Il est des “RIEN” qui pèsent lourd dans l’histoire de France. Celui de Louis XVI, unique mot porté dans son journal personnel à la date du 14 juillet 1789 (photo de couverture), a fait couler beaucoup d’encre. Ce roi était-il si déconnecté des réalités politiques et sociales de son temps qu’il n’a rien trouvé de mieux à dire à propos de la prise de la prison de la Bastille par certains Parisiens ?
Cette interprétation, qui a surtout l’avantage de prêter à la moquerie, est cependant inexacte, notamment parce que le journal en question n’était qu’un compte-rendu très succinct des activités privées de Louis XVI, dont son loisir favori, la chasse. Quelque deux cent quarante ans plus tard, cette activité sportive a perdu de son attrait, mais ses transpositions au monde de la politique sont plus effervescentes que jamais.
Nos parlementaires, quoique enlisés dans un jeu législatif sans majorité depuis la dissolution de juin 2024, ne sauraient être accusés de ne RIEN faire, eux qui enchaînent les commissions d’enquête comme jamais auparavant, sans jamais négliger l’éclairage dont ils pourraient personnellement profiter en convoquant devant eux des personnalités à haut profil médiatique, économique et/ou politique.
Nos ministres ne sauraient être accusés de ne RIEN faire, eux qui enchaînent les gesticulations plus ou moins judicieuses sur des sujets aussi variés que le diagnostic de performance énergétique des logements (qui vient d’être sévèrement épinglé par la Cour des comptes), la fast-fashion à bas prix (dont la loi d’encadrement arrive ce mois-ci au Sénat, au grand dam des consommateurs peu aisés), les zones à faibles émissions dans les villes (dont l’application vient d’être annulée par les députés) ou les quotas de filles dans les classes préparatoires scientifiques. Sans oublier les 5 400 policiers et gendarmes mobilisés pour éviter (vainement) échauffourées et destructions après la victoire du PSG sur l’Inter-Milan lors de la finale de la Ligue des champions de samedi dernier.
Notre Premier ministre, François Bayrou, ne saurait être accusé de ne RIEN faire, lui qui ambitionne, contre l’avis de la plupart de ses alliés politiques, de réformer le mode de scrutin des élections législatives pour le rendre proportionnel – et ce, même si l’Assemblée nationale actuelle, obtenue certes par scrutin majoritaire à deux tours, est presque proportionnelle dans sa représentation sans qu’il saute véritablement aux yeux que ce serait un fabuleux progrès. (La forme n’est pas toujours garante du fond.)
Même le président de la République ne saurait être accusé de ne RIEN faire, rien dire, rien proposer. N’a-t-il pas dévoilé récemment le grand projet censé couronner brillamment la fin de son double quinquennat, à savoir la création d’une commission citoyenne… sur les rythmes scolaires et les “temps de l’enfance” !
Tout n’est pas à jeter dans cet inventaire à la Prévert. Les commissions d’enquête parlementaires sont une excellente chose dès lors qu’elles donnent aux citoyens, à travers leur représentation au Parlement, la possibilité de contrôler le bon fonctionnement démocratique des institutions politiques.
Mais dans l’ensemble, force est de constater que tout l’activisme déployé actuellement à l’Assemblée nationale, au Sénat et dans les diverses instances gouvernementales, toutes les chasses lancées éperdument par les uns et les autres contre les uns et les autres dans le but de se rappeler aux bon souvenir des électeurs, font habilement l’impasse sur le seul sujet vraiment important pour l’avenir des habitants de ce pays : les déficits récurrents répandus partout, la dette publique qui s’alourdit dangereusement et l’impossibilité de revenir à l’orthodoxie budgétaire dans les contours actuels de notre système économique et social déjà hautement fiscalisé d’un côté et hautement dépensier de l’autre. Or il en va de la croissance, de l’emploi, du pouvoir d’achat et des capacités d’innovation du pays. Autrement dit, de la prospérité des Français d’aujourd’hui et de demain, tout simplement.
C’est à ce titre que l’on peut dire qu’il ne se passe RIEN en France.
Il est vrai que le Premier ministre a promis de revenir à l’équilibre des comptes publics “en trois ou quatre ans”. Il va d’ailleurs “demander un effort à tous les Français” et l’on se met soudain à trembler à l’idée que notre facture fiscale déjà salée risque fort de se corser un peu plus, éventuellement via une hausse de la TVA beaucoup évoquée ces temps-ci. À noter que l’équilibre dont il parle est en fait un déficit de 3 % à l’horizon 2029, ce qui continuera d’alimenter la dette. Mais entre les désirs de M. Bayrou et la réalité du terrain qui fait que ses prévisions de déficit de 5,4 % en 2025 et 4,6 % en 2026 ont été révisées récemment par la Commission européenne à 5,6 % et 5,7 %, soit le pire niveau de toute l’Union européenne, il y a non seulement un gouffre, mais une impossibilité politique.
Qui va le suivre sur ce terrain ? Qui, dans les deux grands blocs d’opposition à l’Assemblée nationale (NFP et RN), va prendre le risque de voter des hausses d’impôt ou des baisses de dépenses qui ne seraient pas en faveur directe de son électorat ? Et même dans les rangs du groupe gouvernemental, qui… ? Au mieux, l’on peut s’attendre à un projet complètement édulcoré au départ, lourdement amendé ensuite et complètement hors sujet dans les mois qui suivront son adoption. Baisses de dépenses insuffisamment documentées ; hypothèses macroéconomiques trop optimistes, etc., dira la Cour des comptes. Exactement comme pour le PLF 2025.
Il se trouve que l’on se rapproche à grands pas de la date à partir de laquelle (le 8 juillet 2025) Emmanuel Macron pourrait annoncer une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale. Il semblerait toutefois que le chef de l’État ait adopté le principe de la STA-BI-LI-TÉ chère à François Bayrou. Il envisagerait donc plutôt de finir ses mandats sur un élargissement de sa coalition, du côté des LR via le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui vient d’être élu à la tête du parti (mais qui menace maintenant de démissionner si la proportionnelle devait être proposée par le gouvernement ; ça tombe mal), et du côté du PS dès que le futur premier secrétaire, Faure ou Mayer Rossignol, sera connu. Peut-être avec un changement de Premier ministre, si François Bayrou se faisait balayer par son budget.
“C’est pas compliqué : il suffit que les gens qui ne s’entendent pas m’écoutent”, lui fait dire avec beaucoup de finesse le dessinateur KAK dans son dessin de presse pour l’article sur ce désir de coalition publié par l’Opinion.
M. Macron peut toujours rêver. Mais qui va accepter de l’écouter sagement comme si de rien n’était ? Au bout de huit ans, 82 % des Français estiment que “le projet politique porté par Emmanuel Macron” est un échec, nous révèle un sondage Odoxa-Backbone Consulting pour Le Figaro publié le 30 mai dernier. De plus, ils sont 59 % à considérer que le macronisme n’est pas un courant de pensée politique et à nouveau 82 % pour dire que, courant ou pas, le macronisme ne survivra pas au départ d’Emmanuel Macron de l’Élysée.
Dans ces conditions des plus claires, on voit mal quel parti souhaiterait se coaliser avec lui d’ici la fin de son mandat. Tous les partis d’opposition, tous les candidats potentiels, y compris ceux qui jouent au centre, en sont à affûter leurs couteaux en vue de l’élection présidentielle de 2027. Ce qui revient à tout tenter pour s’éloigner au maximum du macronisme et d’Emmanuel Macron.
En attendant, la France n’aura pas les réformes qui étaient déjà nécessaires en 1995, en 2002, en 2007, en 2012, en 2017 et en 2022. Et rien ne dit qu’elle les aura ensuite. La droite au sens large (à l’exception, et heureusement, de quelques personnalités) comme la gauche au sens large sont arrivées à convaincre les Français qu’en dépit de dépenses publiques atteignant aujourd’hui 57 % du PIB, le macronisme était en fait un ultra-libéralisme. D’où son inévitable échec. Ça promet.
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