Made in France, E11 : « Le petit chat est mort »

Poussière, nous ne sommes que poussière, capables de bloquer les rouages de l’infernale machine étatique. Démonstration en trois comités de direction par un chat anonyme.

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Made in France, E11 : « Le petit chat est mort »

Publié le 11 avril 2014
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Tranches de vie ordinaires en République Démocratique (et Populaire) Française, imaginées mais pas dénuées de réalité – Épisode 11 : « Le petit chat est mort. »

Par h16 et Baptiste Créteur.

L’administration française, c’est ce savant équilibre de normes, règlements et circulaires qui garantit un homéostat propre à l’harmonie citoyenne et au vivre-ensemble festif et pour assurer la tranquillité des citoyens, elle réclame obéissance et application stricte de consignes méticuleusement écrites. Malheureusement, un grain de sable peut toujours se glisser dans la belle mécanique bureaucratique qui la fait alors toussoter gravement. Ce grain de sable, quelque part, c’est un peu Laurent.

Laurent était un jeune désÅ“uvré jusqu’au moment d’obtenir son premier CDI à durée déterminée sous la forme d’un contrat de désir d’avenir. Maintenant, grâce à ce sésame magique fruit d’une régulation étatique finement ajustée, Laurent aura, pendant trois ans, la tâche citoyenne, nécessaire, et aussi peu festive que peu valorisante de vider les poubelles de chaque bureau du conseil général. Et Laurent, réaliste, a le mérite de considérer que « c’est quand même mieux que d’être au chômage ».

En quelques semaines, Laurent prend ses habitudes. Il passe entre les bureaux, ses écouteurs dans les oreilles lui permettant d’écouter les morceaux de rap estampillés « Culture Française », et vide les petites poubelles dans de plus grandes conformément à la circulaire C56-3 et aux règlements idoines appris lors d’une passionnante formation au tri sélectif qu’il a reçue dans un institut commodément géré par le beau-frère du président du conseil général.

cat gtfo stupid mouseChaque jour, il s’amuse d’entendre de petits pas feutrés au-dessus du faux plafond : un chat semble avoir décidé d’y passer son temps, appréciant sans doute la quiétude de l’endroit et les petits rongeurs que certains fonctionnaires auraient aperçus de temps à autre, courant derrière la machine à café ou se délectant de petits gâteaux abandonnés sur un bureau. D’ailleurs, Laurent a noté quelques toutes petites crottes derrière certains meubles et ceci ne laisse aucun doute : l’arrière de certains bureaux est autant infesté de parasites que peut l’être l’espace entre la chaise et la table aux heures d’ouverture…

Un chat n’est donc pas de trop dans cet environnement propice à sa chasse… Jusqu’au jour où les pas ne se font plus entendre.

Laurent imaginera au début que le chat est parti. Au bout d’une semaine cependant, les effluves qui s’échappent d’un local technique écartent tout départ du félin : le petit chat est mort, reposant probablement pour l’éternité au-dessus d’un paquet de câbles.

Enfin, « pour l’éternité » ou presque. Les nuisances olfactives de plus en plus musclées attirent d’abord quelques nuisibles peu ragoûtants, avant de déclencher la grogne des individus alentour. À l’évidence, il faut agir pour arrêter enfin cette puanteur.

Mais voilà : le local technique est normalement sous la férule des services de l’infrastructure technique. Et le nettoyage des locaux, ainsi que leur propreté et leur indispensable hygiène conforme aux normes NF et ISO-trucmachin sont assurés par les services d’entretien. Immédiatement, la situation, déjà passablement puante, passe à méphitique : entre ceux « qui ne sont pas là pour nettoyer la merde » et ceux « qui n’ont aucun mandat à bricoler du câblage dangereux », la lutte s’installe.

cat smells badElle s’installe tant et si bien qu’au bout de quelques jours, le couloir dans lequel donne le local infesté est à peu près invivable, puis, tout le quatrième étage du conseil général est alors évité par ceux qui le peuvent. Laurent, lui-même, ne s’attarde pas pour les poubelles périphériques. Les autres, plus proches de l’épicentre de la puanteur, sont de toute façon vides puisque personne ne s’en sert plus. Mécaniquement, les absences se multiplient parmi le personnel victime de rhume des foins, de légère fatigue et généralement tout démotivé par cette odeur alternative qu’on lui impose.

C’est lorsqu’un dossier urgent, mis en souffrance entre deux hauts-le-cÅ“ur, finit par exploser au nez d’un ponte des étages supérieurs que des décisions fermes sont finalement prises. Alors que le problème n’a pour le moment pas réussi à mobiliser plus qu’une paire de chefs de section (l’un à l’infrastructure et l’autre à l’hygiène), le dossier mis en souffrance par les odeurs insupportables propulse pour ainsi dire comme une fusée le matou crevé aux plus hautes sphères de la hiérarchie du Conseil et devient ainsi l’objet d’une discorde entre la Direction Générale de l’Infrastructure et la Direction Générale de l’Entretien, le tout immédiatement placé sous l’œil attentif (et paniqué) de la Direction Juridique et de la Direction Générale des Ressources Humaines.

Le Comité de direction approche ? Fort bien ! Le point « Chat crevé au 4ème » est ajouté à son agenda, et plutôt dans les premiers éléments que les derniers (avec cependant l’indispensable reformulation en « Dispositions à prendre pour la résolution du problème sanitaire relatif au local technique E4-7F », restons sérieux, hein).

On prend doctement note du blocage. Évidemment, la décomposition de l’animal et les risques sanitaires inhérents sont rapportés. Une expertise sur les risques courus par d’éventuels dégagements gazeux toxiques est envisagée. Quoi qu’il en soit, une décision sera prise lors du prochain comité de direction, en concertation avec la Direction Juridique et la Direction Générale de la Sécurité, qui sont tenues d’informer le groupe de travail formé pour l’occasion, et supervisé par la Direction Générale des Ressources Humaines.

La semaine suivante est décisive : le comité de direction, attendu avec impatience, prend fermement en note le fait que le groupe de travail a rendu un verdict clair demandant l’intervention d’un équarrisseur. Tout le monde salue vivement la décision. Décision qui pose cependant un souci : le local technique est situé en zone sensible et ne peut être rendu accessible à l’équarrisseur.

oh noes

Et puis au fait, la Direction Générale de l’Environnement doit absolument s’impliquer : après tout, si la collecte des déchets est du ressort de la Direction Générale de l’Entretien, leur enlèvement est en revanche du ressort de la Direction Général de l’Environnement, eh oui, c’est comme ça.

Parallèlement, le problème des odeurs semble se résoudre de lui-même, le cadavre étant à présent réduit à l’état d’ossements.

L’équarrisseur contacté n’a heureusement pas tout misé sur le contrat avec le Conseil Général pour survivre. Entre la demande d’intervention qui lui est faite et les différents obstacles rencontrés, tout indique que cette affaire va tourner en jus de boudin tant elle lui évoque l’image d’une poule se noyant dans un verre d’eau.

Ce qui n’empêche pas, du reste, la Direction Financière d’examiner son devis avec le plus grand sérieux, et ce d’autant plus qu’aucune direction ni aucun service n’accepte que les frais de cette intervention ne soit prélevés de son budget de fonctionnement. Et lorsque le troisième Comité de Direction à propos du chat du quatrième arrive, il est surtout constaté qu’en réalité, aucune décision n’a été prise.

Laurent n’en peut plus. Depuis toujours amoureux des chats et déplorant le sort du félin, il décide de prendre les choses en main. Attrapant François,de la maintenance, dans un couloir, il lui demande les clés du local technique. François refuse mais accepte de l’accompagner. Courageusement armé de son seul sac poubelle, Laurent enlève alors le chat et lui offre une sépulture décente près d’un géranium.

Le comité de direction ne connaîtra jamais le fin mot de l’histoire, ni sa morale : poussière, nous ne sommes que poussière, capables de bloquer les rouages de l’infernale machine étatique.

Vous vous reconnaissez dans cette histoire ? Vous pensez qu’elle ressemble à des douzaines de cas relatés par la presse ? Vous lui trouvez une résonance particulière dans votre vie ? N’hésitez pas à en faire part dans les commentaires ci-dessous !

lawyer lolcat

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  • Cela n’arrive pas que dans le public, mais aussi dans les grosses boites : j’ai participé à une réunion technique (et non sur l’organisation) de 4 heures de 40 personnes chez Air France (qui n’a rien décidé évidamment) suite à un dysfonctionnement (un simple raté) pour cause d’oubli de communication de Air France à un sous-traitant.

    Si un jour on arrive à rendre efficaces les fonctionnaires, les grands groupes pourront s’en inspirer pour réaliser d’énormes gains en productivité. Avis aux actionnaires !

    • C’est assez facile, globalement : peu de gens, impliqués, et debout. Si on supprime les chaises des salles de réunion, les réunions deviennent tout de suite plus efficaces.

    • Pour être honnête, je dois reconnaître que j’ai très souvent moi-même évacué discrêtement les « chats crevés » dans diverses boites. Mais quand il m’est arrivé de travailler pour l’administration, j’ai toujours du renoncer à procéder de même avec les « mamouth crevés ».

    • ouais mais Air France c’est une culture publique …

      • La culture publique, il y a d’ailleurs un ministère pour ça.

      • « Air France c’est une culture publique  »

        Tout à fait, d’ailleurs j’en ai autant pour France Telecom, la SNCF ou l’Aérospaciale. Pour EDF, je ne sais pas : j’étais trop occupé à faire griller les merguez avec les employés pour aproffondir la question.

        • oh les merguez sont un détail, nécessaire à la cohésion sociale ; bien encadrée dans le bon contexte ça peut etre très positif pour le corporating.
          Chez EDF comme ailleurs, les chefs, sachants et encadrants en tout genre sont responsables de tout mais s’engagent sur rien.
          Ce n’est qu’une palanqué d’administrateurs, et pas des leaders.
          Tant que le projet commun ne sera que la planques des élites foireuses, et que le boulot sera au final réalisé par le bas de l’échelle sans aucune reconnaissance, ça merdera.

      • Il y a sur le « Cercle des Echos » un informaticien qui conformément à sa vaste expérience, s’évertue (a plein temps semble-t-il – peut-être financé par le ministère du RP) à commenter 90% des articles pour affirmer que tout ce passe mieux et plus efficacement dans le public que dans le privé. Allez savoir. Chacun sa névrose.

    • Dans le CAC40 on peut dire sans trop se tromper qu’on est tous dans ce cas là…
      l’aéro, l’électricité et le nucléaire en tout cas pour ce que je connais.

      Ilaginez qu’on mette du bon sens, du pragmatisme et des compétences réelles au bon endroit dans ces entreprises…la rentabilité espérée serait très certainement là.

      • « Ilaginez qu’on mette du bon sens, du pragmatisme et des compétences réelles au bon endroit dans ces entreprises…la rentabilité espérée serait très certainement là. »

        A part celles qui sont dirigées étroitement par l’état, les sociétés du CAC40 sont quand-meme rentables. (Les socialos sont mêmes étonnés et choqués qu’elles distribuent des dividendes). Si en plus elles étaient efficaces, elles pourraient se développer à l’international et soulager le déficit de la balance commerciale, alimenter le tonneau des Danaïdes du fisc et générer de l’emploi dans la sous-traitance.

  • Dans un comité de normalisation, j’ai assisté à une réunion surréaliste : on a pris un problème réel avec la norme (pas le draft, une norme finale mais pleine de bugs) et on a commencé à en discuter. Et avant de risquer de corriger le bug, on a dit que c’était comme ça qu’il fallait travailler. Je pensais qu’on corrigeait les bugs, mais en fait on mettait au point un « process » pour corriger les bugs. Ensuite on a dessiné un beau schéma indiquant comment on devait aborder les problèmes, et ce schéma n’a à ma connaissance rigoureusement JAMAIS été appliqué.

    Le but était explicitement de ne pas résoudre un problème mais de voir comment on pouvait aborder les problèmes pour les résoudre…

    Une perte de temps parfaitement pure.

    Méfiez-vous des américains, ils adorent les réunions à la con.

    • @Simple-touriste, ton com illustre parfaitement ce qui se passe dans ma boite et chez mes clients.
      Les méthodes sont parfois cohérentes, desfois un peu moins, mais dans tout les cas, c’est plus couteux à mettre en place que de réfléchir concrètement à résoudre le problème ; et le résoudre, car souvent, on parle de tout ce qu’il faut, mais jamais de résoudre le problème.

      Le but est de releguer le travail réel au second plan et ne mettre en avant que la méthode/process, ça donne de l’importance à beaucoup d’incompétants qui ne peuvent s’illustrer que là dedans.

      Ensuite je pense que ces méthodes, meme si elles cadrent les actions, ne sont là que pour se protéger de l’échecs, avoir un alibi à la non atteinte du jalon planning ou autre. C’est pas notre faute, on a respecter le processus, et ça a pas marché…Un technicien terrain ou un développeur un peu touche à tout arrive alors, a une dérog pour tout straper le processus, et résoud le problème en se disant qu’on se noient dans un verre d’eau…

  • Normal tout ça ! nous sommes sous la dynastie UBU
    VGE, non UBU 1er l’accordéoniste, puis UBU II le sportif, spécialiste du un mètre haie, puis UBU III la feignasse, puis UBU IV le guignolo et enfin UBU V le bouffon. C’est la raison pour laquelle la situation est dramatique car le bouffon n’est pas roi mais son premier conseiller, alors qui est roi ? la CGT-FO !

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par h16

Les choses sont maintenant claires et le gouvernement français, droit et sérieux comme jamais, l'a fort bien compris : outre quelques décrets habiles permettant aux citoyens de produire plein de petits cerfas auto-signés finement ouvragés, outre même une nouvelle loi contre la haine et la méchanceté, ce qui nous permettra de nous sortir de cette crise d'ampleur historique, ce sont avant tout des tests, des tests et encore des tests.

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bise
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