Une économie n’est pas une chose rationnelle

Taux d’intérêts, iPhones et « biens fondateurs » : une démonstration que l’économie ne peut être contrôlée – simplement observée.

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Une économie n’est pas une chose rationnelle

Publié le 5 octobre 2019
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Par Bill Bonner.

Selon G.K. Chesterton, un fou est une personne à qui il ne reste plus rien d’autre que le pouvoir de raisonner.

Les fous ont réponse à tout. Comme Mme Elizabeth Warren, ils ont « un plan pour ça ». Ce sont ces plans et leur provenance que nous examinons aujourd’hui.

Un grand bond en avant

Nous avons vu ces derniers jours qu’être en mesure de produire de vastes quantités d’acier et de pétrole n’a pas enrichi les Soviétiques. Nous avons également vu que pouvoir acheter de l’acier bon marché (ainsi que 49 autres « biens fondateurs ») ne rend pas l’Américain moyen plus riche.

Les économistes Gale Pooley et Marian Tupy affirment que les innovations et les inventions de ces 40 dernières années ont réduit de 64 % le coût de 50 biens fondateurs en termes d’heures de travail nécessaires pour les payer. Ils saluent cela comme un grand bond en avant pour l’humanité.

Sauf qu’ils basent leurs calculs sur des moyennes « planétaires ». Les principaux gains se sont produits en Chine où, en 1980, l’économie était encore communiste, avec des salaires réels se montant à seulement quelques centaines de dollars par an. À présent, le Chinois moyen gagne environ 15 000 dollars par an ; la croissance économique la plus spectaculaire de l’histoire des bipèdes.

Aux États-Unis, les salaires stagnent. Comme nous l’avons vu hier, le travailleur américain est en fait en moins bonne position, par de nombreux aspects, que dans les années 1970.

Richesse réelle et iPhones

Les actions représentent de la richesse réelle. En 1969, un Américain moyen pouvait travailler 225 heures et gagner assez pour acheter les actions des 30 entreprises du Dow. Aujourd’hui, il lui faut travailler 1125 heures.

La seule richesse qui compte est relative, non absolue. Comparé à une bonne partie du reste du monde et à ses propres élites l’Américain moyen s’est appauvri.

Pooley et Tupy insistent néanmoins : selon eux, le prolétariat américain s’en tire mieux. Il a moins de capital. Il a moins de temps. Mais il a un iPhone ! Gale Pooley :

 « Lorsqu’Apple a présenté la première version en 2007 à 500 dollars, la rémunération horaire d’un ouvrier était de 25,07 dollars. Cela met le prix/temps de l’iPhone à 19,94 heures, ou 1196 minutes. 

L’iPhone coûte 1000 dollars et est 120 fois plus puissant [selon mes calculs approximatifs de l’augmentation du nombre de transistors dans son unité centrale de traitement, George Gilder], ce qui signifie que le prix comparable est en fait de 8,33  dollars (1000 dollars ÷ 12). Le salaire horaire ouvrier actuel est d’environ 32,06 dollars. Le prix/temps d’aujourd’hui est de 0,26 heures ou 16 minutes environ.

Le prix/temps a diminué de 98 %. Le temps exigé pour acheter un seul iPhone en 2007 vous permettrait d’en acheter près de 75 aujourd’hui. » 

En 1980, les iPhones n’existaient pas. À présent, nous avons tous directement sous la main des appels téléphoniques, des banalités, des distractions et du porno – 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Chaque modèle est plus puissant que le précédent. Nous avons aussi Facebook… Tesla (qui perd de l’argent)… Uber (qui perd de l’argent)… WeWork (qui perd de l’argent)…

Ce ne sont pas les seules choses qui sont nouvelles et meilleures, à en juger par les préférences des consommateurs. Au lieu de jeans pattes d’eph’, nous avons des jeans skinny. Au lieu d’écouter Sinatra, nous sommes passés à Justin Bieber.

Puits de ténèbres

Est-ce que nous nous en trouvons mieux ? Pooley, Tupy et le Bureau américain des statistiques de l’emploi pensent que oui. Et ici ? Non.

Non seulement ça, mais Pooley, Tupy & co. poursuivent leur raisonnement par une extraordinaire affirmation. Considérant ce pullulement de progrès, disent-ils, les épargnants devraient être ravis de prêter à des taux négatifs.

Lorsque nous avons vu cela pour la première fois, nous en avons eu le souffle coupé. Dans quel puits de ténèbres ces malheureux universitaires se sont-ils égarés, nous sommes-nous demandé. Voici ce qu’a dit M. Pooley :

« L’une des premières équations que l’on apprend en économie est la suivante : 

Taux d’intérêt nominal = taux d’intérêt réel + inflation 

Si nous supposons que le taux d’intérêt réel est de 3 % et que nous avons une inflation de 3 %, le taux nominal devrait alors être de 6 %.  

Mais si nous avons de l’inflation négative ou de la déflation ? 

Si le taux réel est de 3 % et que nous avons 3 % de déflation, le taux nominal pourrait être de zéro.  

Si le taux réel est de 3 % et que nous avons 6 % de déflation, le taux nominal serait de moins 3%.
Le problème, c’est que les gens mesurent mal l’inflation. Ils essaient d’utiliser l’argent pour mesurer l’argent. Ils devraient utiliser le prix/temps.
Depuis 1980, en moyenne, le prix/temps pour nos 50 biens fondateurs chute d’environ 3,4 % par an. Si le taux réel est de 3,4 %, alors le taux nominal devrait être de zéro.  

Des taux d’intérêt nominaux négatifs pourraient être parfaitement rationnels. »

Oh là là… Pooley/Tupy affirment que leurs signaux de prix chutent de 3,4 % par an depuis l’administration Reagan. Dans la mesure où les taux de croissance sont plus bas aujourd’hui que par le passé, nous présumons que les prix de ces biens fondateurs chutaient encore plus rapidement autrefois, depuis le début de la Révolution industrielle.

On peut imaginer par exemple à quelle vitesse les prix du blé ont décliné lorsque les fermiers du Kansas ont remplacé les chevaux par des tracteurs et des moissonneuses-batteuses. On peut également imaginer que le prix de l’acier a dû considérablement dégringoler après qu’Andrew Carnegie a installé le premier convertisseur Bessemer sur les rives de la rivière Monongahela, en Pennsylvanie, dans les années 1880.

Mais pas une seule fois, sur toute cette période – plus de 150 ans – les prêteurs n’ont-ils prêté à taux négatifs.

Pourquoi pas ? La réponse est évidente : il n’y a pas de lien nécessaire entre les taux d’intérêt et les moyennes planétaires des prix de 50 biens fondateurs.

Les taux ne sont pas rationnels

Les taux d’intérêts signalent le point où les prêteurs et les emprunteurs se rejoignent. Ils ne sont jamais « rationnels ». Ils évoluent… ils sont découverts, non fabriqués. On ne peut pas plus « raisonner » jusqu’à atteindre le bon taux d’intérêt qu’on ne peut réfléchir à tomber amoureux… ou avoir une appendicite. Cela arrive, peu importe ce qu’on en pense.

Fut un temps où les économistes en étaient conscients. Ils passaient leur temps à observer l’économie – comme un naturaliste peut observer une ruche, juste pour voir comment elle fonctionne. Ensuite, l’attrait du pouvoir et de l’argent l’a emporté.

Ils ont donc commencé à imaginer qu’ils pouvaient non pas simplement observer  mais contrôler. Après tout, une économie est une chose rationnelle, ont-ils dit. Ils pouvaient utiliser l’hémisphère gauche de leur cerveau pour faire en sorte que l’économie fonctionne, eh bien, de manière plus rationnelle.

Les résultats à ce jour ? Toujours nocifs… parfois amusants… occasionnellement désastreux.

Pour plus d’informations, c’est ici.

 

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  • Merci pour cet article…
    Comprendre et décrire le réel est toujours une bonne chose. Vouloir le changer quelles que soient les conséquences, sans même chercher à les évaluer objectivement (*), peut être dangereux. Et pas seulement en économie.
    (*) objectivement, c’est-à-dire sans utiliser certaines conséquences attendues pour justifier une décision prise a priori, tout en « oubliant » d’autres conséquences pourtant prévisibles.

  • «Fut un temps où les économistes en étaient conscients. Ils passaient leur temps à observer l’économie – comme un naturaliste peut observer une ruche, juste pour voir comment elle fonctionne. Ensuite, l’attrait du pouvoir et de l’argent l’a emporté.»

    Il me semble que les banques centrales ont été mises en place par les politiques et leur rôle ont évolué au fil du temps, sous l’action des théories des économistes et des volontés politiques sur fond de géopolitique. L’attrait du pouvoir, de l’argent, oui non les deux mais pas seulement, c’est un peu plus complexe.

  • Les prets negatifs…si j’emprunte cela ne sera pas a un prix negatif , l’usurier n’est pas moribond, c’est de l’argent qui n’existe pas vraiment , arretez de nous gaver avec ca !

  • Merci à Bill Bonner qui ramène la science économique au raz des pâquerettes; au fond la science de l’observation et de la critique des abus de pouvoirs de certains et des conséquences désastreuses pour d’autres.
    Ce sont donc les manipulations monétaires des puissants qui engendrent des crises et des pénuries avec, pour conséquences, de créer un enrichissement abusif pour les uns et, un appauvrissement injuste pour d’autres.
    Dans un pays fortement emprunt de libéralisme comme la Confédération Helvétique – dont le niveau de vie est l’un des plus élevé du monde – on se situe à l’écart des fluctuations des monnaies étrangères, principalement du dollar et de l’euro.
    Le franc Suisse est l’une des monnaies les plus stables du monde et, la création de cette même monnaie est contrôlée uniquement au niveau national.
    Il est vrai que la Suisse constituant une démocratie semi-directe, disposant d’une possibilité de référendum d’initiative citoyenne (pas besoin d’endosser un gilet jaune), s’est entourée de tout un arsenal législatif et règlementaire interdisant et sanctionnant l’abus de position dominante.
    Ce sujet a déjà été évoqué: un exemple Helvétique que le Bonapartisme rétrograde de la France ne saurait voir… et encore moins prendre en compte!…

  • « le Chinois moyen gagne environ 15 000 dollars par an »

    Officiellement, sans calculs aléatoires et/ou politisés de PPA, le Chinois moyen dispose de 9475 dollars par an, résultat des 13 407 milliards de dollars de PIB divisés par 1,415 milliard d’habitants.

    Et encore, on sait la qualité des statistiques chinoises. Il n’est pas impossible que le PIB chinois soit en réalité 20% inférieur au montant officiel, les petites erreurs et les gros mensonges éhontés, jamais corrigés, encore moins démentis puisque le Parti a toujours raison, s’accumulant au fil du temps.

    Par comparaison, l’Américain moyen dispose de 62482 dollars par an. Il est 8 fois plus riche que le Chinois moyen, tout en étant infiniment plus libre. Et le Français moyen dans tout ça ? Il dispose officiellement de 41418 dollars. Mais ce n’est qu’une apparence. Etant donné l’obésité morbide de son Etat, le Français ne dispose réellement que d’une fraction de la richesse qu’il produit, 18224 dollars par an. Une fois qu’il a financé en pure perte son Etat obèse en devant produire plus du double de ce qu’il touchera réellement, le Français moyen n’a plus le cœur à faire la fête, même lorsque la fête est estimée en PPA.

  • « Une économie n’est pas une chose rationnelle » … sauf en termes de fondamentaux, ce que semblent ignorer la plupart des économistes :

    Parce qu’il doit impérativement ne serait-ce que se nourrir, se vêtir, se loger et se soigner, l’homme est un consommateur. Il l’est depuis sa conception jusqu’après sa mort – les marchés du prénatal et du funéraire en attesteraient s’il en était besoin – et il se double d’un producteur dès qu’il est en âge de travailler. Il est ainsi, rationnellement, avant toute autre opinion ou considération, un agent économique au service de la société, mais aux dépens de son environnement. Et plus le nombre de ces agents augmente, plus leurs besoins s’accroissent – outre ceux qu’ils s’inventent toujours plus nombreux –, plus ils produisent, consomment, échangent et s’enrichissent, avec l’aide du progrès scientifique et technique, quelles que soient les conditions du partage de leurs richesses. Qu’il s’agisse de ressources non renouvelables ou de pollution, les atteintes à l’environnement augmentent d’autant et s’ajoutent à celles d’une nature jamais avare de catastrophes inopinées ou cycliques.

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