« L’assassinat de Rudolf Schumacher » de Bastien Fournier

Sur un roman à clefs qui ne restera sans doute pas longtemps dans les mémoires…

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« L’assassinat de Rudolf Schumacher » de Bastien Fournier

Publié le 31 décembre 2014
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Par Francis Richard.

fournierL’assassinat de Rudolf Schumacher est un polar. C’est d’accord. Mais c’est surtout un roman à grosses clés. Certes, dans quelques décennies, pour peu qu’il soit encore lu, ses grosses clés n’intéresseront plus personne, et ce sera tant mieux.

Car de telles clés ouvrent des serrures de circonstance et portent préjudice aux qualités de style de son auteur, Bastien Fournier, en détournant sur elles l’attention de celui qui le lit, comme de celui qui se dispense de le lire, pour le débiner ou l’encenser.

Les lieux où se déroulent l’intrigue, présentés comme imaginaires ne tromperont personne. Du moins en Suisse. Le polar commence en effet, tout de go, par cette description :

« Imaginez, je vous prie, une vallée encaissée, large de trois à quatre kilomètres, enserrée de part et d’autre par deux barrières de montagnes de trois à quatre mille mètres, traversée d’un bout à l’autre par un fleuve au cours contraint dans deux digues parallèles et comparable à la grande arête d’un poisson. »

La ressemblance de la victime de l’assassinat, Rudolf Schumacher, avec un homme politique, récemment élu au gouvernement de cette vallée encaissée ne peut être fortuite. Il suffit de lire cette autre description, pour être fixé sur l’identité de cet homme, croqué dans sa salle de bains :

« Le bruit de la douche résonna dans l’appartement. Il défit l’élastique qui formait un catogan sur sa nuque. Ses longs cheveux s’épanouirent sur ses épaules. On aurait dit une publicité pour un savon masculin, un motard à la douche après une longue et dure journée de route dans les sables du désert. »

En l’occurrence la victime est présentée comme ayant bien mérité le sort qui lui échoit.
D’abord, c’est un méchant, proche des milieux d’extrême-droite et révisionnistes. Ensuite c’est un démagogue : « La simplification des discours lui valait d’être compris. La mauvaise foi de ses arguments rencontrait celle de nombreux citoyens. » Enfin c’est un pseudo homme de lettres : « Des textes abasourdissants de fadeur rencontrèrent des applaudissements nourris. »

Bref, cet homme, au grand destin, serait en fait « un nul et un médiocre ».

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que ce Rudolf, totalement déconsidéré dans le livre, finisse son existence répugnante en recevant en plein front une balle tirée à courte distance : « On avait tué Rudolf Schumacher. On avait osé. » Son comportement avec les femmes achève d’ailleurs d’en faire une belle ordure, puisqu’il est capable aussi bien de séduire et d’être tendre que de harceler.

Alors le lecteur est invité à ne pas verser de larmes sur sa dépouille, à se réjouir que l’auteur du crime ne soit pas puni et que ce forfait soit mis sur le dos de quelqu’un d’autre qui ne pourra pas se défendre, et pour cause. À défaut d’aboutir à la vérité, cette fin arrange tout le monde. L’ordre public, un moment fortement troublé, après cet assassinat politique, par des violences partisanes, est rétabli.

Pourtant ce polar n’est pas seulement un réquisitoire caricatural et radical contre le modèle dont il s’inspire. Les projecteurs dirigés sur le personnage de Rudolf Schumacher n’en éclipsent heureusement pas d’autres, plus crédibles parce que dépeints avec humanité et nuances. « Tout ce qui est excessif est insignifiant », disait Talleyrand, à juste titre…

Ainsi le policier, Armand Fauchère, ne se remet pas de la mort de sa femme Florence : « Il pensait à Florence. Elle continuait de lui manquer, lui manquait de plus en plus, comme si le temps, au lieu d’estomper le souvenir du bonheur, l’augmentait, nous faisait voir la tristesse où nous laisse sa privation et n’accentuait guère que le regret de ce qui n’est plus. »

Marguerite, amante de Rudolf, a été attirée par sa « puissance brute, animale » : « Ça n’avait été à l’origine qu’un jeu de séduction, un défi qu’elle s’était lancé à elle-même. Pourrait-elle approcher cet homme que tout le monde haïssait ou adulait, mais face auquel personne ne demeurait indifférent ? Il y eut un premier rendez-vous, puis un deuxième, un troisième et elle n’avait plus compté. »

Les descriptions de lieux, comme celle citée plus haut, sont d’un écrivain : « L’endroit était sinistre, mal éclairé, coincé entre la voie ferrée, d’un côté, et la zone industrielle de l’autre. Du béton partout. Les silhouettes des grues donnaient dans la nuit l’impression d’un peuple immobile. La seule végétation était celle des forêts qu’on devinait sous la neige striée par les branches des sapins. »

Dans sa préface de novembre 1969 au roman La pêche miraculeuse de Guy de Pourtalès, François Nourissier écrivait :

« Quand un roman est loyalement daté, il ne vieillit pas. Il ne prend pas de rides, mais une patine. »

Celui de Bastien Fournier prendra certainement quelques rides, mais aussi de la patine.


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Auteur : Catherine de Vries, Professor of Political Science, Fellow and member of the Management Council of the Institute for European Policymaking, Bocconi University

 

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