Gérard Bramoullé : feux et lumières de mille vies unifiées

Le doyen Gérard Bramoullé est mort, et l’université est en deuil. L’argentier de la ville d’Aix n’est plus, et toute la région le pleure.

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1978, en bas à droit à côté de Jacques Garello, Gérard Bramoullé a 35 ans.

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Gérard Bramoullé : feux et lumières de mille vies unifiées

Publié le 7 décembre 2023
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L’ami, le gourmand de la vie est parti, et une multitude d’entre nous sont dans un profond chagrin, et, pourquoi le céler, dans le désarroi .

Le père, le mari s’en est allé, et sa famille sait que plus rien ne sera désormais comme avant, et que le jeune homme irrésistible, à l’éternel sourire, ne paraîtra plus dans son enveloppe charnelle.

Nous le savions malade, nous pressentions le dénouement inéluctable, et pourtant nous ne voulions pas le croire. Le lecteur de Contrepoints pensera peut-être qu’il s’agit de formules post mortem convenues, jetées au hasard, d’un hommage dans lequel l’amitié et la fraternité d’idées altèrent la lucidité et empêchent le départage d’ici les qualités, là les faiblesses. Le lecteur de cet hommage se tromperait lourdement.

Pas un mot de ce qui suit, pas un qualificatif n’emprunte à l’idéalisation. Au contraire, le clavier s’astreindra à la discipline, car Gérard Bramoullé avait été initialement si richement doté, son éducation et volonté faisant le reste, qu’on pourrait imaginer emphase et exagération. Comment hiérarchiser (et est-ce vraiment nécessaire, sinon à l’ordonnancement des formes ?) entre l’universitaire surdoué, l’administrateur exigeant, l’homme, concentré de charme, l’ami, jamais pris en défaut.

Cela est d’autant plus difficile que l’unité et la cohérence de Gérard était totale. Il avait plusieurs vies, mais à l’inverse de beaucoup, il n’aimait pas l’idée détestable de cloisonnement, lui préférant de beaucoup celle de passerelle. Dit plus simplement il n’y avait pas plusieurs silhouettes et personnages en lui éventuellement se combattant, mais un homme, un seul, le même qu’il enseigne, administre, aime, félicite ou admoneste.

 

Un universitaire libéral dans la grande tradition

Né en 1944, fis d’un général de la Légion étrangère, il franchit les obstacles de la vie universitaire avec une aisance presque insolente. Élève d’Henri Guitton, il fait partie à Paris du fameux séminaire Albert Aftalion dans lequel, avec Christian Morrisson, Daniel Vitry et Paul Zagamé, quoique très minoritaires, il ferraille, portant haut les couleurs libérales, contre une majorité socialo-communiste animée par Dominique Taddeï, Christian Barrère, Claude Berthommieu et tant d’autres.

L’époque est rude. Les TD à Censier fréquemment interrompus, mais il y révèle à cette occasion un tempérament de feu (quelques années plus tard, membre de l’instance nationale de recrutement, la salle des délibérations à Paris est envahie par les gauchistes de l’époque, version trosko-maoïste. Avec le professeur Jacques Lecaillon il fait le coup de poing. Que croyez-vous qu’il arriva ? Ce fut le gauchiste qui recula !).

En 1972, il soutient sa thèse de doctorat sur le thème : La nature de la monnaie et son rôle dans l’analyse de la croissance équilibrée.

L’année suivante il est agrégé à son premier concours. Il choisit Aix, et la toute nouvelle Faculté d’Économie Appliquée. Il en devient le doyen dès 1976.

Le chercheur est très prolifique et le Centre d’Analyse Économique trouve vite sa place dans le paysage académique. Les ouvrages se multiplient. La consécration vient quand Henri Guitton le choisit pour lui succéder sur deux de ses Précis Dalloz, d’une part le Tome 2 de son manuel Économie Politique (Monnaie, Répartition, Économie internationale), et d’autre part son Précis sur La Monnaie.

Par la suite, ce Précis devient vraiment un classique avec un titre élargi Économie Monétaire. Le tandem Gérard Bramoullé-Dominique Augey est constitué. Des amphithéâtres à la mairie d’Aix-en-Provence, il n’y aura pas un nuage, une divergence en plusieurs décennies dans ce duo amical extraordinairement complémentaire. Imaginer professionnellement l’un sans l’autre était inconcevable.

Le professeur était réellement hors normes. Son aisance en amphi était presque insolente. Chez lui le fond et la forme se conjuguaient et se répondaient en une harmonie proche de la perfection. Que les lecteurs croient ce qui suit : les étudiants l’adoraient littéralement.

Un souvenir qui n’emprunte pas à l’anecdote : au moment de recruter localement, les enseignants en poste dans la faculté rapportent sur les candidats qui vont être auditionnés. C’est trop souvent, les heures aidant, que les propos se perdent petit à petit au milieu des apartés. Mais quand le président de séance annonçait : « au rapport notre collègue Bramoullé », je peux témoigner, étant présent, que le silence était immédiat et que nous attendions l’artiste sur son filin, son extraordinaire intelligence lui servant de barre d’équilibrage.

Écouter le doyen Bramoullé, c’était être vite ramené à l’humilité, si par hasard et vanité, on avait imaginé quelques instants auparavant avoir été excellents. En ce domaine comparaison était raison. C’est au fond le seul « reproche » que certains lui adressaient. Il faisait naître l’envie, le sentiment à la base du socialisme, chez les moyens, les médiocres, les besogneux, les moins dotés. En ce domaine, les nécessiteux forment une cohorte impressionnante. Ses fonctions de doyen de la Faculté d’Économie Appliquée lui permettent de faire ses premières armes d’administrateur.

 

Le grand argentier d’Aix-en-Provence

La seconde dimension de Gérard a été sa passion, non pour la politique, mais pour sa ville.

Dès 1983 il est adjoint aux finances. Puis, après un court intermède, il gérait depuis 22 ans les finances de la ville, dont il fut également, depuis 2014, le premier adjoint de Maryse Joissains, puis de Sophie Joissains. D’une intégrité totale, d’une compétence exceptionnelle, il gère la ville de façon si exemplaire que les récompenses se multiplient, s’agissant de la gestion d’Aix-en-Provence. Il devient un des grands spécialistes français des finances locales.

Les plus farouches opposants politiques reconnaissaient que, sans jamais avoir augmenté la fiscalité d’Aix-en-Provence en plus de vingt ans (cas unique en France), la ville se transformait cependant de façon spectaculaire. Ce n’est en aucune façon minimiser le rôle, souvent très remarquable, des élus de la ville que de dire que sous la direction du maire, le tandem Bramoullé-Augey était crucial pour la ville.

Gérard était premier adjoint. Il avait en charge, entre autres, les finances, le numérique, le festival d’Aix, les rapatriés, la seconde pour sa part a la compétence sur l’enseignement supérieur (fonction évidemment considérable à Aix) la recherche, l’innovation, l’exécution du budget, le contrôle de gestion et le financement de la vie associative.

Que de discussions passionnées avec lui à propos de son engagement municipal. Je plaidais pour la primauté de l’université et l’écriture, arguant de la rareté de son avantage comparatif, car de très bons élus on en trouve plus aisément que de très grands savants. Et invariablement, il me rétorquait que son rôle d’élu était le prolongement et la concrétisation de sa pensée tout entière sous-tendue et adossée au libéralisme.

Et de m’expliquer qu’il y a bien deux façons de gérer une ville : une manière socialiste qui est de dépenser toujours plus sous des prétextes de service public (le nom élégant pour justifier l’achat des voix des électeurs) ; et une manière libérale à base de gestion extrêmement rigoureuse, mais encore et peut-être surtout à base du principe de subsidiarité. Ce qui signifie, hic et nunc, que la ville faisait uniquement ce qui n’était pas possible par la société civile, le tissu des volontés, ou l’entreprise.

 

L’unité d’un homme

Il m’est impossible de parler sereinement, avec une équité parfaite et les mots appropriés, de Gérard Bramoullé.

Les combats partagés, les discussions interminables à la faculté, les moments de complicité merveilleuse sont à jamais dans ma besace. Je ne veux, mais surtout je n’ai pas le droit de les partager. Il m’est par contre possible et aisé d’écrire, mesurant le poids des mots, que jamais en un demi-siècle je n’ai entendu de lui un propos bas et décevant, une attaque ad hominem, une méchanceté gratuite.

Le domaine de l’intime, il le protégeait, avec férocité si nécessaire. Il aimait passionnément sa famille qui était réellement le centre de son univers, et le tout du tout.

Les sots ironisent volontiers sur le fait que les cimetières sont remplis d’irremplaçables. C’est pourtant tellement vrai. Non seulement chacun a sa part d’irremplaçable, mais encore qui peut sérieusement inférer que Bach, Mansart, La Fontaine, Ingres, Gauguin et tant d’autres ont été remplacés ?

Gérard Bramoullé était tout simplement un être d’exception.

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