En Tunisie, des salles de cinéma renaissent de leurs cendres

Dans la banlieue nord de Tunis deux salles de cinéma ont rouvert grâce à de nombreuses initiatives privées.

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En Tunisie, des salles de cinéma renaissent de leurs cendres

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 29 novembre 2015
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Par Teycir Ben Naser 
Un article de Nawaat
 
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Elles étaient plus de 110 dans les années 1970, elles ne sont plus qu’une dizaine aujourd’hui. Les salles de cinéma se font de plus en plus rares sur le territoire tunisien. La majorité d’entre elles sont dans le Grand Tunis. Ailleurs, c’est le désert. Transformées en cafés, sandwicheries ou salles des fêtes, la rentabilité financière semble prévaloir sur le reste.

Pourtant, à Bizerte et au Kram, la banlieue nord de Tunis, deux salles de cinéma, fermées depuis des décennies ont rouvert. Il a fallu moins d’une année à Dhia Felhi, 25 ans, pour redonner vie au Majestic. Fondé en 1935, le Majestic appartenait à un exploitant Français, mais le fond de commerce a été racheté par des Tunisiens en 1988. Malgré de nombreuses rénovations, la salle a fini par fermer en 2007.

En 1990, il y a eu les paraboles, dans les années 2000, il y a eu Internet : ça a été un coup fatal pour les salles de cinéma », regrette le jeune entrepreneur. « Je ne suis pas artiste, mais je suis un passionné de culture. Pendant mon cursus universitaire, je n’avais qu’une chose en tête : créer un espace culturel”, raconte-t-il.

Un parcours du combattant

J’ai visité plusieurs lieux, mais celui qui correspondait le plus à mon projet était le Majestic

Il lance alors un appel sur Facebook.

« Ce n’est pas un projet qu’on peut réaliser seul. Il faut l’aide des institutions locales, de la société civile. Heureusement, à toutes les étapes j’ai pu trouver un soutien. Un ami a payé les 6 premiers mois de loyer ! », explique-t-il, reconnaissant.

Il a tout de même dû faire un prêt de 29 000 dinars. Puis, il a fallu mobiliser du monde pour restaurer le lieu : l’Association des Fous de la Scène, le Léo Club La Galite et l’Association Bizerte Cinéma ont répondu à l’appel. Les membres de ces différentes associations sont venus, chacun avec sa compétence, pour aider à la rénovation de l’espace.

« On a dû faire une scène, reconstruire le plafond, réparer les circuits électriques, fabriquer des tables et des chaises : bref, vu notre budget, nous n’avions pas d’autres choix que de tout faire nous-mêmes »,

note Dhia Felhi, pas peu fier. Lors de l’ouverture, la salle qui contient 520 places n’a pu accueillir tout le monde, tant le succès fut au rendez-vous.

Au Kram, c’est un peu la même histoire. Sauf que Moncef Dhouib est un homme du métier, et ça aide. Mais ce fut pour lui aussi un véritable parcours du combattant. « Trois années où j’en ai pris des rides », dit-il en souriant. C’est en réalisant que la culture devenait quasi-inexistante de notre vie qu’il s’est lancé dans ce projet. Il s’indigne :

C’est une nécessité aujourd’hui de créer des espaces culturels, car l’État ne le fera pas. Regardez les nouvelles villes qui ont été bâties ces dernières décennies, pas un seul architecte n’a pensé à mettre une salle de cinéma ou un théâtre

« C’est pathologique ! ». Moncef Dhouib déplore le désengagement de l’État dans la culture : réduction du budget du ministère de la Culture, application de décrets qui ralentissent toute action culturelle, taxations exorbitantes des initiatives culturelles privées, etc.

Cinévog après la restauration. Teycir Ben Naser, Nawaat
Cinévog après la restauration. Teycir Ben Naser, Nawaat

En parlant de son projet, ici et là, des amis lui font visiter le Cinévog, une salle de cinéma fermée depuis 20 ans. C’est le coup de cœur. Il se lance alors dans une aventure qui mettra trois ans et des poussières à voir le jour. Il remarque :

Le plus compliqué a été l’aspect administratif. C’est terriblement décourageant. Il a fallu répondre à trois cahiers des charges différents, car il n’en existe pas un pour les espaces culturels, c’est absurde.

Deuxième difficulté : trouver les financements.

« Je n’ai pas voulu faire appel à des bailleurs de fonds, ou à un prêt bancaire car c’est important, selon moi, de rester indépendant », explique-t-il.

En revanche, fort de sa légitimité dans le milieu culturel, il a pu mobiliser de nombreux donateurs.

« Beaucoup m’ont pris pour un fou, mais ceux qui ont cru en ce projet sont eux aussi nombreux. Le premier à m’avoir aidé a été Bradeddine Ouali, et puis d’autres, sans qui Cinevog n’aurait jamais pu voir le jour ».

En nature, en compétences, ou en argent, Moncef Dhouib a été témoin d’une belle mobilisation. « C’est rassurant de se dire que la solidarité existe encore ». Du côté du gouvernement, il a finalement pu faire financer 50% du matériel pour la salle de cinéma, après avoir rencontré trois différents ministres de la Culture. Ainsi, il a pu équiper la salle avec du matériel numérique Digital Cinema Package (DCP) avec une excellente qualité de son (dolby stéréo 7.1).

Du cinéma à l’espace culturel

Mais il n’était pas question, ni pour Dhia Felhi, ni pour Moncef Dhouib de faire de ces espaces un lieu où l’on projetterait uniquement des films.

« Il fallait penser à un concept qui intègre plusieurs dimensions de la vie culturelle : le théâtre, la danse, le chant, et bien sûr le cinéma », affirme le jeune responsable du Majestic.

Par ailleurs, les deux espaces sont à la fois des lieux de diffusion, de production et de création. À Cinévog, il y a la salle de cinéma qui compte 400 places, un café, relié par un joli patio aux couleurs chaudes à la salle d’exposition. Autant d’espaces qui entendent bien animer la vie culturelle du Kram. « Nous proposons des cours de théâtre et de chant, aux adultes et aux enfants », explique Moncef Dhouib. L’idée de ces ateliers est de donner la possibilité de vivre une expérience artistique totale.

« Il y a tout un travail d’appropriation et d’éducation à la culture, qui se fait à travers ces ateliers, mais aussi à travers les clubs de cinéma », poursuit-il.

L’enjeu est donc à la fois de proposer un lieu qui attire un public large, mais aussi les artistes connus et émergents. Un lieu, où l’on peut « consommer » du cinéma hollywoodien tout en étant initié au cinéma d’auteur. D’ailleurs, Moncef Dhouib se réjouit à l’idée que le premier film programmé au Cinévog soit un film tunisien, Les Frontières du Ciel, de Fares Naanaa. Mais comment fait-on, dans un pays où la culture est relayée au second plan, pour attirer un public aussi large que possible ?

« Il y a une demande, mais il faut que le cinéma ou le théâtre deviennent des rendez-vous réguliers dans le quotidien du tunisien, or ce n’est pas encore le cas », estime le cinéaste et metteur en scène. « Mais en même temps, il ne faut pas, sous prétexte d’ouvrir la culture à tous, brader celle-ci ».

Le Majestic après rénovation-Teycir Ben Naser, Nawaat
Le Majestic après rénovation-Teycir Ben Naser, Nawaat

Pour Dhia Felhi, l’endroit où se situe l’espace culturel est stratégique : « Nous sommes dans un quartier très populaire de Bizerte, et il y a plein de lycées autour du cinéma, donc nous attirons naturellement une population diversifiée », précise-t-il, tout en reconnaissant qu’ils ont eu au départ des problèmes avec les jeunes du quartier.

Ce qui est important c’est de proposer des artistes connus et reconnus pour que les habitants de Bizerte et des environs n’aient pas à aller systématiquement à Tunis, et en même temps, donner la possibilité à des artistes peu connus de se produire sur scène.

Et d’ajouter : « la diversité du programme, créée la diversité du public ». Une remarque d’autant plus juste que le Majestic a le monopole de la vie culturelle puisqu’il n’existe pas à Bizerte d’autres lieux du 7e art. Si aujourd’hui ces initiatives se comptent sur les doigts d’une main, Moncef Dhouib espère que la réouverture du Cinévog incitera d’autres personnes à créer de nouveaux espaces ou à dépoussiérer des lieux culturels oubliés.

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