Qu’est-ce que la liberté négative et la liberté positive ?

Dans la philosophie politique, ces deux termes techniques jouent un rôle important aussi bien pour déterminer les limites légitimes de l’action de l’État que pour déterminer la raison d’être de l’État à l’origine.

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Qu’est-ce que la liberté négative et la liberté positive ?

Publié le 8 octobre 2014
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Par Aaron Ross Powell.

 

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I. Berlin

De nombreux débats entre les penseurs politiques libéraux et non-libéraux portent sur la distinction entre liberté positive et liberté négative. Dans la philosophie politique, ces deux termes techniques jouent un rôle important aussi bien pour déterminer les limites légitimes de l’action de l’État que pour déterminer la raison d’être de l’État à l’origine.

Cela veut dire que les libéraux et les non-libéraux qui s’intéressent aux idées politiques, et qui souhaitent avoir des conversations sérieuses à ce sujet, vont profiter de la compréhension de ces deux types de liberté.

Pour débuter notre écrit en toute simplicité, tenons-nous en à une définition en deux mots. La liberté négative signifie « la liberté de », alors que la liberté positive signifie « la capacité de ».

Une autre façon de comprendre la différence entre liberté négative et liberté positive, une différence qui n’est pas des moindres, c’est de concevoir la liberté négative en tant qu’absence de limite externe. La liberté positive, elle, implique une absence de limite interne.

Prenons un exemple. Jack vit à New York. Il souhaite aller en Californie et rendre visite à sa famille. Dans la conception de liberté négative, Jack est libre d’aller en Californie à partir du moment où personne ne l’en empêche. Si son voisin l’enferme dans le sous-sol ou si quelqu’un lui vole sa voiture, la liberté négative de Jack est alors enfreinte.

Que se passe-t-il dans le cas où Jack est si pauvre qu’il ne peut pas s’acheter de voiture ou de billet d’avion ? Que se passe-t-il si Jack tombe malade et se voit contraint d’annuler son voyage ? Dans ces cas, Jack perd sa capacité à remplir son souhait d’aller en Californie. D’un point de vue de liberté positive, Jack n’est donc pas libre.

Dans un contexte de philosophie politique, incluant les autorisations et les devoirs de l’État, le gouvernement est là pour protéger la liberté négative de Jack en empêchant son voisin de l’enfermer dans le sous-sol ou encore en empêchant le voleur de dérober sa voiture. Si l’État ne peut rien faire pour empêcher ces actes précis, les auteurs des délits devront alors être punis, ce qui diminuera la probabilité que d’autres infractions soient commises, comme l’enfreinte de libertés similaires. Au lieu de sanctionner les infractions, l’État forcera la personne commettant le délit à dédommager Jack, de façon à ce que Jack se retrouve dans sa position de départ, comme si aucun délit n’avait été commis.

D’un autre côté, un État qui a pour tâche de promouvoir directement la liberté positive de Jack, est un État qui taxe ses citoyens dans le but d’acheter une voiture à Jack, une voiture qu’il n’aurait pas pu s’acheter lui-même. L’État pourrait même se servir de l’argent du contribuable pour payer les soins médicaux dont Jack a besoin, de façon à le remettre sur pied pour qu’il puisse à nouveau voyager. Une liberté positive axée sur l’État, reviendrait à prendre des mesures actives pour s’assurer que Jack n’est pas seulement libre de réaliser ses souhaits, mais également pour s’assurer qu’il dispose des ressources nécessaires pour les concrétiser.

En principe, les libéraux pensent que l’État doit se préoccuper uniquement de la liberté négative et ne doit surtout pas prendre des mesures pour promouvoir la liberté positive. Car pour l’État, cela revient à aller chercher les ressources chez certains individus et redonner ces ressources à d’autres individus afin qu’ils puissent s’acheter ce qu’ils veulent. L’argent que Jack utilise pour s’acheter une voiture ou pour payer ses soins médicaux, est en fait l’argent de quelqu’un d’autre qui, n’a maintenant plus l’argent nécessaire pour s’acheter sa voiture ou encore pour se payer ses soins médicaux. (Dans un sens, ça équivaut à dire que l’État a volé la voiture de quelqu’un pour la donner à une autre personne, ce qui est une entrave à la liberté négative de la victime). Si l’État décide d’empêcher cela, par exemple en contraignant le médecin à donner gratuitement des soins médicaux à Jack, alors l’État enfreint la liberté négative du médecin, car il empêche au médecin d’utiliser son temps comme il l’entend.

Importance de la liberté positive

Les libéraux font souvent valoir qu’un État axé sur la liberté positive aboutit non seulement à moins de liberté négative mais également à moins de liberté positive. Par exemple, en autorisant aux personnes à garder les produits de leur propre travail, on permet à l’économie de s’accroître, ce qui signifie d’avantage de ressources pour tous dans le but de satisfaire ses souhaits et ses désirs. Les États qui favorisent la liberté positive au détriment de la liberté négative, appauvrissent leur population. En d’autres termes, nous, les libéraux, pensons que l’État doit principalement protéger la liberté négative afin de se préoccuper au mieux de la liberté positive des pauvres.

Et pourtant, des libéraux utilisent parfois ces arguments pour dire que si la liberté positive existe, elle n’a pas de raison d’être. Je ne partage pas leur avis pour autant. Alors que nous devrions bien distinguer entre liberté positive et liberté négative, dans la mesure où le rôle de l’État est en jeu, nous devrions également reconnaître l’importance de la liberté positive pour nous tous.

Si je choisi d’exercer un métier, c’est parce qu’il compte pour moi et qu’avant tout, j’aime exercer ce métier en particulier. (Même s’il y a bien des fois où je me demande comment j’arrive à me faire payer par Libertarianism.org. alors que tout ce que je fais c’est d’écrire pour eux…). Il est clair qu’il y a bien d’autres raisons qui me poussent à faire mon travail, j’ai la liberté positive d’accomplir des choses qui me sont chères, comme pouvoir acheter de la nourriture, payer mon loyer et offrir un toit à moi et à ma famille, m’acheter une voiture, payer mes soins médicaux et bien sûr m’acheter une multitude de livres que je n’aurai très certainement jamais le temps de lire !

Si la liberté négative était ce qui compte le plus, quel que soit le contexte, nous n’aurions aucune raison de préférer un monde « riche » à un monde pauvre. Si personne ne nous empêchait de faire ce que nous voulons, nous serions peu préoccupés par le monde dans lequel nous vivons.

Parfois, on s’oppose à l’utilisation du mot « liberté » dans la notion de liberté positive. La seule liberté réelle serait la liberté négative. Ce qui pourrait bien être vrai. Car en utilisant les mots négatif et positif pour qualifier la liberté, on rend plus difficile le débat sur un État qui a pour rôle de promouvoir activement la liberté négative au détriment de la liberté positive. Après tout, qui souhaiterait se voir dans la position de débattre contre la « liberté » au sens large du terme ?

En ce cas, il vaut mieux dire que seule la liberté négative est une liberté réelle, et que la liberté positive se doit d’être reconsidérée à l’aide de mots comme « pouvoir » ou « capacité ». Accepter cette révision ne signifie pas pour autant que nous devons ignorer la distinction entre ces deux libertés, distinction utilisée dans la littérature, ou encore que nous ne devons plus prêter attention à ceux qui, aujourd’hui, continuent de débattre sur la liberté positive.

Comme dans chaque sujet abordé d’un point de vue philosophique, je dirais en conclusion, qu’un article aussi court néglige nécessairement les nombreuses facettes du sujet et les nuances entre liberté positive et liberté négative. Mais si vous souhaitez en apprendre d’avantage sur la liberté négative et la liberté positive, ainsi que sur les différentes façons dont les philosophes distinguent (ou associent !) ces deux types de liberté, je vous invite vivement à consulter en ligne l’encyclopédie Stanford Encyclopedia of Philosophy.

Lire aussi sur Contrepoints : « deux conceptions de la liberté »

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  • Très bonne mis au clair de ces deux termes. Si il y a un consensus sur le rôle de l’Etat à protéger nos libertés négatives, le débat se portera donc tout d’abord sur ses prérogatives à promouvoir les libertés positives.
    Education, Santé, Infrastructure (routière, énergie, télécommunication) voilà des domaines où la collectivité publique (à travers l’Etat ou autres représentations) a eu, a ou aura un rôle à jouer.

    Jusqu’où la collectivité publique pourra-t-elle aller dans la promotion de la liberté positive ?

    La liberté positive de l’un peut avoir un impact sur la liberté négative d’autrui. Mais la liberté positive ne pourrait elle pas non plus avoir des effets positives sur les libertés négatives ?

    • « Si il y a un consensus sur le rôle de l’Etat à protéger nos libertés négatives »

      Il n’y a justement pas de consensus. Voire toutes les lois liberticides qui polluent nos codes.

    • La collectivité publique a vocation à intervenir dans n’importe quel domaine si et seulement si elle renonce à toute promotion de la liberté positive (les faux « droits à »). Dans le cas contraire, elle contrevient à sa fonction de défense de la liberté négative, perdant ainsi sa souveraineté au profit du premier illuminé venu.

      « Jusqu’où la collectivité publique pourra-t-elle aller ? » Jusqu’à supprimer presque totalement la liberté négative par l’esclavagisme et le meurtre de masse, pour réserver la liberté positive à une élite démente, comme elle l’a démontré notamment au cours du XXe siècle collectiviste. La question n’est pas de savoir si elle peut mais si elle doit. Et la réponse, connue de l’honnête citoyen correctement éduqué depuis fort longtemps, est qu’elle ne doit jamais ni nulle part promouvoir la moindre liberté positive, même pas en rêve.

  • J’aimerais revenir sur la liberté positive, que le débat sur le rôle de l’Etat permet d’enterrer un peu vite.

    Si on la considère strictement comme la « capacité de », alors le débat s’élargit et on en vient à parler de la permission que l’on se donne soi-même d’agir comme bon nous semble ou des interdictions auxquelles on se soumet soi-même, sans qu’il y ait l’ombre d’une menace.

    On constate alors que de nouvelles idées apparaissent au sujet de la liberté, car « être de plus en plus libre », par exemple, est une phrase qui prend droit de cité. Comment devenir « de plus en plus libre »? Comment remettre à sa place le gendarme intérieur qui nous impose des lois parfois bien plus restrictive que ce qu’empêche la loi au sens strict ?

    Je ne parle pas ici du surmoi, mais de la pression sociale intériorisée. Celle qui impose à tout un chacun de se soumettre aux codes, aux us et coutumes, aux « ça ne se fait pas », aux « tu n’y arriveras jamais », aux regards de commisération et autres vérités préfabriquées que notre société fabrique à longueur de temps.

    En définitive, ne sont-ce pas ces restrictions à la liberté positive auxquelles nous sommes tous soumis peu ou prou, qui entravent le discours libéral lui-même en le privant de l’audace nécessaire pour découvrir les solutions radicales que le temps requiert ? Ce n’est pas avec des considérations que l’on mettra un terme à l’Etat prédateur que gauche et droite défendent chacune à sa manière. Pour découvrir ces solutions radicales et pour leur donner la force que confère le pouvoir.

    La liberté positive, vue sous cet angle, est contagieuse, car la liberté des uns accroît la liberté des autres, contrairement à la liberté négative, qui est limitée par la liberté des autres.

  • La liberté positive n’est rien d’autre qu’un « droit à ».

  • A mes yeux, tout ce qui est « liberté positive » des uns entrave forcement la « liberté négative » des autres.

    Les droits des uns « à… » constituent l’obligation des autres à fournir ce service ou cet objet.

  • D’après l’excellent livre de Robert Muchembled « Une histoire de la violence – De la fin du Moyen-Age à nos jours », la violence a globalement régressé, les homicides violents représentant environ 120/100000 (le quasi-triple du Vénézuela aujourd’hui) alors qu’ils sont descendus autour de 1 pour 100000 aujourd’hui. Dans l’analyse des causes, c’est la conjonction de l’action de l’état , des autorités morales, religieuses dans la structuration de la société et probablement les bénéfices constatés qui ont amené très progressivement cette amélioration.

    • N’hésitez pas à lire Muchembled, c’est très instructif. Pour ce qui est des conditions de vie (j’en parlait sous la dénomination « structuration de la société et probablement les bénéfices constatés »), celles-ci se sont nettement améliorées avec la révolution industrielle (augmentation de la population, recul des maladies…) alors que la baisse de cette mortalité s’est faite 1 à 2 siècles plus tôt. L’essentiel de ces homicides étaient liées à des bagarres dans les tavernes ou entre jeunes hommes, en général au couteau. Au moyen-âge, les familles se réunissaient, le coupable était souvent banni (pas de prison dans les villages) et la famille offrait une compensation pécuniaire pour la perte. Pas au crédit des élites, mais à une certaine structuration du droit principalement et à ses bénéfices.

    • Nous noterons que ce mouvement de régression de la violence a débuté et a toujours été plutôt en avance en France et en Grande-Bretagne…

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