Par Francis Richard.
Le visage s’estompait, lentement disparaissait. Tous les jours un peu plus, tous les jours un peu moins, un peu plus de disparition, un peu moins de présence.
Thomas Fourvière, le héros du roman de Virgile Élias Gehrig, s’est rendu compte de cette métamorphose de son visage un beau matin dès le réveil en se regardant dans l’armoire à glace des toilettes :
Il n’y avait plus un seul soupçon de cette lumière et de ces ombres, de ces à-plats, ces creux et ces reliefs à quoi l’on reconnaît immédiatement le dessin d’un visage.
L’effacement
Dès lors Thomas décide de s’en aller, de quitter sa femme, Marie, et l’enfant qu’elle attend et qui se prénommera Europe. Car l’effacement de son visage a commencé à partir d’un jour fatal, qu’il évoque ainsi dans le mot qu’il lui laisse :
Depuis ce jour qui m’a crevé les yeux, je nous vois comme des bêtes pourvues d’organes reproducteurs, des machines programmées à cette tâche, des solitudes soumises aux gènes et aux hormones, aux lois de la chimie.
Depuis ce jour, je ne peux cesser d’imaginer tes lèvres, tes yeux, ta nuque, tes mains, tes hanches, tes cuisses et ta poitrine, collés bestialement contre lui...
Il part donc pour d’autres cieux, qui seront méditerranéens… à la recherche de l’ultime pièce du puzzle, son angle mort, son blanc, celle qui manque pour redevenir tout simplement humain.
L’extension du mal
Il n’est d’ailleurs pas le seul à connaître un tel effacement du visage : il gagne imperceptiblement une part toujours plus large d’individus. Il s’en est rendu compte en regardant autour de lui :
Irrémédiablement, nous étions devenus des vitrines, des profils professionnels, des groupes relationnels, des catégories sexuelles, des comptes sociaux, des communautés invisibles, des images, des reflets, des coques d’escargot vides, des façades aux intérieurs partiellement délabrés, ennuyants, ennuyés.
Pour se sauver, Thomas s’échappe… de sa vie. Il tente le tout pour le tout pour retrouver son unité perdue, en tirant sur elle, comme s’il la supprimait sans l’anéantir.
La solution n’est-elle pas dans le retrait préalable d’un monde qui est sur sa fin ? dans l’exercice quotidien de l’écriture sur des pages blanches, discipline de vie où nul jour est férié ? dans la médecine du sage qui soigne en charmant l’imaginaire plutôt qu’en s’adressant à la raison ?
La solution passe peut-être par tout ça, mais aussi par Peut-être un visage…
Peut-être un visage, Virgile Élias Gehrig, 352 pages, L’Âge d’Homme
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