Il est certes rationnel d’être égoïste, mais il est encore plus rationnel d’être altruiste dans une société qui le mérite. Voyons pourquoi.
Par Fabrice Descamps.
Les commentaires récents d’un de mes lecteurs – vu la hargne de son ton, sûrement un ancien élève à qui j’ai mis un jour une mauvaise note – m’incitent à lever un certain nombre de confusions que je lis souvent sous la plume des internautes ayant consulté mes articles. Elles reposent généralement sur une incompréhension de l’articulation entre les différentes formes de la rationalité.
Je n’ai cessé de dire que a) la société était le fruit d’un contrat social, b) la rationalité était originellement pratique ou instrumentale, c’est-à-dire égoïste. Voyons comment ces deux points se complètent.
La rationalité se décompose en effet en trois variétés, de la plus originelle à la plus aboutie. Il y a d’abord la rationalité pratique ou instrumentale qui met notre intelligence au service de nos passions ou de nos désirs, autrement dit de notre égoïsme. Il y a ensuite la rationalité scientifique qui nous explique le monde. Il y a enfin la rationalité morale qui, en critiquant ces désirs et ces passions, les met au service de la morale.
La question qu’on peut alors se poser consiste à savoir comment l’on passe de l’une à l’autre et comment la société où nous vivons concourt à ce développement de la rationalité.
La société est un contrat tacite mutuellement avantageux où chacun échange des services avec son voisin de sorte que la somme de biens échangées est supérieure à celle qui serait produite par chaque individu isolé en l’absence d’un marché. La société est donc initialement la servante de nos intérêts égoïstes bien compris. Mais elle ne le reste pas longtemps.
En effet, au fur et à mesure que nous développons notre rationalité, nous nous rendons compte que cet outil ne nous permet pas seulement de mettre nos moyens économiques au service de nos désirs, mais qu’il nous incite également à critiquer nos désirs et à les remplacer par des buts plus rationnels. Ce passage de la rationalité pratique à la rationalité morale se manifeste notamment par l’apparition d’une religion et par celle du sacrifice de soi. Tout homme qui est passé de la seule rationalité pratique à la rationalité morale sait en effet que son sacrifice peut parfois être nécessaire pour sauvegarder le bonheur de son voisin. Or pour accepter un tel sacrifice, il faut que cet homme ait dépassé la rationalité pratique et compris que ce sacrifice est rationnel dans la mesure où il peut parfois sauvegarder ou augmenter la somme globale de bonheur que produit la société dans laquelle il vit.
Si, par exemple, mon pays est menacé de sombrer dans le totalitarisme, je peux me sacrifier pour faire victorieusement obstacle à ce totalitarisme. Mais nul ne pourra plus dès lors affirmer que la société m’est avantageuse à moi. Elle n’est plus mutuellement avantageuse dès que je suis prêt à me sacrifier pour elle : elle n’est avantageuse qu’à ceux qui me survivront. La société, qui était au départ un contrat mutuellement avantageux, est désormais devenue, grâce à une rationalité morale née de la rationalité pratique mais qui la dépasse maintenant, un bien méritant que certains se sacrifient à sa pérennité afin que d’autres en profitent. L’égoïsme, qui présidait à la naissance conjointe de la rationalité pratique et du contrat social, est surmonté dans la rationalité morale.
C’est précisément ce que n’arrivent pas à comprendre ceux d’entre mes lecteurs qui défendent encore la philosophie d’Ayn Rand : qu’il est certes rationnel d’être égoïste, mais qu’il est encore plus rationnel d’être altruiste dans une société qui le mérite (autrement dit pas la Syrie de M. Assad !). L’égoïsme rationnel de Rand est donc, je le répète, une contradiction dans les termes car si Rand était vraiment et totalement rationnelle, elle cesserait d’être égoïste. Mais cela ne retire rien au fait que la rationalité morale naît en effet d’une rationalité pratique qui, au départ, est égoïste. La philosophie de Rand en est restée au stade primitif de la rationalité. Elle n’est pas pleinement rationaliste. Seuls le sont le stoïcisme antique, le spinozisme (à mon avis une version moderne du stoïcisme), le kantisme ou l’utilitarisme de John Stuart Mill.
Quand j’étais jeune, je croyais qu’il était impossible d’être un saint car impossible d’être totalement désintéressé. Je me disais que le saint devait trouver quelque plaisir à être un saint, ce qui contredisait sa sainteté, censée être pur désintéressement. Or je me trompais, le saint n’est pas purement désintéressé : il a sublimé son intérêt dans sa sainteté, mais son intérêt est toujours là ; le saint prend plaisir à être vertueux ; mais cela ne l’empêche pas, au contraire, d’être capable de sacrifier son plaisir à sa vertu.
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Sur le web.
RT @Contrepoints: Contrat social et rationalité Il est certes rationnel d’être égoïste, mais il est encore plus rationnel d’êt… http:/ …
De fait, si l’idée du contrat social est à peu près la base des théories politiques modernes (Hobbes, Rousseau mais aussi Locke), c’est une mauvaise base. Même en se prémunissant d’une surinterprétation en déclarant « Tout se passe comme si » (comme Rawls le fait), c’est à mon avis une faiblesse très importante dans le soubassement de la philosophie politique de ces derniers siècles.
Enfin, on ne peut tout de même pas reprocher à Locke d’avoir cédé à la mode intellectuelle de son temps ; mais il est largement temps de réviser une telle hypothèse, quand elle n’est plus nécessaire, qu’elle conduit à des absurdités, ou qu’on a une meilleure compréhension de l’émergence des sociétés humaines.
Le contrat social de Locke est fondamental non pas par rapport à un quelconque état de nature pré existant ou par rapport à l’existence d’une société, blablabla
Le contrat social de locke est primordial car il sous entend un principe vérifié par l’empirisme : le fait que l’être humain peut choisir dans quelle société (et donc avec quel contrat social) il veut vivre.
Cette liberté là sous tend le choix d’un contrat social spécifique à une nation, à l’origine de nations différentes.
L’article vise à démontrer que le sacrifice de soi au nom des intérêts d’autrui peut être rationnel; et qu’un égoïsme rationnel ne peut conduire à aucun sacrifice de soi. Je pense que la thèse ne tient pas.
1. L’auteur estime qu’il faut « parfois » se sacrifier: mais pourquoi « parfois » et pas « toujours »? S’il est rationnel de se sacrifier au nom de l’autre, alors ce sacrifice doit être constant. Simple déduction à partir de la prémisse. La démonstration de l’auteur ne me semble pas rigoureuse.
2. Selon l’auteur, il est rationnel en soi de se sacrifier: ce qui présuppose l’existence d’impératifs catégoriques: de commandements de la raison trouvant en eux-mêmes leur propre justification, et non point à l’aune d’un objectif extérieur. Le problème est qu’un impératif catégorique l’est par sa forme: il commande universellement; et en somme, tout un chacun peut donner une forme universelle au hobbie moral de son choix. L’impératif catégorique kantien ou millien – sers toujours autrui comme une fin en soi, et n’en fais jamais exclusivement un moyen en vue de tes fins propres, quitte à sacrifier tes intérêts quand il le faut, c’est-à-dire sans cesse – est universel du point de vue de sa forme; mais l’est-il du point de vue de ses conséquences pratiques?
Un impératif catégorique doit être jugé à l’aune de ses conséquence: si chacun se soumet à cet impératif, est-ce que nous rentrons en conflit les uns avec les autres? Si chacun veut se sacrifier pour l’autre, alors plus personne ne peut se sacrifier, car chacun refusera qu’on se sacrifie pour soi. Donc, incohérence pratique de l’impératif du sacrifice de soi.
Mais l’impératif catégorique objectiviste : « ne pas agresser autrui en sa personne ou en sa propriété », est cohérent du point de vue pratique: si chacun se soumet à cet impératif, les intérêts s’harmonisent. C’est la grande leçon de l’économie: cf. Bastiat.
Conclusion: la thèse de l’auteur selon laquelle il serait rationnel en soi de se sacrifier ne tient pas. Mais il a tort à moitié. Car dans une logique rationnelle authentique, celle de l’égoïsme rationnel, je puis, au nom de mes intérêts à moi, quand des cas d’urgence où la solidarité des intérêts ne tient plus s’imposent, rentrer dans un « pacte tacite », en effet, où je me sacrifie au nom des intérêts d’autrui. Mais ce sacrifice n’est pas gratuit, il n’est pas au nom d’autrui: en fait, l’idée est que « je me sacrifie pour autrui tout comme autrui en ferait de même ».
Je crois que l’auteur a mal compris l’égo¨sime revendiqué par Ayn Rand.
Celle-ci (cf le discours de john galt dans la révolte d’Atlas) comprend parfaitement le sacrifice pour la société ou d’autres personnes que soi-même, mais elle souligne que ce doit être un choix volontaire.
en fait, l’égoïsme de ayn Rand doit être rapproché d’un individualisme, cad que pour Rand il est anormal d’être égoiste (cad de demander le sacrifice des autres pour soi) ou d’être altrusite (de se sacrifier pour les autres).
Sa pensée est résumée dans la déclaration de Howard Roak dans « la source vive » : je ne veux pas avoir comme choix d’être masochiste ou sadique, il revendique une autre possibilité : cet égoïsme spécifique à Ayn Rand.
« celle-ci (cf le discours de john galt dans la révolte d’Atlas) comprend parfaitement le sacrifice pour la société ou d’autres personnes que soi-même, mais elle souligne que ce doit être un choix volontaire. »
Vous avez à moitié raison, Stéphane. Tout comme l’auteur de l’article a à moitié raison.
Le sacrifice de soi doit être 1. volontaire; 2. exceptionnel; 3. égoïste.
Il existe des cas d’urgence où le bénéfice de l’un n’est plus solidaire du bénéfice de l’autre: un pacte tacite entre égoïstes, qui par définition ne se sacrifieront pas l’un pour l’autre en temps normal, où leurs intérêts sont harmoniques, fera qu’en cas d’urgence, où leurs intérêts ne seront plus solidaires, le sacrifice de l’un sera tolérable, voire exigible.
Mais attention : ce n’est pas un sacrifice de soi au nom des intérêts d’autrui; c’est un sacrifice au nom d’un pacte tacite, qui veut que « je me sacrifie pour la survie d’autrui comme autrui se serait sacrifié pour ma survie »; dans des situations d’urgence, c’est ma survie à moi qui exige que je fasse un tel pacte avec autrui, autrui devant se sacrifier pour moi si les circonstances le veulent mais en retour moi de même devant me sacrifier pour autrui si les circonstances le veulent.
En clair, je ne me sacrifie pas gratuitement, ce qui relèverait d’une logique masochiste, ni ne sacrifie gratuitement autrui, ce qui relèverait d’une logique sadique: je suis égoïste.
C’est une chose qui m’avait frappé dans les ouvrages de Ayn Rand: l’inexistance de l’altruisme positif et son impossibilité de l’intégrer dans son récit. Je suis d’accord avec elle lorsqu’elle dénonce ceux qui utilisent les bon sentiments pour leur intérêt propre et leur idéologie, mais elle n’invente rien de plus par rapport au Tartuffe de Molière. En tant que chrétien j’avoue que cela m’a attristé de voire que cet auteur qui écrivait des choses remarquable était incapable d’envisager le bien de manière gratuite…
« En tant que chrétien j’avoue que cela m’a attristé de voire que cet auteur qui écrivait des choses remarquable était incapable d’envisager le bien de manière gratuite… » Remarque légitime, mais ça se discute.
http://www.atlassociety.org/generosity_self-interest
Fabrice Descamps, are you a fu*kin’ socialist ? Cause you really like an ugly fu*kin’ socialist. What the fu*k « contrat social » !? Vous avez signé un contrat de ce type un jour vous ? Et avec tout le monde en plus ? J’en doute. Non non, vous n’êtes encore qu’un personne plus que légère sur la logique, qui fonde une argumentation assez longue et ennuyeuse sur un axiome/hypothèse (la société est fondée sur un contrat social) que jamais vous ne vérifiez. J’aimerais pouvoir avoir deux secondes votre esprit, afin de pouvoir savoir ce que cela fait d’être aussi limité logiquement. Mais non, car alors, je me suiciderais, comme dirait le philosophe Guaino.