Par Francis Richard.
Ce roman de Philippe Sollers a pour narrateur… Philippe Sollers. Ce qui n’est pas inhabituel dans son œuvre. Aussi est-il difficile de démêler le vrai du faux dans cette mise en scène qu’il fait de lui-même. Cela fait partie du mystère qu’il entretient sur lui.
Est-ce si important que cela de démêler le vrai du faux ? L’important est justement qu’il reste mystérieux et qu’il chuchote à l’oreille du lecteur ce qui ressemble à des aveux et qui n’en sont peut-être pas, laissant planer les doutes.
Philippe Sollers a-t-il vraiment besoin de romantiser pour avoir une grande liberté de ton, d’expression et de pensée ? Que non pas. Car il porte naturellement, fiction ou pas, des jugements radicaux sur la société de notre temps et c’est réjouissant, et même, souvent, jouissif.
Ce radicalisme dérangera certains. Et alors ? Peut-être est-il nécessaire de les secouer, de leur faire prendre conscience que le mystère n’a pas disparu de la vie des hommes et qu’il ne faut pas se fier aux apparences: “Plus de mystère ? D’accord. Mais c’est justement cette situation qui multiplie le mystère. J’avance, je tombe, je m’enfonce, je me redresse, je n’y comprends rien.”
L’institution scolaire est en plein naufrage ? “La France est le pays qui a inventé l’école comme religion et cléricature tenace”. L’École du Mystère, au contraire, a la Nature pour seul professeur, “pas de bourse, d’habilitation, de passe-droits, de recommandations cléricales” :
“J’apprends en étudiant, soit, mais surtout en dormant, en rêvant, en parlant, en nageant, en baisant. Personne ne me dit ce qui est bien ou mal. J’apprends.”
Ses contemporains ? Il les étudie et les appelle des Fanny, femmes ou hommes : “Fanny, d’une façon ou d’une autre, directe ou indirecte, me fait sans cesse la morale. Je l’agace, je l’énerve, je l’exaspère, je la gêne, je suis de trop.”
Aussi devrait-il se garder, devant elle, ou lui, de “faire l’apologie de l’amour libre ou de la liberté de pensée (c’est la même chose)”. Mais il ne peut s’empêcher de faire part de ses séances incestueuses avec Manon, qu’il distingue des Fanny : “Les Fanny parlent du bien, en n’arrêtant pas de faire le mal. Manon est protégée du mal par le mal.”
Plus loin il persiste : “Il n’y a qu’une Manon, mais des milliers de Fanny ont remplacé la littérature et la pensée par la morale, encore la morale, toujours la morale.” S’il admire chez Manon sa discrétion, il sait qu’il ne faut surtout pas “utiliser un ou une Fanny dans une conjuration. Il y aurait des fuites”.
Les premiers chrétiens priaient dans le secret : “Seuls dans une chambre (je les vois d’ici), ils existaient enfin dans la vérité et la liberté. Après quoi, retour dans le bruit, la fureur, l’esclavage salarié, la brutalité, la bestialité, et, surtout, la bêtise. Parfois, dehors, dans la bousculade, un regard de complicité inexplicable les rejoignait. Une Manon leur souriait, et la joie du ciel les enveloppait. Ils se savaient éternels étudiants de l’École du Mystère.”
- Philippe Sollers, L’École du Mystère, Gallimard, janvier 2015, 160 pages.
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