Bénéfices : dividendes ou investissements ?

Les bénéfices sont de plus en plus utilisés pour le versement de dividendes au détriment de l’investissement. Quelles sont les causes structurelles à cela ?

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Bénéfices : dividendes ou investissements ?

Publié le 22 avril 2014
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Par Alexandre C.

Le mois dernier, Alternatives Économiques publiait un article dans lequel son auteur, Christian Chavagneux reprochait aux entreprises – notamment celles du CAC40 – de distribuer préférentiellement leurs bénéfices en dividendes. Sur l’année 2013, alors que les profits ressortent en baisse de 8% à 48 milliards d’euros, M. Chavagneux montre que près de 85% de cette richesse part en dividendes au lieu d’être réinvestis par les actionnaires. Il note, et on peut vraisemblablement le croire, que cette proportion est en constante augmentation depuis les années 80 où cette rémunération de dividendes s’établissait entre 30 et 40% environ. Les dividendes représentent aujourd’hui 2.6 fois plus que les investissements alors que ce n’était que la moitié en 1980.

Conséquence de cette situation, l’appareil productif français est dans un état de sous-investissement depuis des décennies si on le compare à d’autres pays de niveau économique équivalent. Le diagnostic est sans appel : sans un revirement de la situation, l’écart avec nos concurrents directs continuera à s’accroître inexorablement.

Mais si l’article pointe les graves lacunes dans le domaine, il ne prend pas le temps d’expliquer pourquoi on en est arrivé à un tel déséquilibre entre la rémunération légitime – même si certains diront le contraire – des actionnaires qui prennent le risque initial, et les investissements nécessaires au développement et à la pérennité de l’entreprise. Il faut donc se poser la question : que s’est-il passé dans le pays depuis les années 80 pour que le centre de gravité des profits se déplace à ce point des investissements vers les dividendes ?

Plusieurs choses. D’une part, depuis cette période, la fiscalité sur les entreprises n’a cessé d’évoluer, revirant continuellement au gré des changements de majorité parlementaire1. Tantôt contraignante, tantôt un peu plus avantageuse, cette dernière n’a cessé de se densifier et se renforcer, notamment au niveau des charges salariales, même si l’impôt sur les sociétés a globalement diminué. Cette instabilité fiscale est donc loin de favoriser l’investissement. De fait, les éventuels actionnaires préfèrent récupérer leur mise de départ sous forme de dividende, quitte à payer des impôts sur les revenus et le capital, l’ISF ou la CSG par exemple : au moins, de cette manière, ils limitent les désagréments qu’ils auraient pu avoir en réinvestissant leur argent. Autrement dit, le jeu n’en vaut pas la chandelle.

D’autre part, des réglementations de toutes sortes se sont multipliées dans l’intervalle de temps, à la fois sur le marché du travail (on pense à la fameuse limite des 50 salariés par exemple) ou sur le fonctionnement même des entreprises (contrôles divers et variés, multiplication des procédures). Ajouté à ce que je viens de souligner, cela n’incite pas à prendre de nouveaux risques dans une entreprise, ou tout du moins pas en France, dans les conditions telles qu’elles existent. D’autant plus que là encore, le législateur  ne cesse de modifier les règles du jeu. Limiter l’innovation du fait de l’existence du principe de précaution, truffer les lois de garde-fous divers et variés afin de mettre un terme définitif à la fameuse concurrence déloyale, tout cela complique sérieusement la vie des entreprises depuis des années. Et l’arrivée d’une nouvelle équipe gouvernementale, même animée des meilleures intentions, ne rassure pas davantage les chefs d’entreprise.

Découragé par tout cela, notre tissu entrepreneurial n’investit plus, innove moins et restreint par conséquent sa production de richesses et par la même, sa création d’emplois. Le soutien que devrait lui apporter l’état pour favoriser son expansion et sa conquête de nouveaux marchés est quasi inexistant. Un comble alors que sans lui, tout rebondissement de l’activité économique du pays est impossible. Pendant que nos dirigeants palabrent et ne cessent de s’agiter comme des cabris en annonçant des mesures mortes dans l’œuf, David Cameron, le Premier Ministre britannique, vient d’envoyer une lettre d’encouragement aux entrepreneurs de son pays2. Un état d’esprit bien différent du nôtre mais qui a permis au Royaume-Uni – même s’il reste aux abois au niveau budgétaire – de retrouver le chemin de la croissance3, condition indispensable pour que le chômage et la pauvreté régressent.


Sur le web

  1. On se souvient encore de cette lubie de taxation de l’EBE.
  2. Une lettre qu’a reçu Gaspard Koenig et que vous pouvez découvrir à ce lien.
  3. La plus élevée des pays développés pour cette année.
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  • Je suis d’accord avec l’article, mais j’aurais d’autres arguments plus grave à mon sens. D’une manière générale, l’argument de Chavagneux repose sur une nostalgie sur les années 80. Entre 1977 et 1984 nous sommes dans la pire période économique en terme de destruction d’emplois que l’on ai vécu, puisqu’on passe de 500 mille à 2 millions de chômeurs.

  • Je suis globalement d’accord que l’augmentation des dividendes est le signe d’une difficulté des entreprises à imaginer des investissements suffisamment et pas trop aléatoirement rentables. Cependant, il est faux d’opposer investissement et dividendes. L’essentiel des dividendes est réinvesti, simplement l’actionnaire est forcé au choix de les réorienter, en choisissant les sociétés dont il pense qu’elles en feront le meilleur usage.

    Diminuer les dividendes pour réinvestir, c’est choisir à sa place en estimant que les fonds fructifieront mieux dans la société qui les a générés que dans une autre, ce qui a toutes les chances d’être faux. Favoriser l’investissement au détriment des dividendes, c’est favoriser de mauvais projets au détriment de meilleurs : une pratique candidate à la rubrique « Enfer pavé de bonnes intentions ».

  • L’analyse d’Alexandre C. sur les vraies raisons du faible taux d’investissement, (raisons que l’article de Chavagneux ne donne pas, s’en tenant à la dénonciation du « profit », comme toujours dans cette revue) est globalemen juste, l’insécurité fiscale et législative me paraissant être le principal facteur. On pourra relire à ce sujet le livre de Bruno Leoni, « la liberté et le droit », qui montre clairement le caractère crucial de la prévisibilité législative dans les fondements mêmes de l’état de droit.
    Mais quel dommage de titrer ainsi, sur une fausse opposition ! c’est entrer, ne fût-ce qu’un peu, dans la manipulation permanente qui court à ce sujet dans les media (et dans les manuels d’économie) : l’actionnaire, « buveur de sang ».
    En outre, la « démonstration » de Chavagneux est faussée à la base (volontairement ?) : quand les bénéfices baissent, le simple fait de maintenir les dividendes pour ne pas faire fuir les actionnaires au profit de fonds sans risques aboutit mécaniquement à la fausse impression que les dividendes sont en hausse.
    Enfin, à ma connaissance, lorsque les bénéfices baissent, les salaires (et les prélèvements calculés dessus) ne baissent pas. Avec le même mode de calcul que M. Chavagneux, on pourrait dans de nombreux cas s’amuser à prouver que « lorsque les bénfices baissent, l’état ponctionne de plus en plus ». Proportionnellement, ce serait vrai…
    La réalité est qu’il n’y a pas d’investissement sans actionnaires, pas d’actionnaires sans dividendes, et pas d’entreprises sans actionnaires. A « alternatives économiques », on ne s’en est toujours pas aperçu.

  • Le fait d’avoir un ré-investissement direct par l’entreprise ou distribution en dividendes est normalement totalement neutre, avec un petit bémol. En effet, l’investisseur récupérant les dividendes peut les réinvestir dans toute activité de son choix, ou financer sa consommation. La liberté d’allocation est réduite pour l’entreprise. Dans ces circonstances, la grande majorité du profit devrait être distribuée en dividendes et/ou rachats d’actions. Dans un cadre de taxation différente entre revenus du capital et revenus du travail, de taxation différente entre profits de l’entreprise et revenus des valeurs mobilières pour les individus, une allocation optimale entre distribution et ré-investissement peut se déterminer. Enfin, je dis « ré-investissement » mais c’est plutôt conservation au sein de l’entreprise, ou « mise en réserves » qui devrait être employé.
    Par ailleurs, un investissement ou projet créant de la valeur trouvera toujours un financement, soit par un nouvel appel à l’épargne publique, soit par dette, soit avec les réserves accumulés. Le montant de ces réserves est donc indépendant de la capacité à investir et plus encore de l’investissement effectif.
    On a donc ici un « faux problème » typique. Il y a « sous investissement » parce que les taux faussé et les signaux négatifs de l’économie et le niveau général d’incertitude limitent fortement le nombre des investissements perçus comme permettant de créer de la valeur. La distribution de dividendes ou la mise en réserve des profits n’est pas liée à cela.
    Par contre, une mise en réserve plus importante permet de limiter davantage la liberté de choix et d’allocation de ressources des investisseurs. En outre il est plus simple de garder l’argent « dans l’entreprise » car la spoliation par l’État de ces entités « sans visage » passe nettement mieux que la hausse de la taxation sur les personnes physiques. Donc les gauchistes et étatistes de tout crin tentent de maximiser l’accumulation de cash dans l’entreprise, par tous les moyens de propagande et de désinformation possible.

    • Le commentaire ci-dessus est une extension simple et évidente des travaux de Modigliani et Miller datant des années 60, ça devrait être « connaissance commune » y compris chez Alternative Economiques…

    • Excellent commentaire, Franz. Il faudrait un jour expliquer à Alternatives Economiques qu’un actionnaire ne se laisse jamais naturellement mourir de faim : s’il a faim, il revend ses actions, et avec le cash qu’il reçoit en échange, il achète à manger ! Qu’un actionnaire reçoive peu ou beaucoup de dividendes ne change absolument rien, puisque tout ce qui excède ses besoins (et dans l’immense majorité des cas, l’actionnaire n’a nul besoin de ses dividendes pour acheter de quoi subvenir à ses besoins : il a d’autres revenus, du travail notamment) est de toutes manières réinvesti, que ce soit directement (parts) ou indirectement (prêts). La seule entité théoriquement susceptible de parasiter ce réinvestissement des dividendes est l’Etat lui-même, dont les déficits doivent être comblés par des prêts, et donc par la mobilisation de capitaux disponibles. Mais vu que cet argent-là, c’est le système bancaire qui le crée ex-nihilo dans un rituel religieux d’échange de photocopies, il ne constitue pas une ponction sur le réinvestissement des dividendes. La seule partie détournée du réinvestissement est finalement la partie concrètement taxée par l’Etat.

  • Ce n’est pas parce que je touche des dividendes que mon investissement est rentable. Si j’investis 100k€ et que la première année je touche 3k€ de dividendes mais que mes actions ont chuté de 20%, je n’ai rien gagné. Allez faire comprendre ça aux français.

  • Une chose m’étonne : javais cru comprendre que les dividendes étaient modérés parce que les entreprises gardaient leur trésor de gerre pour effectuer de la croissance externe (absorber d’autres entreprises) en proffitant de la mondialisation. En procédant ainsi, les chiffres d’affaire augmente et la valeur des titres avec. Les bénéfices sont encore plus élevés pour les actionaires que si les bénéfices avaient été redistribués. Si les OPA ou rachats diminuent (par manque d’opportunités ou à cause de la conjoncture), il est normal que les multinationales compensent en augmentant les dividendes pour garder leurs actionaires.

    Est-ce que tous ces articles ne sont pas (volontairement ?) complètement pipés.

    • J’ajoute d’ailleurs que dans une opération de croissance externe, une parte importante du bénéfice se fait par l’optimisation (comprenez restructuration et licenciements). Alors les dividendes sont-ils à ce point l’ennemi des socialos ? Les affreux capitalistes eux préfèrent les OPA (saignantes comme les steaks).

  • Dans cet article, sont comparés les dividendes versés par rapport au bénéfice. Un investisseur ne raisonne pas comme ça, mais par rapport au capital investi.

    A ce moment , on constate que ce ne sont pas les dividendes qui ont augmentés, mais les impôts. Impôts qui font baisser les bénéfices distribuables, d’où l’augmentation du rapport bénéfice/dividendes. Puis charges qui diminuent encore la valeur reçue.

    Je vous conseille de lire plutôt ceci http://www.ifrap.org/La-verite-sur-les-dividendes,13951.html, plutôt qu’Alternative Economique !

  • Et si la réalité était que les étrangers sont majoritaires dans le capital des sociétés du CA40.
    l’ISF ou la CSG, ne les freine pas. Les fonds de pension, surement pas.

  • Investir est un acte de foi, qui s’appuie sur de réelles perspectives.

    Avec la France, la raison sussurre : « prends l’oseille et tire-toi » 🙂

  • Les chiifres cités par Christian Chavagneux sont complètement folkloriques.

    Voici les chiffres de l’INSEE pour l’année 2012.

    En 2012, la valeur ajoutée des sociétés non financières (SNF) représentait 1018,3 milliards d’euros.

    – L’excédent brut d’exploitation (les profits) : 288,8 milliards d’euros.
    – La formation brute de capital fixe (l’investissement) : 197,4 milliards d’euros soit 19% de la valeur ajoutée des SNF.
    – Les dividendes nets (versés aux actionnaires et aux banques) : 60,4 milliards d’euros soit 5,9% de la valeur ajoutée des SNF.

    L’investissement représente 3 fois les dividendes.
    Les dividendes représentent 20% des profits.

    • Informations bien venues !
      On se demande si les « journalistes » économiques des media bien-pensants, c’est-à-dire antilibéraux, ont la flemme d’aller chercher ces infos, ou s’ils les connaissent mais évitent soigneusement de les citer, par rigidité idéologique et intérêt de caste. Aucune des deux hypothèses n’est à leur honneur…

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