Les clivages internes en Syrie : un piège pour une intervention occidentale

Avant que les puissances occidentales ne conduisent une nouvelle campagne pour mettre en place une stratégie de changement de régime, il serait sage que les responsables évaluent scrupuleusement l’environnement politique complexe en Syrie et les conséquences négatives potentielles et inintentionnelles d’une intervention occidentale.

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Égyptiens arborant le drapeau révolutionnaire syrien lors d'une manifestation de soutien au Caire, 18 novembre 2011.

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Les clivages internes en Syrie : un piège pour une intervention occidentale

Publié le 15 juillet 2012
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Avant que les puissances occidentales ne conduisent une nouvelle campagne pour mettre en place une stratégie de changement de régime, il serait sage que les responsables évaluent scrupuleusement l’environnement politique complexe en Syrie et les conséquences négatives potentielles et inintentionnelles d’une intervention occidentale.

Par Ted Carpenter, depuis les États-Unis.

Article publié en collaboration avec Unmondelibre.

Égyptiens arborant le drapeau révolutionnaire syrien lors d’une manifestation de soutien au Caire, 18 novembre 2011.

En Europe et aux États-Unis, les appels se font de plus en plus pressants pour encourager la « communauté internationale » à intervenir de façon décisive dans la sanglante guerre civile syrienne. Des membres éminents du Congrès américain, notamment les sénateurs John McCain, Lindsey Graham et Joseph Lieberman, défendent non seulement l’envoi d’armes à l’Armée Syrienne Libre (les troupes rebelles qui tentent d’évincer le gouvernement de Bachar el Assad), mais également l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne. Cette dernière mesure maintiendrait au sol les forces aériennes de Assad et aiderait à la fois les civils et les rebelles à établir des poches de sécurité. Les sénateurs, surnommés les « trois amigos » dans les cercles politiques américains, ont même suggéré que les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN lancent des frappes aériennes sur des cibles du gouvernement syrien. Bien que le gouvernement de Barack Obama ait pour l’instant décliné l’adoption de telles mesures drastiques, il a, à de multiples reprises encouragé Assad à abandonner le pouvoir.

Avant que les puissances occidentales ne conduisent une nouvelle campagne pour mettre en place une stratégie de changement de régime, il serait sage que les responsables évaluent scrupuleusement l’environnement politique complexe en Syrie et les conséquences négatives potentielles et inintentionnelles d’une intervention occidentale. Cette vérification préalable devrait inciter à la prudence et empêcher les États-Unis et leurs alliés de s’avancer avec maladresse dans un champ de mine.

Les images bouleversantes de victimes civiles qui proviennent de Syrie sont insoutenables. Plusieurs milliers d’innocents ont péri depuis le début de la résistance au régime d’Assad en mars 2011, et il ne fait guère de doute que les forces du gouvernement sont responsables de la majorité des morts. Mais les médias occidentaux ont une fois encore (comme ils le firent pour les Balkans dans les années 1990), représenté une lutte complexe et multidimensionnelle en des termes simplistes mélodramatiques. Contrairement au récit dominant des médias, ce qui se produit en Syrie n’est pas simplement un combat entre l’odieux régime Assad et la noble opposition motivée par un désir de liberté et de démocratie. La situation réelle est bien plus trouble.

La population syrienne se partage entre Arabes sunnites (environ 60% de la population), Chrétiens (environ 10-12% de la population), Alaouites (une ramification Shiite, également 10-12% de la population), Druze (environ 6%) et diverses minorités ethniques, en majorité Sunnites, principalement des Kurdes et des Arméniens. La famille Assad, Alaouite, a assis son pouvoir pendant plus de quatre décennies sur la solide loyauté de son groupe religieux, fébrilement allié avec les Chrétiens, les Druze, et, parfois, avec plusieurs autres groupes ethniques plus petits. Ce à quoi nous assistons aujourd’hui est une tentative des arabes sunnites de renverser ce régime de « coalition de minorités ».

Les preuves s’accumulent sur le fait que ce sont bien les Sunnites qui dominent l’Armée Syrienne Libre et le Conseil National Syrien (CNS), la direction politique des insurgés en exil. David Enders, journaliste pour le journal McClathy, a passé un mois avec les forces rebelles dans le centre et dans le nord de la Syrie. Il a constaté que, si les premiers manifestants anti-Assad étaient multiethniques et multireligieux, « les rebelles armés sont sunnites jusqu’à l’os ». Enders démystifie également une autre préconception fréquente en Occident, selon laquelle les rangs rebelles incluraient de nombreux déserteurs de l’armée syrienne. Bien qu’il y ait eu quelques militaires déserteurs, la plupart des combattants se trouvent être des civils sunnites. « Les rebelles sunnites ont lancé des appels aux autres groupes religieux pour qu’ils joignent leur lutte », note Enders, mais ils ont eu « peu de succès ». Malgré quelques tentatives pour masquer la vérité, le CNS est dominé par les sunnites, en particulier par la branche syrienne des frères musulmans, une faction ardemment islamiste.

Les divisions sectaires en Syrie rendent la situation particulièrement périlleuse pour une intervention occidentale. Les Alaouites constituent 140 000 des 200 000 soldats de métier dans une armée qui compte 300 000 actifs. La plupart des autres sont Chrétiens ou Druzes. Environ 80% des officiers sont Alaouites, et presque l’ensemble des 20% restants sont membres des alliés ethniques du régime. Étant donné que les rebelles Syriens Libres sont, dans une écrasante majorité, Sunnites, les ingrédients pour générer le genre de guerre civile sectaire qui a secoué le Liban durant les années 1970 et 1980, et qui tourmente toujours l’Iraq aujourd’hui, sont bien en place.

James Jay Carafano, un chercheur de l’Heritage Foundation à Washington, se fait l’avocat d’une politique américaine active à l’égard du conflit syrien, mais il concède malgré tout que « les mêmes dynamiques toxiques qui ont conduit aux violences frénétiques en Irak en 2006 sont largement présentes en Syrie. » Robert G. Rabil, l’auteur de Syria, The United States, and the War on Terror in the Middle East (La Syrie, les USA, et la guerre contre le terrorisme au Moyen-Orient) émet un pronostic particulièrement sombre. Les affrontements en Syrie, croit-t-il, concernent désormais « la consolidation de divisions sectaires, ou la création d’unités infranationales dirigées par un groupuscule prédominant. »

Il y a également une autre dynamique troublante dans la violence syrienne. Bien que la coalition Assad soit principalement laïque, la composition idéologique de l’opposition est bien plus opaque. Les éléments islamistes radicaux sont certainement présents, bien que la mesure de leur force soit incertaine. Toutefois, certains indicateurs sont très inquiétants. Depuis les attentats suicides dans la ville d’Alep au début du mois de février, a eu lieu une prolifération d’épisodes rappelant les techniques terroristes d’Al Qaida et groupes militants similaires en Irak et dans d’autres pays du Moyen Orient. David Enders note que le récent attentat à la bombe de Sayyed Al Zeinab, un lieu de pèlerinage proche de Damas, « a des accents effrayants des violences qui secouèrent l’Irak en 2006 ». De tels facteurs soulignent la nature naïve des commentaires, comme ceux du Sénateur Lieberman, selon lequel une intervention des États-Unis et de ses alliés, particulièrement par le biais de frappes aériennes, « romprait la volonté » des forces pro Assad et aurait pour conséquence de « mettre un terme à ce terrible gâchis de vies ». Si seulement la situation était aussi simple.

Aider à évincer Assad peut sembler moralement séduisant pour les Occidentaux, mais nous devrions prendre garde aux conséquences inintentionnelles. Si la conséquence d’une intervention dirigée par les Américains est une Syrie turbulente et instable, avec un nouveau gouvernement fortement influencé par des éléments islamistes radicaux, ce qui semble très probable, nous n’apprécierons pas le résultat. Malheureusement, comme dans le cas de l’Irak, les architectes intellectuels d’un tel fiasco politique tenteront probablement d’échapper aux responsabilités de leur ouvrage.

 

(*) Ted Carpenter est analyste au Cato Institute.

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  • Enfin un article sérieux qui s’interroge sur la situation syrienne…
    Je suis un Français qui s’intéresse à l’Histoire et plus particulièrement à celle de notre révolution.
    Pour connaître la « vraie » histoire je ne compulse que les ouvrages d’historiens d’avant 1930 avec quelques exceptions, Michelet, interdit de bibliothèque et Stefan Zweig incontournable pour son « Marie-Antoinette » et son « Fouché ».
    Plus on regarde loin dans le passé plus on comprendra le présent et on verra un peu mieux l’avenir, selon Churchill, lequel déclarait en 1933 « Si on ne voit pas de conflit majeur à dix ans, il est inutile de dépenser pour s’armer ».
    Pour la Syrie et Assad, il est impossible qu’il n’y ait pas une conjuration quelconque, sous couvert de liberté, de démocratie ou toute foutaise plaisante à entendre.
    Un peu comme Robespierre, l’ami de la constitution qui s’est empressé de la mettre à terre car il « était nécessaire » d’établir la terreur par amour de l’humanité qu’il s’est empressé d’égorger, certes, dans une lucarne patriotique pour les apparences.
    Porter un jugement manichéen rassure mais ne s’applique jamais à la réalité. Dans ce contexte il faut rechercher ceux qui sont assoiffés d’or et de sang. Pour mon pays je sais, le duc d’Orléans, puis la situation qui lui échappe au profit des jacobins parisiens, mais pour la Syrie d’aujourd’hui ? Après la révolution qui ne peut être qu’un échec, il faut attendre le coup d’état qui ne peut être qu’une réussite pour certains et qui dévoile les conjurés.

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