La déflation, menace pour l’Europe ?

La vitalité économique de l’Europe ne s’achètera pas par des drogues monétaires artificielles.

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La déflation, menace pour l’Europe ?

Publié le 26 janvier 2015
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Par Pierre de Lauzun

Inflation Déflation Crédit - CC0 public domain pixabay

On parle de plus en plus en Europe de la déflation comme d’une menace sourde et rampante, difficile à contrer. Paradoxalement, en face, l’inflation longtemps honnie, se pare alors de toutes les vertus, comme un lubrifiant au fond salubre malgré ses dangers. Les banques centrales la haïssaient : elles en font leur objectif. On en déduit alors que tous les moyens sont bons pour juguler cette menace : planche à billets, déficits sans contrôles… Le salut par une forme de drogue ? La tentation est générale.

Au fait, le problème est-il bien posé ? S’agit-il de doser des dopages, ou de construire un avenir ? Ni la déflation ni l’inflation ne sont des solutions. Le malthusianisme de l’une tue. Mais les paradis artificiels de l’autre aussi. Il est inévitable que nous traversions une période d’ajustement après les années d’excès que la crise a mis en évidence. Ce qui importe au-delà c’est de préparer l’avenir collectif sur des bases saines, avec des repères clairs. Une monnaie fiable est de ceux-là, même si ce n’est qu’un élément parmi d’autres.

Le cas étrange du Japon

D’abord sommes-nous en déflation en Europe, en baisse des prix ? Ce n’est pas avéré à ce stade mais c’est indéniablement la tendance. La baisse de l’inflation est régulière depuis des années et on passe au moins sur certains mois en territoire négatif. D’où la thèse répandue du glissement de l’Europe vers une situation à la japonaise. Là-bas les prix baissent tendanciellement depuis 15 ans.

La déflation ainsi comprise ne serait pas en soi un fait radicalement nouveau. Dans le passé on a eu de telles périodes de baisse des prix, au XIXe ou avant 1940. Ceci dit on n’a aucun précédent de déflation comparable à la japonaise : une tendance à la baisse sur une durée longue, couplée avec une diminution de population. Cet exemple montre le glissement possible vers des anticipations déflationnistes durables : l’attente par tous les acteurs d’une baisse régulière des prix. Avec là-bas un arrière-plan essentiel, l’effondrement démographique, qui est fondamentalement un refus de l’avenir.

On dira qu’il y a de nombreuses différences avec l’Europe : c’est évident si on prend le point de départ, car il n’y a pas eu ici de telles bulles monstrueuses sur la valeur des actifs (boursiers et immobiliers) comme au Japon avant 1990. Mais la ressemblance devient plus suggestive si on considère le Japon depuis 1998. Car ce qui est curieux dans son cas n’est pas la correction de la bulle, qui a occupé la décennie 90, mais la déflation qui a suivi. La correction de la bulle n’a été au fond qu’une des causes de la déflation ; la baisse des prix des importations (du fait de la mondialisation) a été au moins aussi importante. L’hypothèse que nous suggère cette expérience est que ces déflations résultent de la combinaison d’un ajustement d’après-crise avec l’effet du nouvel environnement mondialisé.

L’Europe n’en est indéniablement pas à ce stade ; elle est encore en partie dans la phase de correction après crise ; elle doit impérativement ajuster ses déséquilibres antérieurs intenables, notamment l’endettement et les déficits publics. En outre, il y a d’autres différences entre l’Europe et le Japon : notamment la grande hétérogénéité, sociale, politique, culturelle de l’Europe, sa moindre discipline hors Allemagne, ses déficits publics financés largement par l’étranger et donc plus menaçants etc. Mais remarquons-le, tous ces effets sont eux aussi globalement à dominante déflationniste. Sans parler du contexte démographique négatif, même s’il est moins marqué qu’au Japon. Au total le risque déflationniste en Europe est donc élevé, même si cela pourrait être plus chaotique qu’au japon.

Quelles conséquences économiques et financières ?

On ne sait pas bien si cette déflation va durer ; mais l’hypothèse est assez crédible pour qu’on réfléchisse sur ce qu’elle veut dire. La déflation, si elle dure, change bien des habitudes. Comme l’inflation nourrissait une anticipation de hausse des prix, cette fois c’est la baisse qu’on anticipe. Tout ce qu’on dépensera demain sera mieux dépensé, avec un pouvoir d’achat accru, puisque les prix seront plus bas. D’où une tendance au report des consommations et des investissements. Du côté des entreprises, au moins les plus grandes, la difficulté à baisser les salaires nuit alors à la rentabilité et donc au tonus. Mais cela n’empêche apparemment pas un secteur très compétitif de se maintenir à flot. En tous cas l’ambiance est à la rétention.

Quelles en sont les conséquences sur le comportement des investisseurs ? D’abord bien sûr une préférence pour les espèces. D’où des taux d’intérêts très bas voire quasi nuls. Avec la déflation, même avec des taux bas on gagne encore de l’argent. Garder des liquidités est même alors une bonne stratégie (si on a confiance dans les banques et dans le papier d’État). Une prise de risque n’a alors de sens que si les rendements sont vraiment élevés. Ce n’est pas désastreux pour les actions mais pas euphorisant non plus, car rares sont alors les secteurs vraiment convaincants. Au Japon, la Bourse est médiocre depuis longtemps, bien après la bulle. Nous nous trouvons donc devant un régime profondément nouveau par rapport à nos habitudes. Peu excitant, poussant sans cesse à la restriction, il a bien des côtés négatifs. Mais en même temps l’inflation aussi a bien des côtés négatifs, et la baisse des prix a ses charmes, notamment pour les consommateurs…

Quelles alternatives ?

Sortir d’une telle situation est difficilement concevable sans remontée des taux d’intérêt. Elle pourrait provenir notamment de la contagion américaine. Si c’est sans reprise de l’inflation, elle serait très coûteuse, notamment pour le système public. À cela s’ajouterait le problème résultant de la liquidité du marché obligataire, massivement réduite par les réglementations nouvelles, alors même que le marché ne cessait de croître. D’où un risque de secousses violentes induites. Car sur ce plan nous sommes en Europe très dépendants du marché mondial, contrairement au Japon. L’alternative à la déflation peut donc être assez rugueuse.

À nouveau, on incriminera les marchés. Mais on sait bien pourtant qu’en réalité ce ne sont pas des facteurs explicatifs par eux-mêmes ; ce sont des thermomètres imparfaits, mais irremplaçables, sachant que quand ils révèlent nos limites et nos impasses, c’est souvent violent.

Dira-ton alors que l’inflation n’était pas si mauvaise qu’on le disait, et qu’il faut donc la favoriser par tous les moyens ? Et de presser la BCE de tout faire pour réactiver l’inflation. Mais faut-il vraiment que les prix bougent sans cesse ? La monnaie est un étalon, à la fois du calcul économique et de la conservation de la valeur. Il n’est pas bon qu’un étalon soit en permanence mouvant et peu fiable, d’autant que l’inflation échappe vite au contrôle.

À l’évidence la solution n’est ni dans la déflation ni dans l’inflation : elle est ailleurs. Il n’est en rien démontré que par elle-même l’inflation résolve la question de la stagnation. En termes de croissance, le bilan passé des périodes d’inflation est très médiocre. Les facteurs euphorisants qu’on constate aujourd’hui aux États-Unis vont bien au-delà des effets de la politique monétaire de la Fed : ils sont dus d’abord à la capacité de réaction de l’économie américaine, réelle malgré ses défauts, qu’il s’agisse de la démographie, de la création d’entreprise ou de l’innovation, sans parler du gaz de schiste. On a connu cela en Europe autrefois, dans les années 50 ou 60, avec la reconstruction et le rattrapage. Mais ces facteurs ne sont plus présents dans nos pays, ou plutôt ne sont plus au centre de la vie collective.

En fait la leçon à en tirer est que la vitalité est une autre notion que la manipulation des outils économiques, politique monétaire comprise. Elle ne s’achète pas avec de la drogue. Il s’agit de démographie, d’innovation, et de création. Et même plus largement du positionnement dans l’histoire, de la volonté collective. Donc de réformes en profondeur. Les pays d’Europe sont obsédés par des utopies stériles, l’une des plus trompeuses étant l’illusion de l’accumulation maniaque d’acquis supposés irréversibles ; et la négligence des facteurs de vitalité, qu’il s’agisse de la démographie ou de l’innovation. Ils ne donnent donc pas la bonne réponse, pas plus que le Japon. Le sevrage des errances d’avant 2008 est une chose. Le redémarrage une autre, qu’on n’achètera pas par des drogues artificielles.

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  • je n’ai pas l’impression que l’on ait une déflation réelle.

    la baisse du cout des choses est une bonne chose, et n’apporte pas d’anticipations deflationistes.
    les gens n’attendent pas que le prix des téléphone baisse, ils en profitent.

    c’est dans les actifs que la déflations apporte une spirale infernale, et là on est plutot en inflation permanente, à la limite du délire. l’immobilier a explosé.

    par contre là ou la planche à billet (réversible peut être) de la BCE peut aider c’est à solvabiliser les acteurs endettés, comme moi avec ma maison, ou la France avec sa dette.

    mais évidemment il faut avoir de quoi faire des liquidités.
    moi ca servira à investir dans l’éducations de mes ptiots, un jour peut être dans de la création de surface locative type AirBnB, mais mon moral n’est pas à l’achat d’une télé.

    l’état pourait chercher à se désendetter avec les intérêts économisé,s mais je le vois plutot s’enfoncer dans la spirale du surendêtement comme certains ménages.

    Pour les entreprises, on ne fait pas boire un ane qui n’a pas soif, et pour le moment les gens normaux ne voien plus d’opportunité.
    toutes les opportunités fantastiques de la technologie moderne (je parle pas des gadgets, mais de valeurs créé), les gas de schistes, le nucléaire de 4G (EPR c’est du 3.5G, 4G c’est thorium, traveling wave reactors, réacteurs modulaires ou à boulets), les pipelines, les OGM, les réseaux télécoms, les rendements agricoles africains, … tout ca c’est bloqué par no délires malthusiens et ludites.
    on peut s’ammuser a vendre des énergies couteuses subventionnées, des trucs couteux pour économiser moins que ce que ca coute, ajouter des normes de constructions, de fabrications… ca augment le cout des choses, de l’inflation, de la vrai, celle qui n’est pas monétaire mais physique…
    même en lingot d’or, horst biens immatériels comme la license de sommeil qu’est le prix du m2, il y a de l’inflation dans la constructions des logements, des choses utiles… toujours plus complexes.
    sauf en électronique…

    en fait je me demande si l’apparent déflation c’est pas la réaction naturelle d’un marché à l’inflation de la qualité/cout obligatoire…
    à qualité égale les prix baissent, mais cette qualité obligatoire augmente. au final les gens y mettent plus d’argent, mais l’INSEE voit une déflation.

    • ah j’oubliais, dans 6-18 mois,
      j’aurais besoin de 1000 milliards par an pendant 10ans (6mois de PIB d’investissement au total, pour économiser 10% du PIB) pour réinventer l’énergie en europe.
      pas besoin de QE, ce sera rentable.

      Mais a mon avis c’est idiots qui nous gouvernent n’ont pas ca sur leur radar.

      • Allez faire un stage dans le nord de l’Europe….

        Il vous manquera l’ingedient principal dans notre Europe du Sud:

        La culture, l’education, la responsabilité, le respect (en général)

        Faire accepter à nos Français que désormais il leur faudra recycler les épluchures de patates dans une poubelle séparée pouvant creer du méthane et de l’engrai in fine, c’est comme de pisser dans un violon.

        Donc, cela n’est pas une question de moyen. Notre petit peuple a ce qu’il mérite.

  • Je ne comprends pas cette focalisation sur la psychologie imaginée du consommateur qui retarderait ses achats. Ce que nous vivons depuis 30 ans dans l’électronique montre que ce mécanisme, à supposer qu’il existe, serait marginal. En revanche, il me semble qu’on néglige le risque que voient les entreprises de devoir vendre sans la marge prévue, une incertitude qui les retient d’investir. C’est à mon avis la loi de Moore qui a permis, en donnant une trajectoire prévisible aux prix de vente, aux entreprises liées aux technologies informatiques de poursuivre en relative confiance leur développement. La menace actuelle de déflation, jointe à l’instabilité fiscale, joue plus que sa survenance réelle qui reste à prouver.

    • Google ne connait pas la crise !

      Je crois qu’il faut laisser crever les entreprises qui n’arrivent pas à être rentables.
      Par définition, une entreprise NE PEUT PAS être rentable en France.

      Commençons par dire l’évident pour éliminer les fausses solutions bricolées !

    • Dans l’immobilier le report des achats en attente d’une baisse des prix est bien réel. C’est une des raisons pour laquelle le marché est actuellement bloqué.

      • Je croyais que pour les vendeurs, c’était un report dans l’attente de la remontée des prix.

      • Non. Dans l’immobilier, les acheteurs sont présents, et offrent des prix inférieurs aux attentes des vendeurs : voilà ce qui bloque le marché. Rien à voir avec la spirale déflationniste décrite.
        Par ailleurs, l’immobilier concerne le prix des actifs, pas celui des biens et services repris dans l’indice des prix.
        Enfin, le ratio loyer / prix dans l’immobilier français reste à des sommets historiques, il y a encore une grosse marge de baisse (méritée).

      • L’immobilier est aussi plombé par le dossier de 2kg de papiers qu’il faut faire pour réaliser la moindre promesse de vente (je ne parle pas de vente, juste la promesse)…

  • Si je comprends bien, la déflation poussent les gens a ne pas acheter, admettons mais , si les gens peuvent se passer de tel ou tel bien, c’est parcequ’ils n’en ont pas vraiment besoin; pourquoi acheter quelque chose dont on a pas besoin ?

  • j’ai plus de papier toilette …

    mais les prix vont baisser ! je vais donc attendre la fin de l’année pour en acheter …

  • je n’y connais rien en économie mais ce qui me frappe est la volonté d’agir , via la monnaie, sur l’économie, mais sans avoir les éléments d’un diagnostic fiable.

    Il me semble que l’inflation ou la deflation devrait être des conséquences « naturelles » de l’économie et on des outils pour la piloter…

    Je peux comprendre que des pays différents ayant de monnaies différentes s’amusent avec elle en espérant en tirer tel ou tel avantage concurrentiels dans tel ou tel domaine…

    Le simple fait que des gens dans un banque centrale décident de manipuler la monnaie pour des raisons obscures ou dans des buts qui finalement ne sont pas atteints me laisse dubitatif.
     »
    Il en va de m^me avec les politiciens, ils combattent le chômage de » toute leur force » depuis des années,avec le résultat qu’on sait , en prenant des mesures contradictoire or combattre le chômage n’a aucun intérêt selon moi, il vaut mieux favoriser la production de richesses. Ce qui est gênant socialement ce sont les blocages divers et variés qui font qu’une partie de la société ne bénéficie pas de la richesse produite. A la rigueur une législation sur le partage du travail forcé est plus compréhensible c’est un aveu d’échec à savoir favoriser la diffusion de richesse et un aveu de devoir se contenter de la redistribuer brutalement, c’est foireux mais clair.

    On a donc un énième article sur la deflation…mais qui n’est pas clair lui non plus et n’est pas sans but politique correspondant à un intérêt individuel ou de classe. DU moins j’ai l’impression.

  • Je reconnais là un serre joint de qualité il ne cassera pas !
    N’ oubliez pas
     » un portefeuille bien serré est plus difficile à arracher !  » quelqu’ un oserait il encore me contredire ?
    Pour les actions ce n’ est pas désastreux écrit l’ auteur
    ben ce lundi non pour moi une petite ligne ds mon serre joint qui me piquait du nez fait un petit bond de 100%

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