Tourisme : la co-création, véritable nécessité ou simple tendance ? 

La co-création avec les clients  symbolise désormais le gage d’un avenir prometteur pour les entreprises qui se veulent compétitives. Qu’en est-il du secteur touristique ?

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Photo by Michel Stockman on Unsplash

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Tourisme : la co-création, véritable nécessité ou simple tendance ? 

Publié le 22 septembre 2022
- A +

La co-création de l’expérience est devenue un concept clé dans les sphères managériales. Ce  néologisme a chaviré la vulgate marketing qui est passée d’un marketing qui conçoit et réalise pour le client, à un marketing interactif qui conçoit et réalise avec le client1. La co-création avec les clients  symbolise désormais le gage d’un avenir prometteur pour les entreprises qui se veulent compétitives. Qu’en est-il du secteur touristique ?

 

Le secteur touristique : vecteur de croissance économique

Suite à une forte croissance économique mondiale, de nouveaux grands marchés émetteurs,  l’accentuation des projets à vocation bien-être et loisir, dans la plupart des destinations  touristiques, le tourisme s’est positionné en une véritable force motrice à l’échelle mondiale offrant des perspectives de développement durable et inclusif2. Le tourisme est devenu un important pourvoyeur d’emplois, qui contribue grandement au développement social et économique des nations.

À l’instar des autres économies, le secteur touristique au Maroc a pu s’affirmer en tant que véritable  priorité dans la politique économique du pays. Considéré comme un levier de développement de  l’économie nationale, le tourisme joue un rôle dynamique dans la promotion de l’activité économique et sociale au pays. Il constitue également un secteur crucial au sein d’une économie des services en pleine expansion, puisqu’il participe aussi à la valorisation des ressources humaines à travers la création d’emplois à compétences diversifiées et le drainage des recettes fiscales. De même, le tourisme s’impose en tant que secteur pourvoyeur de devises qui assure aussi la stimulation des exportations, en plus de l’équilibre de la balance des paiements.

Certes, le Maroc déploie de nombreux efforts en vue de booster le tourisme et le secteur hôtelier en  particulier. Néanmoins, l’incertitude économique à l’échelle mondiale fait que le rythme des arrivées  des touristes est extrêmement irrégulier et saccadé3. La récente crise sanitaire, dans laquelle le secteur de tourisme est frappé de plein fouet, en est la preuve. C’est un secteur versatile dont les perspectives sont mitigées, d’où la nécessité de mener une réflexion stratégique afin de juguler les menaces et tirer profit des opportunités.

Face à des pratiques managériales qui ne suivent pas forcément les tendances du marché, les  professionnels du domaine sont invités également à mieux comprendre les attentes des clients et  assurer une belle prise en charge de leurs aspirations afin de garantir une meilleure reprise de ce  secteur.

 

Co-créer pour propulser le tourisme

Nous avons assisté à de profondes mutations du comportement des consommateurs.

Tout d’abord,  la consommation est discernée dans un cadre symbolique et hédonique4. En effet, l’acte de consommation n’est plus vu sous le prisme transactionnel, mais dans une perspective identitaire,  pour le plaisir de consommer et sous forme d’expériences. Le consommateur est devenu moins  sensible au prix et accorde davantage d’attention aux considérations d’ordre émotionnel et statutaire.  Autrement dit, les différents produits et services sont plutôt consommés pour le sens qu’ils dégagent, pour le symbole qu’ils représentent et pour le plaisir qu’ils procurent. En revanche, les consommateurs cherchent à vivre des expériences mémorables et immersives. Cette nouvelle tendance est fondée sur un culte épicurien favorisé par la quête du bien-être et des loisirs.

Les touristes recherchent des expériences authentiques auxquelles ils peuvent participer activement.  La co-création est au cœur de ces expériences. Ainsi les managers des unités touristiques devront être à l’affût de ces tendances afin d’accompagner l’évolution permanente du contexte touristique. Cette évolution est stimulée également par l’extension du rôle joué par le consommateur qui est passé d’un rôle passif par rapport à une offre touristique pré-packagé, à un rôle beaucoup plus actif. Ce passage est illustré par le phénomène du Customer Empowerment qui traduit la prise de pouvoir du consommateur devenu une partie intégrante capable d’intervenir dans différents niveaux de la chaine de valeur des entreprises. Les clients cherchent à s’affirmer et gagnent de plus en plus en pouvoir et en contrôle notamment avec l’effacement de la barrière entre producteur et consommateur5.

Ainsi, la littérature contemporaine confirme que les clients sont des partenaires actifs plutôt que des répondants passifs, et que les entreprises servent de facilitateurs dans le processus de création de valeur6. Il est à noter que l’expérience se déroule dans une large mesure en dehors de la connaissance et du contrôle des prestataires. Leur rôle se limite désormais à aider le consommateur à traduire les offres en expérience intime, singulière et subjective que lui seul peut  faire advenir7. Ce changement de relation de forces entre entreprise et client reflète le nouveau visage du consommateur. Les chercheurs parlent du consommateur éclectique qui revendique le changement du contrat de base de l’offre touristique8 ou encore du consommateur émancipé9 qui détient suffisamment de compétences pour être actif et autonome.

Toutes ces appellations, ces diverses tentatives qui essayent d’appréhender le profil du touriste qui ne cesse de se métamorphoser, doivent inciter les professionnels du secteur touristique à remettre en cause les schémas préétablis, à innover afin de continuer à séduire les clients. Il est notable que l’essor des technologies est aussi à l’origine de ces divers changements.

De nos jours, bien qu’ils aient une compréhension raisonnable de leurs besoins et de leurs attentes, les touristes ne représentent pas un segment homogène ou facilement identifiable. Ils sont plutôt  imprévisibles avec des attitudes complexes et des comportements baroquisés. Pour comprendre le  nouveau visage du touriste il faut assurer une forte proximité qui passe impérativement par son  implication.

Par ailleurs, le consommateur discerne l’expérience touristique comme une source d’enrichissement  de sa vie. Ce qui explique la barre élevée de ses attentes en comparaison avec un simple achat banal.  En plus, les efforts que le touriste engage dans un voyage (temps, argent, connaissance, organisation,  imagination etc.) sont aussi à l’origine de son exigence. Il souhaite vivre une expérience à la hauteur de ses désirs.

Le concept de la co-création est fondé sur l’idée que le client est une ressource opérante, puisqu’il  participe à la création de la valeur en engageant ses propres ressources. Grâce à l’engagement de ces  ressources, la co-création a un potentiel de transformation pour les touristes et les destinations10.  C’est dans cette perspective que nous avons assisté au changement de positionnement du touriste dans la littérature, d’un consommateur détenant un important rôle dans la création de l’expérience à un véritable co-créateur de l’expérience touristique.

En revanche, dans les établissements touristiques les managers dépendent encore de leur intuition, ou de la copie des meilleures pratiques pour proposer leurs offres ce qui les confronte à un sérieux  problème de similarité de l’offre touristique, en particulier dans ce secteur où la standardisation, la  concurrence et les attentes élevées des clients induisent une différenciation marquante11. Afin de  prévenir le monde de devenir un « Village global », la co-création d’expériences touristiques  authentiques peut être un antidote face à la banalisation de l’offre touristique ainsi qu’une solution  pour favoriser l’innovation et la créativité12.

Dans cette perspective, il importe de creuser la piste sur les stratégies et les pratiques marketing des  entreprises marocaines encore embryonnaires. Malgré la présence de grandes enseignes sur la toile,  les stratégies marketing semblent plutôt être une application sur le tas d’une stratégie internationale, qui ne prend pas forcément l’idiosyncrasie du consommateur marocain. Dans cette perspective il serait très utile d’engager un débat sur les apports inestimables de la co-création.

  1. Cova, B., & Ezan, P., (2008). Le consommateur-collaborateur : activités, attentes et impacts. Le cas du passionné de Warhammer, 13ème  Journées de Recherche en Marketing de Bourgogne, Université de bourgogne, CERMAB, session 9, Racines socio-culturelles de la consommation, p 1-20.
  2. Faits saillants du tourisme, édition 2019. OMT
  3. Mohamed Berriane, B.,(2020), Le tourisme marocain de l’après-COVID-19, Téoros (Online).
  4. Arnould E., &Thompson C., (2005) “Consumer culture theory (CCT) : twenty years of research”, Journal of Consumer Research, 31, 4, 868- 882.
  5. Prahalad,.C,K., Ramaswamy,V.,(2004), Co-creation experiences: The next practice in value creation, Journal of Interactive Marketing,Volume 18, Issue 3.
  6. Grounroos, C., & Ravald, A., (2009). Marketing and the logic of service : Value. Facilitation, value creation and co-creation and their  marketing implications. Working paper. Hanken School of Economics Helsinki Finland.
  7. Caru, A., &Cova, B., (2006), Expériences de consommation et marketing expérientiel, Revue Française de Gestion, 3, 162.
  8. BAUER A., et CANIVET, I., et BEHNKE, M., (2010). Nouvelles perceptions de valeur la des offres touristiques : impact pour les opérateurs,  Direction Générale de la Compétitivité de l’Industrie et des Services.
  9. Badot O., et Lemoine, J.-F., (2014). L’immatériel dans l’expérience de magasinage : proximités conceptuelles avec l’expérience touristique  et incidences managériales, in C. Clergeau des Beauvais.
  10. Richards, G., & Wilson, J., (2006). Developing creativity in tourist experiences : A solution to the serial reproduction of culture ? Tourism  Management, 27(6), 1209-1223.
  11. Neuhofer, B., Buhalis, D., Ladkin, A., (2015), Smart technologies for personalized experiences: a case study in the hospitality domain,  Electronic Markets, Vol 25(3), pp. 243- 254.
  12. Binkhorst E., & Den Dekker E., (2009), Agenda for Co-Creation Tourism Experience Research, Journal of Hospitality Marketing &  Management, 18:311–327.
Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)
  • Le tourisme de masse est source de destruction des pays qui le pratiquent. Les sources de l’oasis de Tozeur en Tunisie sont à sec depuis plus de 15 ans, bientôt se sera le tour de Marrakech qui redeviendra un désert après avoir desséché ses nappes fréatiques. Et suite au réchauffement des températures, ces pays vont perdre leur touristes.
    Le tourisme est un apport d’argent important à court terme pour les États mais un jour, il faudra que ces pays en paye la destruction qui lui est attaché.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
5
Sauvegarder cet article

Comme chaque année, les chiffres de la balance commerciale sont minorés et présentés en retirant les frais de transport du montant de nos importations.

Les frais de transport sont pourtant une partie intégrante du coût de revient et sont répercutés sur le prix de vente au consommateur. Mais pourtant, ils sont retraités afin de les comparer aux chiffres des exportations qui, eux, n’intègrent pas les frais de transport. L’opération semble contestable…

Les « vrais » chiffres de la balance commerciale de 2022 avaient ainsi frôlé les... Poursuivre la lecture

Un article de Philbert Carbon.

La Fondation Valéry Giscard d’Estaing – dont le « but est de faire connaître la période de l’histoire politique, économique et sociale de la France et de l’Europe durant laquelle Valéry Giscard d’Estaing a joué un rôle déterminant et plus particulièrement la période de son septennat » – a organisé le 6 décembre 2023 un colloque intitulé : « 45 ans après les lois Scrivener, quelle protection du consommateur à l’heure des plateformes et de la data ? ».

 

Protection ou infantilisation du cons... Poursuivre la lecture

Un article de l'IREF.

Les écologistes voudraient que nous arrêtions de manger de la viande. En raison de l’inquiétude croissante suscitée par le changement climatique et de la volonté d’arriver à un bilan « zéro carbone » en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, nombreux à gauche sont les partisans de ce diktat.

Récemment, Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste, a été « attaqué » par Sandrine Rousseau, élue du parti écologiste, qui lui reprochait de manger du steak. « Non Fabien, tu ne gagneras pas av... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles