Condenados (Condamnés)

Action en justice du Président équatorien contre des journalistes qui écopent de 3 ans de prison et de 40 millions de dollars à lui verser

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Condenados (Condamnés)

Publié le 27 juillet 2011
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Par Miguel Castañeda

Lorsqu’on constate que le commerce se fait non par consentement, mais par compulsion lorsqu’on constate que pour produire, il faut auparavant obtenir la permission d’hommes qui ne produisent rien — lorsqu’on constate que l’argent afflue vers ceux qui dispensent non des biens, mais des faveurs — lorsqu’on constate que les hommes deviennent plus riches par la subornation et les pressions que par le travail, et que les lois ne vous protègent pas de tels hommes, mais les protègent au contraire de vous — lorsqu’on constate que la corruption est récompensée et que l’honnêteté devient un sacrifice — on sait alors que la société est condamnée. (Ayn Rand)

Les équatoriens découvraient ainsi ce jeudi dernier, la couverture du journal El Universo, l’un des plus lus en Équateur, le lendemain d’une décision rendue par un juge des tribunaux de Guayaquil qui approuvait l’action en justice du Président de la République Rafael Correa contre un journaliste, trois dirigeants et le journal lui-même, pour cause de diffamation et calomnie contenus dans un éditorial.

La peine dictait 3 ans d’emprisonnement pour les trois dirigeants et le journaliste et un montant à payer de 40 millions de dollars américains (80 millions exigés au début par l’accusateur) à Rafael Correa, en raison de « dommages à l’image et à l’honneur », sans compter les honoraires de ses avocats. L’entreprise El Universo C.A. devra payer 10 millions alors que le code pénale n’autorise pas le jugement des personnes juridiques qui logiquement ne peuvent pas injurier individuellement  (le 4 avril Rafael Correa affirmait être conscient de ceci). Pour fixer un chiffre selon la législation, l’indemnisation doit réunir deux éléments : une affectation immédiate causée par le supposé délit ; et le manque à gagner, ce que la « victime » a perdu en gains à cause du dommage. Donc, selon le juge le chiffre à payer a été fixé en fonction d’un pourcentage du budget de l’État équatorien entre 2007 et 2011, soit 80 milliards de dollars, qui ont été « confiés » au président afin qu’il en assure la gestion, gestion qui aurait pu être « compromise » par les diffamations.

Si on remonte quelques mois auparavant, on retrouvera l’éditorial du journal écrit par Emilio Palacios en Février 2011, qui faisait allusion à Rafael Correa en utilisant le mot « le dictateur » et en l’avertissant qu’un jour un nouveau président élu pourrait le poursuivre pour les événements du 30 septembre 2010. Le journaliste a commis « l’erreur fatale » d’utiliser le mot dictateur et d’affirmer que Rafael Correa avait ordonné à l’armée (pour le secourir) de tirer sur un hôpital rempli de civils dans lequel se trouvait le président supposément emprisonné par certains membres de la police, alors que la justice équatorienne n’a pas encore réussi à trouver les auteurs et responsables.

Le président exigeait des journalistes et du journal qu’ils se rétractent, en les menaçant de poursuites. Mais ceux-ci n’ont pas voulu entendre en faisant allusion aux libertés d’expression. Le président a donc procédé en menant une action privée en justice en qualité de citoyen. Quelques semaines avant le jour du jugement, ses avocats avaient donné l’option aux accusés d’annuler le procès s’ils acceptaient de faire les corrections respectives. Même si le journaliste avait décidé de renoncer à son poste pour prendre en charge toute la responsabilité (7 juillet 2011), les dirigeants continuaient à être accusés sous le terme juridique qui les nommait comme « autores coadyuvantes » (partie intervenante).

Le jour du jugement les personnes présentes témoignent que lorsque les deux parties présentaient leurs titres de compétences et leurs positions, le juge a demandé à chacune s’il y avait la possibilité de conciliation. Les accusés ont donc accepté de corriger et modifier l’éditorial comme l’avait demandé la partie accusatrice, sauf que celle-ci n’a pas accepté. Les accusés ont décidé de sortir de la salle en se rapprochant de Rafael Correa pour lui serrer la main en lui disant : « Monsieur le Président, s’il vous plaît » mais celui-ci a répondu: « Non, je suis désolé ».

Les experts en la matière expliquent que « le juge était un juge temporaire qui, en 33 heures, a pris en charge le poste, a étayé l’audience d’arbitrage, a lu et étudié les 5000 pages du dossier, a écrit 156 pages de sentence, a notifié le verdict aux parties et finalement a laissé le poste. » Un véritable record pas seulement national, mais mondial.

Rafael Correa avait déjà gagné un jugement « moral » contre la banque Pichincha, ce qui lui a permis d’obtenir 600.000 dollars américains qu’il a déjà déposés dans une banque en Allemagne (Correa a déclaré qu’en 2013 il ne cherchera pas la réélection mais qu’il partira habiter dans le pays de sa femme, la Belgique). Mais si un citoyen se permet d’amasser une fortune en moins de douze mois grâce à la défense de son honneur, évidemment c’est grâce aux lois. Il est curieux de constater qu’il y a quelques mois, le délit de « sicariato » (assassiner quelqu’un par commande en échange d’argent) qui a prospéré avec le business dominant de la drogue, n’était pas défini dans le code pénal équatorien, ce qui a rendu difficile la poursuite des assassins de dizaines de victimes innocentes, cependant il existe depuis longtemps plusieurs articles, sous prétexte de diffamation, qui pénalisent tous ceux qui décident d’attaquer verbalement un fonctionnaire public.

Sous couvert du terme juridique de diffamation, un fonctionnaire politique et public peut faire n’importe quoi contre n’importe qui. Rafael Correa disait hier, après la sentence, que ses enfants savent lire, qu’ils regardent la tv, et que c’est pour cela qu’il ne peut pas permettre qu’un journal s’exprime comme ça et dise des mensonges à propos de leur père. En revanche, durant ces dernières années, Rafael Correa a insulté une vingtaine de personnes dans ses émissions hebdomadaires des samedis, en utilisant des termes très forts contre tous ceux qui osent le contredire. Termes comme « petite grosse moche » ou « femme de réputation douteuse » ont été entendus à la radio et à la télévision, en transmission directe et sur des chaînes nationales, aux horaires où « le reste » des enfants équatoriens regardent leurs dessins animés. Jusqu’à présent le président n’a reçu aucune accusation de diffamation.

Mais pour certains, les « délits de diffamation, injurie et calomnie » n’ont pas de fondements et ils sont plus que jamais au centre du débat. Walter Block, professeur d’Économie à l’université de Loyola (Nouvelle Orléans), expliquait dans une récente conférence « Strategies for Changing Minds » organisée par le Mises Circle de Chicago, les idées de son livre « Défendre l’indéfendable ». Il démontre avec une vision libertarienne (principe de non agression de la vie et des propriétés humaines) les incohérences que certaines lois possèdent au moment de sanctionner un crime, comme la différence entre chantage et extorsion, avec l’extorsion comme étant une menace d’agression contre la vie et la propriété humaine et le chantage comme étant la promesse de colporter un possible secret. Ce dernier est considéré comme étant illégal alors qu’il ne viole pas le principe de non agression de la propriété et des vies humaines. Si je vous ai vu vous baigner avec un canard en plastique et que je vous demande une quantité d’argent en échange de ne pas divulguer votre «honteux» secret, je ne suis pas en train de détruire quoi que ce soit, ni votre propriété ni votre vie. En plus, qui peut assurer que les gens à qui je raconterai votre secret vont y croire?

Colporter ne peut pas être un crime, car il s’agit d’un droit à la liberté d’expression. Donc on ne peut pas mettre quelqu’un en prison pour avoir « exprimé son intention » de colporter quelque chose avec pour argument « la menace d’agression ».

Block mentionne un autre exemple, qui décrit mieux le cas équatorien. Le crime « d’injurier » quelqu’un. Selon le langage juridique, l’injure est une expression qui blesse la dignité d’une personne et qui ruine sa réputation. Dire que quelqu’un endommage ma réputation serait dire que quelqu’un est en train de s’approprier celle-ci. C’est logique, si vous trouvez que ma réputation a plus de valeur que ma maison, vous devriez alors la voler pour que je me sente endommagé. Pour que vous puissiez vous approprier ma réputation, et donc attaquer ma propriété, vous devriez donc être capable de la posséder. Mais peut-on dire que c’est moi qui possède ma réputation ou mon honneur? Peut-on dire que ceci se retrouve dans mon corps, peut-être écrit sur mon front? Non, car la réputation, l’honneur, la bonne volonté, etc. sont des constructions mentales qui sont nées dans l’esprit de chaque individu à propos de ma personne. Pouvez-vous posséder la pensée des autres ? Non, donc vous ne pouvez pas posséder votre réputation. Peut-on donc dire qu’il y a eu une violation du principe de non agression de la propriété privée de monsieur Rafael Correa? Non, évidemment.

Alison Bethel McKenzi de l’Institut International de Presse (Vienne) exprimait que « l’excessive nature de la sentence de la justice équatorienne démontre la nécessité d’éliminer les lois pénales archaïques et illégitimes de diffamation, tant en Amérique Latine comme au niveau mondial ».

Le principe 11 de la déclaration des principes sur la liberté d’expression de la Cour Inter-américaine des Droits de l’Homme, à laquelle l’Équateur a souscrit, soutient que :

Les fonctionnaires publics doivent être davantage soumis aux contrôles de la société. Les lois qui pénalisent l’expression « offensive » dirigée contre un fonctionnaire public, généralement connus sous le nom de « lois d’irrespect » portent atteinte à la liberté d’expression et au droit à l’information.

Cet argument est vital pour un pays qui possède une longue historique de cas de corruptions dans le secteur public. Comment peut-on dénoncer un cas de corruption sans dire que le responsable est une personne corrompue? La CIDH mentionne aussi qu’il y a beaucoup d’ambiguïté et d’imprécision dans les lois de calomnie lorsqu’elles essaient de punir un journaliste, car elles ne peuvent pas démontrer si dans ses expressions, il a eu l’intention d’endommager ou s’il avait pleinement connaissance du fait que ses sources étaient faussées.

Peut-être que les constitutionnalistes et les experts en droit trouveront les arguments pour réfuter, avec un langage légal très élaboré, les principes de la CIDH, ou la vision libertarienne de Block. Ils diront que cette vision cherche « l’anarchie » et le non respect des lois, après tout, les lois sont là pour être respectées et les fonctionnaires sont aussi des citoyens méritant le respect. Mais les lois sont créées par des humains donc elles sont susceptibles d’être erronées et il est clair que ce type de loi est plus bénéfique à un groupe qui est censé nous servir au nom du « service que l’on paie ».

Les lois sont aussi censées évoluer avec l’humanité, pas évoluer contre elle. La vision d’une justice égale pour tous est universellement acceptée, même par les critiques de Block, mais ceci n’est pas le cas en Équateur, une société qui est aujourd’hui condamnée.

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