Nos lecteurs connaissent Philippe Fabry, pour ses billets d’historionomie, dans lesquels il tente de prévoir les événements futurs à partir de cycles d’événements passés. Après « Rome : du libéralisme au socialisme », c’est une nouvelle lecture passionnante à laquelle nous invite l’historien. Rencontre avec son auteur.
Par PLG, pour Contrepoints
Nombreux sont les historiens, même de talent, à s’être embourbés dans des tentatives de prévisions des événements futurs. C’est un exercice périlleux que de vouloir trouver dans le long cheminement des actions humaines des échos, et même des cycles d’événements. Pourtant, à la lecture de l’ouvrage, on est saisi par la précision de l’analyse, tant à propos du passé que sur les projections possibles. De la civilisation minoenne dont il ne reste que des traces, jusqu’au millénaire prochain (car, contrairement au titre, P. Fabry va beaucoup plus loin), l’ouvrage brasse quantité de faits dont l’agencement fait naître d’étonnants effets miroir.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’historien prend des risques. Son analyse sort farouchement des sentiers battus et ne s’embarrasse pas d’apparaître parfois à la limite de la science-fiction, mais toujours présentée de manière crédible. La chute des États-Unis, devenus Empire, à la façon de l’Empire Romain (ce qui fait suite au livre précédent : « Rome, du libéralisme au socialisme »), l’émergence de nouvelles religions, tout laisse penser que le monde que nous connaissons s’approche du chaos dont émergera une nouvelle réalité.
Pour les lecteurs, une partie des prévisions pourra être observée dans les 20 prochaines années. Nous pourrons donc bientôt dire si P. Fabry est un illuminé, ou un véritable historien du futur. Il se murmure déjà qu’un Immortel a trouvé l’ouvrage « passionnant ». Nous aussi.
Note : le texte qui suit regroupe les morceaux choisis de l’entretien. Pour les plus curieux, la version longue se trouve ici.
P. Fabry commence par expliquer pourquoi il considère sa méthode plus pertinente que celles habituelles : « Pourquoi ma méthode est meilleure ? Déjà, parce qu’il n’y a dans ce que je fais aucune idéologie, ni a priori, ni a posteriori. Contrairement à l’historicisme d’un Marx, par exemple, je ne dis pas que l’Histoire se dirige dans telle direction et donc qu’il faut y aller. Ensuite, je bénéficie de la masse de données à ma disposition et des immenses progrès de la recherche. »
Se pose ensuite la question de l’existence même de cycles historiques. Cette notion a-t-elle du sens, étant donné l’aspect réflexif des sciences humaines, et les évolutions continuelles des technologies ?
« D’abord, il faut savoir ce que l’on entend par « cycles ». Ce que j’appelle « cycle » n’est pas un recommencement du même par le même. C’est un recommencement (lui-même relatif car il y a un « fond » linéaire, artistique et scientifique, notamment) du même par un autre. Et c’est fondamental, parce que l’autre qui recommence le fait sans expérience. Il est vierge. Les nations européennes qui ont reproduit le schéma grec n’avaient pour ainsi dire pas de passé : les grandes destructions de la fin de l’Empire romain associées au brassage ethnique des Grandes Migrations, résultant en cinq siècles de décomposition politique dans le féodalisme, ont fait, au plan de la civilisation, c’est-à-dire de l’ethnogenèse et de la construction politique de la Cité, repartir l’homme médiéval pratiquement de zéro. L’effet réflexif ne fonctionne vraiment que du même sur le même. »
La partie la plus passionnante du livre concerne le devenir des États-Unis. Si les libéraux voient d’un œil très optimiste la robotisation progressive de nos économies, l’historien y voit quant à lui la cause de l’effondrement futur de l’Amérique, s’enfonçant dans le socialisme comme l’a fait l’Empire Romain, submergé d’esclaves gaulois :
« Les États-Unis risquent d’être politiquement corrompus par l’innovation robotique, et cette corruption politique, à terme, entraînera la chute de l’hégémonie américaine – laquelle, entretemps, sera devenue bien plus totale et prégnante qu’elle n’est aujourd’hui.
À Rome, l’afflux massif d’esclaves aux IIe-Ier siècles avant notre ère, a bouleversé les structures économiques en ruinant et en privant de travail les citoyens. Les esclaves pouvaient tout faire : métiers manuels comme intellectuels. Le remplacement des hommes libres par des esclaves a donc été à la fois massif, rapide, et systématique. Le choc a été trop brutal et impossible à encaisser politiquement pour la société romaine. La robotique, économiquement, va avoir un rôle comparable à l’explosion de l’esclavage à Rome : l’on prévoit dans les pays développés un remplacement de la moitié de la main-d’œuvre humaine par des robots en vingt ou trente ans. Soit la même proportion que la Révolution industrielle, six à sept fois plus rapidement. Dans tout l’Occident, et spécifiquement aux États-Unis, cela va donner un poids politique considérablement accru aux revendications de redistribution ; un poids politique tel qu’il se traduira en changements politiques et institutionnels. À terme, l’Amérique deviendra un système aussi bloqué et stérile que l’URSS, mais contrairement à elle, étant dans une position de domination globale, elle ne s’effondrera pas avant d’avoir étendu, comme le fit Rome, son système à l’ensemble de son empire. »
À cet effondrement devrait succéder « un nouveau Moyen-Âge technologique », du fait de la dégradation temporaire des moyens de stockage et de transmission de l’information ; avant que la civilisation retrouve son chemin et émerge de nouveau. D’après P. Fabry, c’est la Chine qui sera « héritière des valeurs occidentales, comme Rome a été celle de la Grèce ».
Petit clin d’œil aux amateurs de science-fiction, l’auteur mentionne la psychohistoire, discipline fictive inventée par Isaac Asimov pour son « Cycle de fondation ». De quoi faire un dernier parallèle : dans celui-ci, l’empire galactique est sur le point de s’effondrer pour connaître une parenthèse barbare de près de 1000 ans. Toute ressemblance avec des événements à venir est purement fortuite…
- Philippe Fabry, Histoire du siècle à venir, édition Godefroy, 12 septembre 2015, 320 pages.
Je n’ai pas lu le livre donc je ne me base que sur la recension de PLG mais je me demande pourquoi ce ne serait que les USA qui seraient impactés par l’émergence de la robotisation ?
Hors l’inquiétude que suscite cette « robotisation » dans l’opinion publique, je ne crois pas à une incidence durable de tout le « hype » (le battage) relatif à ces techniques. Faut dire que les médias (TV) toujours en quête de remplissage de leurs heures/pages se délectent actuellement de la chose …. et que chercheurs académiques ou d’entreprises promettent des avancées … pour lesquelles ils ne tiennent guère compte des attitudes humaines qui s’y lient.
Faudrait peut-être relativiser quant à ces promesses (très coûteuses à mettre en œuvre) et vivre avec nos réalités changeantes.
Les temps actuels – pires au futur – coïncide(ro)nt avec un accroissement de(s) COMPLEXITES : celles scientifique et technologiques, celles humaines et d’organisation (quels comportements définir alors?), puis complexités économique (où les acteurs modifieront les équilibres déjà instables), etc. Or que cette complexité actuelle est loin d’être maîtrisée par nos gouvernants autant que par les individus ordinaires !
Le problème humain MAJEUR auquel nous devrons faire face tient aux COMPETENCES. L’état & qualités de nos enseignements pose d’ores et déjà des problèmes loin d’être maîtrisés. Et en ce domaine, le doute peut exister quant à la proportion des populations capables de dominer les exigences professionnelles, tout en équilibrant leur vie privée/familiale. Là se trouve LE grand défi de l’Occident. L’Asie semble s’être préparée, l’Afrique et l’Amérique du sud restent à la traîne… Pronostic ???
Oups, quelques oublis d’accords, il faut parfois se relire… 😉