Afrique de l’Est : le déficit de démocratie est une menace sérieuse

L’Afrique de l’est doit-elle faire le choix entre la croissance ou la démocratie ?

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Afrique de l’Est : le déficit de démocratie est une menace sérieuse

Publié le 2 octobre 2015
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Par Ndungu Njeru.

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Il y a quelques mois, j’ai eu le privilège d’assister à une conférence donnée par le célèbre professeur Francis Fukuyama. Il avait fait irruption dans la scène mondiale avec la publication de son livre La fin de l’histoire et le dernier homme en 1992. Contextuellement conçu lors de la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’ex-URSS, l’ouvrage a théorisé que la démocratie libérale occidentale et le capitalisme du libre marché avaient relégué le communisme et d’autres formes de dirigisme social et économique aux gouttières de l’histoire de l’humanité.

Parallèlement au succès obtenu, ledit livre a récolté autant de critiques. Celles-ci ont accusé la théorie de Fukayama de manquer de relativisme culturel et vénérer un peu trop les valeurs occidentales. Particulièrement préoccupante est l’obsession du livre selon laquelle l’évolution vers la démocratie est la forme la plus souhaitable de gouvernement humain ou l’évolution vers le modèle du Danemark, l’exemple par excellence d’une démocratie idéale selon Fukuyama. Depuis 1992, des démocraties ont émergé, mais aussi se sont effondrés dans les sociétés post-soviétiques nouvellement indépendantes. Et puis la Chine a émergé et semble encore être l’incarnation même de l’antithèse de Fukuyama. Un État colossal qui a réussi à extirper des millions de la pauvreté sans se plier ni à la démocratie libérale de type occidental ni au capitalisme de libre marché.

Après la présentation de Fukayama, un monsieur se lève et lui demande si l’Afrique a besoin de démocratie ou de « dictateurs visionnaires », citant le trop familier Paul Kagamé du Rwanda et Lee Kuan Yew, le légendaire chef du gouvernement de Singapour.

Étonnamment il n’y a pas une région plus pertinente pour la conférence de Fukuyama que l’Afrique de l’Est. La Communauté de l’Afrique de l’Est (CEA) a investi beaucoup d’efforts sur le plan de l’intégration économique. Étonnamment peu de progrès ont été enregistrés sur le plan de l’intégration sociale et culturelle. On note une absence totale de convergence politique, ce qui est déconcertant étant donné que les différences de nature idéologique et philosophique sont les mêmes que celles qui ont causé la débâcle de la communauté originelle et indépendante en 1977. En effet, il manque à la région une évolution de la pratique démocratique au-delà des « élections » souvent burlesques. Le sentiment primordial a été que la démocratie est une nuisance inutile, qui devrait être reléguée à la périphérie au regard des objectifs beaucoup plus urgents de la croissance économique et de l’intégration, n’est-ce pas ? Les valeurs de la démocratie et la croissance économique sont-elles mutuellement exclusives ? Des sociétés comme la Communauté d’Afrique de l’Est sont-elles condamnées à un arbitrage entre les deux ?

Prenez le Burundi par exemple, le néo-despote Pierre Nkurunziza qui s’est faire élire lui-même au-delà de la limite constitutionnelle de deux mandats, dans son bureau, sans effort. Bien que les chefs d’États de la CEA aient tenté timidement de freiner les ambitions d’un troisième mandat de Nkuruzinz, cela n’aurait pas été crédible étant donné que les autres présidents de la CEA sont mal placés pour donner l’exemple. Kagamé a réussi à s’adjuger un mandat extraconstitutionnel de 7 ans, en affirmant que seuls 10 électeurs, dans un pays de 3,6 millions d’électeurs, se sont opposés à son troisième mandat. En Ouganda, un pays que l’ancien ambassadeur américain a décrit comme une « réussite africaine des temps passés », le président Yoweri Museveni (71 ans) aura, en mai 2016, passé 30 ans au pouvoir, mais il cherche à prolonger son séjour au pouvoir de 5 années supplémentaires. Museveni, qui est passé d’un dirigeant militaire a un président civil après la promulgation d’une nouvelle constitution en 1996 vise à changer la même constitution pour s’octroyer un mandat supplémentaire. Il y a quelques semaines le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, a prononcé un discours au parlement ougandais dans lequel il a réprimandé l’opposition et a alimenté la diatribe pro-troisième mandat. Uhuru a lui-même affiché tous les signes d’un despote en devenir.

Pour sa part, la Tanzanie est un cas curieux d’un pays l’élite politique a décidé qu’il était beaucoup plus économique de se répartir les opportunités politiques que de se battre pour elles. Bien que le pays soit passé à une démocratie multipartite en 1992, il a été transformé de facto en un État à parti unique en raison de l’hégémonie du parti Chama cha Mapinduzi (CCM) sur le système politique. Ce n’est que récemment que le règne à long terme du CCM a été menacé par la défection d’Edward Lowasa, un ancien Premier ministre, qui a rejoint une coalition de l’opposition. De leur côté, les Tanzaniens sont uniques pour leur servilité politique, contrairement à leurs voisins dans le Nord, ils ont développé une culture politique de soumission qui permet aux dirigeants politiques tous les abus dans une totale impunité.

Contrairement à l’opinion populaire, la plus grande menace existentielle pour la CAE en tant que communauté socio-économique fonctionnelle ne réside pas dans le nationalisme économique de ses habitants, mais dans le manque d’une culture politique commune. La CAE a besoin de partager des normes rigoureuses de démocratie, de pluralisme et d’États de droit.

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