Le problème de la politique du dollar faible

Le dollar faible n’est-il pas un stimulant pour les exportations et un carburant pour la relance de l’économie ?

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Le problème de la politique du dollar faible

Publié le 21 juin 2011
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Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale, a adopté une politique de dollar faible. Et il n’est pas le seul à l’endosser.

Le thème du dollar faible est très présent à Washington, sur la plupart de ses boulevards et dans ses ruelles ; l’idée semble même présenter un certain attrait pour l’homme de la rue.

Ne présente-t-on pas le dollar faible comme un stimulant pour les exportations, et un carburant pour la relance de l’économie ?

Cependant, c’est souvent que l’homme de la rue se trompe, et de même le président Bernanke.

A peu de choses près, la seule chose qui ait été relancée au cours des deux dernières années ce sont les prix, en particulier ceux des matières premières. Le graphique ci-dessous reproduit les indices des prix à la production à la fois pour les matières brutes (principalement la nourriture et l’énergie), et pour les produits finis. A l’aune de ces deux paramètres sensibles, les prix sont effectivement en plein essor, avec un indice des prix à la production pour les matières premières en hausse de 14% depuis qu’en novembre 2010 la Fed a fait connaître son deuxième plan d’ assouplissement quantitatif.

Or, ces prix-là ne sont pas ceux que regardent le président Bernanke et ses collègues de la Fed qui ont pris le parti de cibler l’inflation. Non : l’indice sur lequel ils se concentrent, c’est celui des prix à la consommation, moins ceux de la nourriture et de l’énergie. En agissant de la sorte, ils excluent les éléments qui subissent les hausses de prix. Qu’importe ! Le président et ses collègues continuent à minimiser la menace de la hausse des prix.

Cependant, le public ne marche pas dans leurs histoires. La plupart des gens vont plusieurs fois par semaine à la station service et à l’épicerie, et ils savent ce qui arrive aux prix de la nourriture et de l’essence. Comme on pouvait s’y attendre, la crédibilité de la Fed s’est presque complètement évaporée, et même les hommes du fisc ont une cote plus favorable.

Si la Fed est en plein déni quant à la menace d’inflation, elle est aveugle à l’éventualité que la faiblesse du dollar soit la cause de la hausse des prix de la nourriture et de l’énergie. Or, c’est en dollars que se facturent le pétrole et la plupart des autres denrées alimentaires et industrielles. Avec pour conséquence que, lorsque le dollar « baisse », le prix des matières premières a automatiquement tendance à « monter », et vice versa. C’est cette histoire-là que raconte le graphique ci-dessous, qui montre comment le taux de change entre le dollar et l’euro et le prix du pétrole ont bougé depuis janvier 2011.

Au cours de cette période, le dollar a perdu du terrain vis-à-vis de l’euro, et le prix du pétrole a augmenté. Pour chaque baisse de 1% du dollar face à l’euro, on a vu en moyenne le prix du pétrole monter de 0,5%. La plus grande cause de la hausse des prix du pétrole au cours des derniers mois, ce n’est pas en Libye qu’elle se trouve, mais au siège de la Réserve fédérale à Washington.

Pourtant, ce n’est pas là toute l’histoire du dollar : les États-Unis, par l’intermédiaire de divers forums internationaux, tels que le G-20, prônent

« d’améliorer la flexibilité des taux de change afin de mieux refléter les fondamentaux de l’économie et la prise en compte des réformes structurelles ».

Ce langage, on l’entend généralement comme un code pour réclamer une plus grande flexibilité des taux de change, en particulier pour ce qui concerne la Chine. Il exprime une prise de position contre la constitution et la consolidation de « blocs de devises » régionaux.

Etant donné que de nombreux pays lient – étroitement ou approximativement – leurs monnaies au dollar américain, cet appel à « flexibilité des taux de change » est, au mieux, problématique. Au pire, cette position des États-Unis (au G-20) est une grave menace pour les pays qui, comme les pays producteurs de pétrole dans le golfe Persique, sont, par nécessité ancrés dans le bloc dollar. Il faudrait que les pays de ce bloc monétaire adoptent à leur tour une régime de « flexibilité » entre eux. Mais ils devraient, à la différence du G-20, définir exactement ce que, en termes de régimes de change, le terme “flexibilité” implique.

Des taux de change strictement fixes ou des taux de change strictement flottants sont des régimes où l’autorité monétaire ne vise qu’un seul objectif à la fois. Quoique les taux fixes et les taux flottants paraissent différents, ils appartiennent à la même famille d’instrument économiques libéraux. Les deux régimes fonctionnent l’un et l’autre sans contrôle des changes ni stérilisation, et tous deux sont des mécanismes de marché libre pour ajuster les balances des paiements et permettre de maintenir la convertibilité des monnaies (voir le tableau ci-dessous).

Avec un taux de change flottant, la banque centrale définit sa politique monétaire, mais n’a aucune politique de change – le taux de change est en pilotage automatique. Il s’ensuit que la base monétaire est déterminée, localement, par la banque centrale. Avec un taux fixe, ou ce qu’on désigne souvent comme un régime de monnaie unique, il y a deux éventualités :

1. ou c’est une caisse d’émission qui fixe le taux de change, mais qui n’a pas de politique monétaire – c’est l’offre de monnaie qui est en pilotage automatique ;

2. ou alors le pays est « dollarisé » et se sert de cette monnaie étrangère comme de la sienne propre.

En conséquence, dans un régime de changes fixes, c’est la balance des paiements du pays qui détermine sa base monétaire, variant dans une correspondance de un à un avec les variations de ses réserves de change.

Avec ces deux purs mécanismes de marché en matière de taux de change, il ne peut y avoir aucun conflit entre la politique de change et al politique monétaire, et aucune crise de balance des paiements ne peut se manifester.

Les régimes de changes fixes et de changes flottant sont fondamentalement des systèmes d’équilibre où les forces du marché agissent automatiquement pour rééquilibrer les flux financiers et prévenir les crises de balance des paiements. Aussi bien les changes fixes que les changes flottants génèrent la flexibilité nécessaire au maintien d’un équilibre – à savoir l’automaticité, la convertibilité des monnaies, sans aucun contrôle des changes ni stérilisation.

Il s’ensuit que les dits « problèmes » de déséquilibre global n’en sont pas, des problèmes. Que le régime soit à changes fixes ou à changes flottants, il agira automatiquement pour orienter l’épargne mondiale vers sa destination la plus recherchée. En conséquence, l’épargne qui dépasse les possibilités d’investissement dans certaines régions du monde s’écoulera vers d’autres, où l’épargne fait défaut relativement aux occasions d’investir. C’est la main invisible des forces du marché qui distribue l’épargne à travers le monde, avec efficacité.

La plupart des économistes emploient les termes de « changes fixes » et de « changes fixes mais ajustables » comme s’ils étaient interchangeables, ou à peu près. En réalité, quoiqu’ils présentent des ressemblances de surface, ce sont des régimes de change fondamentalement différents.

Les systèmes de changes »fixes mais ajustables » sont des régimes où l’autorité monétaire vise plus d’un objectif à la fois. Des régimes où celle-ci fait souvent appel au contrôle des change et mène des politique de la stérilisation de la base monétaire pour rétablir l’équilibre, et refuse de s’en remettre à la liberté des marchés pour procéder aux ajustements nécessaires. Certaines des monnaies appartenant à ce type de régime ne sont même pas convertibles, comme c’est le cas en Chine.

Les taux de change « fixes mais ajustables » sont par essence des systèmes de déséquilibre, qui manquent d’un mécanisme automatique pour réaliser les ajustements de balance des paiements nécessaires. Les taux de change « fixes mais ajustables » impliquent que la banque centrale gère à la fois le taux de change et la politique monétaire. A la différence des taux fixes et des taux flottants, ils entraînent nécessairement des conflits entre la politique de change et la politique monétaire.

Par exemple, lorsque les entrées de capitaux deviennent « excessives » ,dans un tel système, la banque centrale tente généralement de stériliser l’accroissement de la composante étrangère de la base monétaire en vendant des obligations, c’est-à-dire en réduisant la composante intérieure de cette base. Et lorsque ce sont les sorties qui sont “excessives”, la banque centrale tentera de compenser la baisse de la composante étrangère de sa base monétaire en achetant des obligations, c’est-à-dire en accroissant la composante intérieure de cette base monétaire.

Les crises de balance des paiements éclatent lorsqu’une banque centrale se met à compenser toujours davantage la réduction de la composante étrangère de sa base monétaire par de la monnaie créée localement. Lorsque cela se produit, ce n’est qu’une question de temps avant que les spéculateurs sur les marchés des changes ne repèrent les contradictions entre le taux de change et la politiques monétaire , ce qui conduit à dévaluer, à recourir à des mesures de contrôle de change, ou les deux à la fois.

Dans le contexte actuel, ce ne sont pas les sorties « excessives » de capitaux ni la menace de dévaluation qui représentent le problème auquel sont confrontés la plupart des pays où le change est “fixe mais ajustable”. Au contraire, ce sont les  » entrées excessives » de capitaux qui constituent le vrai problème aujourd’hui. Ces entrées de capitaux génèrent des pressions à la hausse du cours de la monnaie. Elles conduisent à renforcer les efforts de stérilisation, favorisent l’accumulation de réserves de change, et débouchent souvent sur l’imposition de contrôles des changes et de nouvelles contraintes réglementaires sur le système bancaire national.

Pour se protéger, les pays regroupés dans des « blocs de devises » régionaux devraient bien préciser ce qu’ils recherchent avant tout : la convertibilité totale de leur devise, aucun contrôle des changes ni stérilisation. Si tel est l’objectif, le régime de change, qu’il s’agisse de changes fixes ou de changes flottants, importe peu. Dans les deux cas, il s’agit de mécanismes de marché libre qui agissent pour éviter automatiquement les crises de balance des paiements et les problèmes dits de déséquilibre mondial.

Cependant, pour les pays comme les producteurs de pétrole du golfe Persique, l’adhésion au bloc dollar et à un régime de taux de change fixes est un impératif. S’ils adoptaient un régime de change flottant, leurs taux de change nominaux varieraient de façon erratique suivant les fluctuations des prix du pétrole. Lorsque le prix du pétrole augmenterait (ou au contraire baisserait), les monnaies locales prendraient de la valeur (ou se déprécieraient). Sans lien avec le dollar ni point d’ancrage nominal pour leur niveau de prix, les pays producteurs de pétrole subiraient alors un yo-yo de hausses et de baisses incontrôlées – caractérisées par des points bas déflationnistes et des sommets inflationnistes.

La politique de dollar faible de la Fed confronte les États-Unis à un problème d’inflation, et le reste du monde avec eux. La faiblesse du dollar et le manque de “flexibilité” – bien comprise – menacent également la libre circulation des capitaux et la stabilité du système monétaire international. Il est temps que la Fed se penche sur la valeur du dollar américain et sa stabilité.

—-
La version originale de ce texte a été publié dans GlobeAsia daté mai 2011, sous le titre « The Weak Dollar Problem ».
Traduction de François Guillaumat. Repris du site de l’Institut Turgot avec l’aimable autorisation d’Henri Lepage.

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