excellents non seulement académiquement mais aussi moralement.

  • H. E. Augustin KpeheNgafuan, Ministre des Affaires étrangères de la République du Libéria. Article initialement publié en anglais par African Executive – Traduction réalisée par Libre Afrique – Le 4 décembre 2015.

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  • Très très intéressant bonne vision et une vérité exacte

  • Bonjour. Ce texte pointe avec justesse la nécessité d’une meilleure morale individuelle chez les élites.

    Cela dit, le raccourci qui ferait des « flux financiers illicites » une cause d’appauvrissement du continent africain, comme s’il s’agissait d’un panier percé, est faux. Un flux financier existe toujours pour une bonne raison économique. S’il est illicite, c’est qu’il n’est pas taxé, et cela n’a rien à voir avec un appauvrissement du continent. Ou alors il faut expliquer.

  • « Cette somme est à peu près équivalente à l’ensemble de l’aide publique au développement reçue par le continent »

    Oh, ça alors !

    Quelle surprise !

    Qui aurait pu imaginer une telle chose !

    OK j’arrête. Cette observation fait partie des nombreuses prédictions que l’on peut faire à l’aide du principe de Bellegarrigue (Anselme), à savoir que:
    – la valeur ajoutée des services que l’on est obligé de payer tend systématiquement vers le niveau caritatif minimum de ceux qui les fournissent (dans le cas présent: le niveau zéro)
    – il n’y a pas d’impôt sur les riches ni de « redistribution » car les coûts imposés sont refilés à tout le monde à travers des distorsions de prix qui vont en sens contraire des transferts de richesse

    Pour le dire autrement, la fraction libre d’une société (ou d’un ensemble de sociétés) se comporte comme un réseau de vases communiquants transparents vis-à-vis de l’argent taxé par la force. Et cela se vérifie aussi en matière d’aide financière entre états. Les gens qui décident de prendre de force de l’argent aux autres pour le refiler à d’autres n’apportent strictement rien (valeur ajoutée zéro) à l’ensemble, c’est aussi vrai à l’échelle de la planète.

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