Les poules du Père Mathieu

Quel est le principal frein à l’activité économique et à l’emploi en France ? Une réponse sous forme de fable, avec des œufs, des poules, des poulets et un petit retraité !

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Les poules du Père Mathieu

Publié le 17 février 2012
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Quel est le principal frein à l’activité économique et à l’emploi en France ? Une réponse sous forme de fable, avec des œufs, des poules, des poulets et un petit retraité !

Par Michel Berr.

Il était une fois, dans une petite ville de province, un petit retraité dont tout le monde avait fini par oublier le nom, mais que l’on appelait, affectueusement, le Père Mathieu, tout simplement à cause de son prénom. En plus d’un petit jardin potager qui lui fournissait quelques légumes, il possédait une poule afin d’avoir des œufs frais pour son petit déjeuner et pour concocter des gourmandises pour ses petits enfants.

Il s’était rendu compte qu’en moyenne, sa poule faisait 40 œufs par semaine.

Comme, bien sûr, il ne les mangeait pas tous, il offrait ceux qui restaient à quelques uns de ses voisins qui, en retour, lui donnaient parfois quelques uns de leurs produits afin qu’il n’ait pas à les acheter, tantôt un lapin, tantôt du beurre, tantôt encore du lait, des fruits, du bois de chauffage, etc.

Fort maigre était sa retraite, aussi, un jour, notre Père Mathieu, de retour du marché hebdomadaire, eut une idée qui lui sembla bonne, celle d’acheter une poule de plus afin d’en vendre les œufs. Il se mit alors à faire des calculs pour établir son prix de revient. Le point de départ était simple, chaque dimanche matin, il devait, théoriquement, avoir 40 œufs à vendre.

Comment être, à la fois, compétitif, garder un petit bénéfice et entretenir correctement sa nouvelle poule ? Sur le marché, ses futurs « concurrents » vendaient 2.50 € une boîte de six œufs, et il lui fallait être moins cher. Avec le temps, le Père Mathieu avait pu estimer, avec une assez bonne précision, ce que, chaque mois, sa poule actuelle lui coûtait en grains, paille, entretien de cage, vétérinaire etc.., et, si tous ces frais étaient incompressibles, ils avaient toutes les raisons d’être transposables.

Partant de cette base et, en s’attribuant une marge minimale, il arrivait au prix unitaire de 0,33 € l’œuf, donc 2 € les six… Tout bien pesé, ces 2 € lui semblèrent un prix de vente tout à fait honnête, d’autant que s’il avait peu de frais, il n’aurait à vendre que 40 œufs par semaine, soit 160 par mois, et qu’il ne pouvait donc pas espérer plus qu’un chiffre d’affaire mensuel d’environ 53 €. D’autant qu’après s’être renseigné, et bien que sa nouvelle poule n’ait que le statut de « nourrie-logée », c’était une forme contrat de travail assorti d’un salaire « en nature », et qu’à ce titre, il allait devoir payer des charges.

Pour cette seule et unique poule, il fallait compter 0,50 % de la masse salariale pour s’acquitter d’une taxe dite d’apprentissage… Après tout, pourquoi pas ? Cela ne perturbait pas trop son calcul de prix de revient, et il restait dans la légalité et compétitif. Dès le dimanche matin suivant, notre Père Mathieu s’en va vendre ses œufs sur le marché. Au bout d’un mois, il fait son bilan et constate, avec satisfaction, que ses calculs étaient bons et que, même après avoir tout payé, il a bel et bien arrondi sa retraite des 53 € qu’il escomptait.

Tout est donc pour le mieux, aussi décide-t-il d’acheter une seconde poule et, si ses prévisions restent bonnes, ce seront, cette fois, 106 € qui viendront mettre du beurre dans ses épinards mensuels. Seulement voilà, il découvre que rien qu’à cause de celle-ci, il va devoir s’acquitter d’une taxe supplémentaire et sur ses deux poules, puisqu’il vient s’ajouter à la « taxe d’apprentissage » une « taxe formation ». Quelle différence peut-il bien y avoir ? Allez savoir, mais, en tout état de cause, elle représente 0,55 % de la masse salariale. Là, ces deux taxes cumulées ont un impact sur le prix de vente qui passe de 2 à 2,02 €, pour 6 œufs, sans lui rapporter un centime de plus.

Notre brave Père Mathieu, qu’il pleuve neige ou vente, se rend dorénavant sur le marché chaque dimanche, pour vendre ses œufs, et, comme il est encore très compétitif, il les vend tellement bien que sa petite entreprise prospère, au point qu’il doit acheter poule sur poule pour faire face à la demande, jusqu’au jour où il achète une dixième poule. Là, brutalement et à cause de cette simple poule, la taxe de formation passe de 0,55 à 1,05 %, et une nouvelle taxe de 0,45 % pour « contribution à l’effort de construction » vient s’ajouter aux deux autres. Fort heureusement, comme la ville où il habite ne compte que 8750 habitants, il se trouve dispensé de cotiser à la « taxe transports ». Le Père Mathieu, en refaisant tous ses calculs, arrive à la conclusion qu’il est obligé de porter, cette fois, le prix de ses six œufs à 2,04 €.

Après tout, ce n’est pas une catastrophe et, quelques semaines plus tard, il achète une onzième poule… qui devient déléguée du personnel avec tout ce que cela entraîne, pour celle-ci, de tâches administratives et réglementaires. Cette poule, prenant particulièrement son rôle à cœur, s’entretient très régulièrement avec ses 10 collègues : conditions de travail, réclamations individuelles ou collectives relatives aux salariés, à l’hygiène, à la sécurité, à l’application du code du travail, des autres lois sociales, de la convention collective etc.. Notre Père Mathieu constate rapidement que, s’il a effectivement une masse salariale de 11 poules, il ne peut compter, avec certitude, que sur les œufs de 10, ce qui entraîne de fait une augmentation du prix de vente, qui bondit, pour 6 œufs, de 2,04 à 2,24 euros.

Ses concurrents proposant toujours leurs œufs à 2,50 € la boîte de six, il reste encore compétitif, bien que ses clients lui fassent la remarque d’une augmentation tout de même substantielle. Il réalise alors que cet effet brutal peut être lissé s’il a plus de poules. Notre Père Mathieu achète alors 6 poules supplémentaires, lesquelles, en diluant l’impact de la déléguée du personnel, vont lui permettre de diminuer le prix de vente de la boîte d’œufs qui repasse alors de 2,24 à 2,17 €.

Tout va bien. Enfin, jusqu’au jour où un nouveau gouvernement, alliant P.S. et P.C., Poules Solidaires et Poules Citoyennes, a l’idée géniale de réduire le temps de ponte pour créer des emplois. La C.G.T., Confédération des Gallinacés Travailleurs, lance alors un mouvement de grève et, au terme d’un conflit très long et très dur, la loi est votée, les poules obtiennent la semaine des 39 œufs. L’impact sur le prix de vente est mécanique, immédiat et très simple à calculer, les prix augmentent de quarante trente-neuvièmes. Ceux qui, auparavant, vendaient 2,50 € leurs 6 œufs,  les vendent maintenant 2,56, tandis que le Père Mathieu, lui et avec le même calcul, s’en tire à bon compte et parvient à ne passer que de 2,17 à 2,22 €, restant, ainsi, toujours compétitif.

Et, effectivement, les affaires vont plutôt bien et même mieux que prévu, en tous cas en ce qui le concerne, aussi se décide-t-il à acheter 6 poules supplémentaires, pour atteindre le nombre de 23 en tout, déléguée du personnel comprise. Il estime, de cette façon, pouvoir baisser son prix de vente, mais c’est sans compter sur le fait que, au-delà de 20 poules, la « taxe formation » passe à 1,60% au lieu de 1,05% de la masse salariale. Rien qu’à cause de l’augmentation de celle-ci et malgré une bien meilleure productivité, le prix de vente diminue moins que prévu et, au lieu des 2,18 € escomptés, il ne peut le ramener qu’à 2,20 €. Cette réduction, même si elle est modérée, lui a tout de même fait gagner en compétitivité puisque les autres commerçants, continuant à vendre 2,56 € leurs 6 œufs, sont, tout de même, 0,36 € plus chers que lui.

C’est alors, et dans ce contexte, qu’un grand mouvement social s’instaure et que la C.G.T., forte de son succès passé et de son rôle actif dans l’obtention des 39 œufs hebdomadaires, en appelle à l’union syndicale afin d’obtenir, cette fois… « la semaine des 35 œufs ».

La Confédération Fermière Des Travailleuses, la Confédération Française des Travailleurs Champêtres, Force Œufs et Sud Poule rejoignent la Confédération des Gallinacés Travailleurs et une grève générale paralyse les poulaillers. Le Rassemblement des Poules Républicaines, a beau en appeler à la reprise du travail, rien n’y fait, la grève est un succès … et les « 35 œufs » sont obtenus.

Le résultat est immédiat, en subissant une augmentation de trente-neuf trente-cinquièmes, les prix flambent. Sur le marché, les concurrents du Père Mathieu sont immédiatement contraints de vendre la boîte de 6 œufs à 2,85 €, alors que lui, et parce qu’il partait de plus bas, limite la casse en ne la portant qu’à 2,45 €. Mais, cette fois, les prix incitent les clients à être plus regardants au point, même, que certains hésitent à acheter une boîte entière, préférant se limiter aux 4 ou 5 œufs dont ils ont réellement besoin.

Bref, les affaires ne vont pas très bien et l’un des concurrents du Père Mathieu, rencontrant des difficultés financières, lui propose ses 24 poules. Avant toute décision, il en informe la poule déléguée du personnel qui lui fait savoir que, à partir de 26 poules, et là, elles seraient 47 en tout, une « salle de restauration » devient obligatoire si elles sont plus de 25 à la demander. La déléguée admet volontiers l’argument que, dans la situation présente, les poules l’ont d’ores et déjà et qu’en fait, elles y passent même la journée, aussi donne-t-elle son accord à la reprise de ses 24 petites « camarades ».

Les affaires tournent rond, surtout pour lui, mais notre Père Mathieu perçoit une mauvaise ambiance et a la sensation que ses 47 poules sont tristes, ce que la déléguée du personnel lui confirme. Et, malgré un très léger impact sur la masse salariale productive, il va leur acheter un coq, coq qu’il appelle, bien sûr, « Rocco »…

Ce qu’il ignore, c’est qu’il ne faut pas dépasser 10 à 12 poules par coq or là, nous sommes loin du compte, le rapport est de 1 pour 47… Notre pauvre Père Mathieu hérite donc, à peine quelques jours plus tard, de deux préavis de grève. Le premier, déposé par le coq qui, complètement épuisé, parvient à peine à susurrer « Halte aux Cadences Infernales » et, le second, par des poules insatisfaites qui réclament, elles, l’embauche de coqs supplémentaires.

Il a beau faire toutes les promesses possibles, du grain de chez Fauchard ou, encore, de chez Hédion, la musique, la télé, rien n’y fait, les négociations n’aboutissent pas et, le marché du dimanche suivant approchant, il doit finalement se résoudre à satisfaire cette revendication, mais, encore faut-il se mettre d’accord sur le nombre de coqs à embaucher. Le coq et la poule déléguée se concertent pour fixer ce nombre et tombent d’accord sur la nécessité d’embaucher 3 coqs supplémentaires afin de respecter le seuil de 1 coq pour 12 poules au maximum.

Le Père Mathieu achète donc les 3 coqs nécessaires à la joie de vivre de ses poules. Il n’a pas même le temps de calculer l’impact de ces volatiles qui ne pondent pas sur la masse salariale productive qu’il apprend, coup sur coup, que, maintenant qu’il possède 51 poules et coqs, il se doit d’avoir un Comité d’entreprise… un délégué syndical… un Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail… et, cerise sur le gâteau, la municipalité venant de franchir le seuil des 10000 habitants, une « taxe transport » vient, maintenant, s’ajouter aux précédentes…

… Ne cherchez plus le Père Mathieu, il a pris sa poule, la première, la fétiche, et il a délocalisé en laissant, à la place qu’il occupait sur le marché, une simple et laconique banderole :

Voici comment, en France, on tue les entreprises… dans l’œuf !

 


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