Redressement productif ou laissez-faire : qu’est-ce que la liberté du commerce ?

Arnaud Montebourg se félicite de mettre fin au « laisser-faire libéral ». Quelques rappels historiques s’imposent.

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Redressement productif ou laissez-faire : qu’est-ce que la liberté du commerce ?

Publié le 19 juin 2014
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Par Jean-Yves Naudet

Un article de l’Aleps

« C’est la fin du laisser-faire »

arnaud-montebourgCette expression (y compris la faute d’orthographe) résume tout l’illettrisme économique de la classe politique. Bien sûr il revenait au plus illettré de la classe de la donner en pâture au public français : c’est l’inénarrable ministre de l’économie, Arnaud Montebourg, qui confirme ainsi qu’il n’a rien compris à ce qu’est « le laissez-faire, laissez-passer ». Au passage, on aura aussi noté qu’il ne connaît rien aux politiques menées par la Commission européenne, qu’il a taxées de « libérales ». Je propose de remettre les choses à l’endroit.

Legendre et Colbert

C’est à propos du décret dit « Montebourg » élargissant la liste des secteurs économiques dans lesquels l’État peut s’opposer à la prise de contrôle des entreprises que cette phrase a été prononcée. « La fin du laisser-faire » : c’est aussi le titre de l’interview d’Arnaud Montebourg dans le journal Le Monde.

Je ne reviendrai pas sur le contenu du décret lui-même, traité dans notre Lettre la semaine dernière, mais sur l’expression du ministre qui, à coup sûr, ne peut prétendre passer pour « un ministre du redressement intellectuel » disions-nous dans cette même Lettre.
Écrire de cette manière « laisser-faire » est un choix ou une erreur de grande signification. Le laisser-faire fait penser au laisser-aller, au laxisme dans l’attitude, au négligé et au débraillé ; le laisser-faire, c’est l’esprit post-soixante-huitard, y compris dans la dégradation des mœurs.

Ce que les libéraux défendent est radicalement différent, c’est le « laissez-faire ». Mais M. Montebourg doit en ignorer le sens : quand le verbe est à l’impératif, cela change tout. Il faut remonter au XVII° siècle et à Colbert. Celui-ci recevait une délégation de chefs d’entreprises, menée par Legendre. Colbert, en interventionniste fondateur du colbertisme, leur demande « que puis-je faire pour vous aider ?». Dans son esprit, cela signifie : subventions, privilèges, monopoles, réglementations, fermeture des professions… La réaction de Legendre a laissé Colbert perplexe : « Laissez-nous faire ». Nous n’avons pas besoin de votre aide et de vos fonctionnaires, pas besoin que l’État se mêle de ce que nous savons faire nous-mêmes. Mais au moins ne nous mettez pas de bâtons dans les roues, rendez-nous notre liberté, le reste, nous nous en chargeons.

Rien à voir avec le laxisme implicite du « laisser-faire » à la Montebourg, mais l’usage responsable de la liberté par des entrepreneurs capables d’anticiper les besoins des clients et de rendre les services que ceux-ci attendent.

De Gournay à la reconnaissance constitutionnelle

Moins d’un siècle plus tard, Vincent de Gournay, suivi par François Quesnay et les physiocrates, de Mirabeau père à l’abbé Baudeau en passant par Dupont de Nemours, précisait la formule : « Laissez-faire, laissez-passer ». Laissez-nous faire, c’est la liberté d’entreprendre dans toutes ses dimensions, la liberté contractuelle et la concurrence, et laissez-passer, c’est la liberté du commerce, celle des échanges, alors si limitée en France, même entre les provinces, jusqu’à ce que Turgot arrive à convaincre Louis XVI de la nécessité de la liberté de circulation des marchandises, à commencer par « les grains ».

Notre droit l’a consacré sous le nom de « liberté du commerce et de l’industrie ». Ce principe a même valeur constitutionnelle depuis la décision du 16 janvier 1982 du Conseil constitutionnel : ce qui s’est passé depuis montre quel respect nos politiques ont pour la Constitution ! Ce n’est que la conséquence cohérente des articles de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur la liberté et sur le droit de propriété. Nier le « laissez-faire, laissez-passer », c’est nier les droits naturels de l’homme. Nos ministres ont-ils conscience qu’ils nient ainsi la déclaration de1789, qu’ils sont si fiers de défendre dans leurs discours !

Pour Montebourg, l’Europe est libérale

Le reste de l’interview du ministre en dit long sur sa méconnaissance de la réalité économique. Ce qu’il souhaite « c’est un État éclairé qui oriente et construit les choix industriels et économiques de la Nation ». C’est beau comme la planification de la regrettée Union Soviétique. C’est la liberté de Monsieur Montebourg de souhaiter ce modèle économique et nous voilà bien loin de la sociale démocratie revendiquée par François Hollande. La suite est intéressante : « Ce que nous faisons en France démontre justement qu’il existe des alternatives au laisser-faire qui domine en Europe. Les orientations définies par l’Union, poussées par des gouvernements majoritairement conservateurs et la Commission, sont libérales ».(…) « Si on écoutait les libéraux, on pourrait tout aussi bien décider de mettre en vente notre industrie de défense, fermer le ministère de l’économie et de l’industrie, en somme remplacer la démocratie par les marchés ».

Le ministre ne voit pas la contradiction entre les deux phrases : le libéralisme triomphe dans la politique européenne ; et le libéralisme, c’est la liberté des marchés et la fermeture des ministères économiques. Car la réalité européenne est tout sauf libérale, la Nouvelle lettre l’a montré sous la plume de Jacques Garello pendant la campagne des élections européennes. L’Europe de la réglementation, des politiques communes, à commencer par la politique agricole, des directives tatillonnes, c’est tout sauf l’Europe libérale. C’est la réglementation publique qui impose son arbitraire aux marchés. Où Monsieur Montebourg a-t-il vu qu’on avait fermé le ministère de l’économie ou celui de l’industrie ? Il accuse l’Europe de libéralisme, en agitant l’épouvantail du libéralisme ; or la définition qu’il en donne montre que l’Europe n’est pas libérale !

L’ordre politique n’est pas l’ordre marchand

Au-delà de l’ignorance des hommes politiques, ce morceau de bravoure du ministre permet de rappeler quelques fondamentaux. Le but du libéralisme n’est pas de remplacer la démocratie par les marchés, cela n’a aucun sens, sauf à confondre les domaines. Dans l’ordre politique, on peut être pour la démocratie, si elle repose sur l’État de droit, donc sur le respect des droits fondamentaux, qui s’impose à tous, même à l’État ou aux majorités. Le vote majoritaire peut être légitime pour remplacer pacifiquement les dirigeants ; il ne l’est plus pour remettre en cause des droits fondamentaux, à commencer par le droit de propriété ou celui d’entreprendre. La démocratie ne signifie pas qu’une majorité spolie une minorité, ni qu’une majorité vienne perturber la liberté personnelle dans l’économie. La démocratie n’est pas légitime en dehors de son domaine.

Dans l’ordre marchand, si on veut parler de démocratie, il faut se référer au « plébiscite quotidien du marché », donc au vote des clients. Et aucune décision émanant d’une majorité électorale ne peut remettre en cause les libres choix des individus lorsqu’ils dépensent leurs revenus, rémunérations des services qu’ils ont rendus à la communauté. On ne peut remplacer la liberté responsable et personnelle par l’arbitraire majoritaire et collectif.

Voilà quelques principes élémentaires de la vie économique, que l’on ne saurait trop rappeler quand on veut participer au redressement intellectuel des Français, et surtout de nos éminents ministres de l’envergure d’Arnaud Montebourg

Sur le web.

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  • Enfin une bonne analyse après avoir lu sur Contrepoints que l’UMP avait un père Noël politique pour sauver la France et que le Gvt. changeait de politique, qu’il n’était plus marxiste, nous faisant croire au Père Noël libéral du Grand Soir qui va nous sauver ! Tout cela en si peu de temps devenait inquiétant.
    Je suis de la génération Naudet et les pernoélistes trentenaires me font bien marrer.

    • L’analyse est en effet limpide, mais je ne sais pas si il faut rire en pensant aux trentenaires et à ce que l’avenir leur réserve.

      Si il faut livrer de futiles batailles inter-générationnelles, les trentenaires peuvent à loisir accuser les anciens d’avoir dilapidé toute la richesse créée lors des Trente glorieuses en s’offrant le luxe de vivre à crédit pendant 40 ans en laissant une ardoise de 100% du PIB!

      Les trentenaires, pour ce qu’ils comptent de gens sérieux, sont ceux qui auront à charge d’être saignés afin de faire tenir le système debout, avec tout ce qui va avec, dont les retraites par répartition que personne n’a touché jusqu’ici.

      Pour revenir à l’entretien de PLG, personne sur ce site n’attend le messie, mais ceux qui n’ont pas vécu les années de Gaulle / Pompidou avec leurs 30/35% de PO et qui voient que l’Histoire peut amener des Reagan, Thatcher, Cameron et Renzi sont sensibles à toutes les lueurs de maigre espoir qu’on peut leur présenter. Ce ne sont pas des Père Noël (ou des mères pour Margaret 🙂 ) mais des moindres maux. Je ne suis pas optimiste et même d’accord avec vous (alors pourquoi vous contredire, me direz-vous 😉 ) : le candidat Sarkozy avait prononcé « il ne faut pas avoir peur du libéralisme » et je suis tombé dans le panneau et les presque 9% de déficit qui ont suivi! Mais si on ne prête pas attention aux rares politiques qui parlent baisses des dépenses et des impôts, nous n’aurons vraiment plus aucune raison de nous plaindre quand on sera dans le mur. Seul un politique peut changer les choses, à moins que les 30 ou 50.000 libéraux de France ne fassent un coup d’Etat 😀

  • Montebourg=Incompétent…C’est un socialiste…

  • Arnaud Montebourg souhaite « un Etat éclairé ». Pour ma part, je vois plutôt un ministre illuminé.

    • Arnaud Montebourg souhaite « un Etat éclairé ». C’est évidemment faux, il souhaite décider sans être obligé de sacrifier ses préjugés à un éclairage qu’il recevrait. Les citoyens peuvent souhaiter un état éclairé, mais pour le gouvernement, ce serait un sacerdoce dont aucun ne veut.

  • Je ne vois pas trop ce que vous voulez démontrer ?
    Cela fait 5000 ans que l’on a jamais vu un politichien régler un problème et notamment l’économie. Ils ne font que des crises, des conflits, des guerres. Cela fait 2500 ans (Platon) que les constructivistes essaient de nous faire croire le contraire. Cela fait 8 jours que Contrepoints croit à l’étatisme, aussi.

    • Je ne démontre rien, j’exprime ma lassitude en réaction à un article mal construit, bourré d’approximations, de clichés et de références glanées et servies dans le désordre.
      Le libéralisme est mal représenté, trop académique, trop doctrinaire, totalement déconnecté de toutes réalités. Envisager un autre monde n’est pas une utopie, sauf à ne pas prendre en compte ce que vous révélez avec justesse, ce qu’a perdu de vue le libéralisme (n’a jamais été capable de voir).

      Par ailleurs, Montebourg n’est qu’un pion, un politique, il défend son pré. Comme Hollande, l’homme est très loin d’être stupide, c’est un fin tacticien, ceux qui passent à coté de cette évidence et bercent dans la facilité en dénonçant ce qu’ils pensent être ses erreurs se trompent lourdement.
      Vous savez, sans revendications autre qu’un constat de fait, j’avais annoncé l’élection de Hollande, plus de 2 ans avant qu’il ne soit président, tout comme la chute de DSK (1), et je n’ai rien d’un devin, juste par le fait que ma carrière a affiné ma perception.

      Ma diatribe contre les spécialistes, est ce que vous pouvez appréhender comme étant une démonstration, malgré que cela n’ait pas été mon objectif, encore une fois il n’y en avait pas.
      En référence au chapitre précédent, il faut pour que le libéralisme émerge, user des mêmes codes que les Montebourg, Hollande, Sarkozy, il faut FAIRE DE LA POLITIQUE.

      A de rares exceptions, tenant toutes à la qualité humaine de l’individu, un spécialiste m’emmerde, quelle que soit la discipline. Nous sommes envahis par les spécialistes, dans tous les domaines de la société.
      S’ils peuvent être compétant, cela ne leur confère aucune autorité pour porter des jugements de valeur sur notre monde, ce qui de nos jours hélas, est devenu systématique.
      Le monde n’est plus gouverné, il est sous pilotage automatique, plus aucune décision n’est prise sans qu’un spécialiste ait donné son avis, produit un graphique, démontré qu’une moyenne mobile savamment relevée avait quelque peut dévié de son axe.

      Quelles plus parfaites démonstrations que les sujets sur l’économie ou le réchauffement climatique ? Qui s’exprime ? une bande d’iconoclastes ayant usé leurs culs sur les bancs d’universités à se nourrir d’un savoir technique, que technique, simplement et atrocement technique.

      Voyez ce que cela donne dans les faits… un technicien qui parle de son métier est une chose naturelle, lorsqu’il se sert de son savoir technique pensant démontrer qui que ce soit dans la société c’est juste un imposteur. Un peu comme une célébrité du showbiz qui lorsqu’elle se produit dans ses spectacles peut être appréciable, dès qu’elle ouvre la bouche au seul prétexte d’être devant un micro en parlant de politique, ça vire à la catastrophe, mais hélas, cela devient une référence.

      Tous, sans exceptions, les économistes qui n’ont que leur maigres connaissances techniques comme argument, m’emmerdent, pour les motifs énoncés ci-dessus.

      Aux techniciens, je préfère les gens intelligents et, aussi détestable qu’il puisse être, Montebourg fait partie de cette race, c’est avec ces individus que s’est bâti notre monde, vous pouvez dénier ce fait mais, c’est une réalité incontournable.

      (1) Au sujet de DSK, mes propos d’alors étaient : « il est stupide, ce sera son camp qui le fera tomber, il n’a aucune stature politique… »

      • J’avoue avoir énormemment de peine à immaginer et Hollande et Monte-à-rebours comme fins tacticiens: le nombre astronomique de bévues accumulées en deux ans démontre à l’envi leur manque de perspicacité. C’est bien pour ça qu’ils peuvent porter la palme des Grosflops.
        Par ailleurs, « laissez-les » railler autant qu’ils veulent le libéralisme, leur incompétance finira par rendre celui-ci séduisant, même pour ceux qui ne comprennent un traitre mot à ce que celui-ci représente. Regardez où en est le FN, c’est éloquent.
        Sinon, parfaitement d’accord: les libéraux n’ont d’autre solution pour changer un peu la donne que de faire (enfin) un peu de politique…

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