Leonard Read et l’histoire du crayon

Qui était Leonard Read, créateur de la FEE, Foundation for Economic Education, qui voulait « faire progresser la philosophie de la liberté » ?

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Pencil by FadderUri(CC BY-NC-ND 2.0)

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Leonard Read et l’histoire du crayon

Publié le 31 octobre 2017
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Par Nathalie MP.

La FEE, Foundation for Economic Education, think tank libéral parmi les plus anciens des États-Unis, a été créée en 1946 par l’économiste américain Leonard E. Read (1898-1983) dont le petit essai de 1958 sur la division du travail I, pencil (Moi, le crayon en français) est mondialement célèbre. Alors aujourd’hui, parlons de Read et du célèbre petit crayon jaune.

Pour Friedrich Hayek, contributeur de la première heure à la FEE, tout l’engagement de la fondation de Read consiste « à défendre notre civilisation contre l’erreur intellectuelle, ni plus ni moins. » Élogieux et enthousiaste, Hayek s’en inspirera dès l’année suivante (1947) pour créer la Société du Mont Pèlerin, elle-même dédiée à la promotion du libéralisme par opposition au keynésianisme ambiant de l’immédiat après-guerre.

Comme Hayek et Mises, comme Rueff chez nous, Leonard Read réfutait les théories marxistes et keynésiennes qui prévalaient alors et il confia à la FEE le soin « d’étudier et de faire progresser la philosophie de la liberté ». De nombreux philosophes et économistes de premier plan contribuèrent à ses activités, Hayek et Mises notamment, mais aussi Milton Friedman par exemple.

Aujourd’hui, la FEE est dirigée par Jeffrey A. Tucker. Avec l’appui d’un site internet, d’articles en ligne et de séminaires variés à l’intention des étudiants et des profanes, elle s’efforce « de faire advenir un monde dans lequel les principes économiques, éthiques et légaux d’une société libre sont familiers et crédibles pour les générations montantes » :

to bring about a world in which the economic, ethical, and legal principles of a free society are familiar and credible to the rising generation.

Leonard Read est né en 1898 dans une petite ville du Michigan. Il passe son enfance entre les travaux de la ferme familiale, un emploi dans l’épicerie locale, l’unique classe du village et l’église. Au terme de sa scolarité, il rejoint l’armée de l’air et y reste jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.

En 1918, Leonard Read a 20 ans. De retour chez lui, il se lance dans l’épicerie en gros, mais son affaire périclite. Il part pour la Californie avec femme et enfants et trouve un emploi dans une petite Chambre de commerce des environs de San Francisco. Il monte rapidement les échelons des Chambres de commerce pour se retrouver en 1939 à la tête de la branche de Los Angeles, la plus importante de tous les États-Unis.

Dans les années 1930, les Chambres de commerce n’ont aucune affinité avec le socialisme ou le communisme qui s’activent en Californie, mais elles sont soucieuses de promouvoir des programmes qui soutiennent l’industrie ainsi que les fermiers. Le New Deal de Roosevelt, qui consiste, selon les préconisations keynésiennes, à lutter contre le chômage et relancer l’activité par de grands programmes nationaux financés par la dépense publique (elle-même financée par l’impôt et la dette), y est donc largement favorisé, y compris par Leonard Read.

Mais en 1933, Leonard Read rencontre un certain Mullendore qui fait partie des cadres dirigeants du groupe Edison pour la Californie. Alors qu’il commence à lui expliquer le pourquoi et le comment des programmes de la Chambre de commerce, il se sent moins sûr de lui. C’est finalement Mullendore qui va lui montrer l’inefficacité totale du New Deal pour la prospérité du pays et les risques qu’il fait peser sur les libertés.

À partir de là, c’est bye bye New Deal, hello new Read. La puissante Chambre de commerce de Californie commence à faire évoluer ses conceptions économiques, tandis que Read, qui a découvert Bastiat entre temps (et dont il fera traduire les oeuvres en de multiples occasions pour la FEE) réfléchit à la façon de faire avancer la philosophie de la liberté.

Parmi tous les signaux qui contribuent à forger ses convictions libérales, citons ce passage de la Déclaration d’Indépendance (1776). Pour Read, il s’agit d’un concept à la fois spirituel, politique et économique qui constitue l’essence même du miracle américain : « nous tenons pour évidentes pour elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; parmi ces droits se trouvent la vie, la liberté et la recherche du bonheur » (Traduction officielle en français).

We hold these Truths to be self-evident, that all Men are created equal, that they are endowed by their Creator with certain unalienable Rights, that among these are Life, Liberty and the Pursuit of Happiness.

Il réalise que la promotion du libéralisme exige qu’il y consacre tout son temps. Il quitte donc ses fonctions pour fonder la FEE (1946) grâce à l’aide de plusieurs donateurs acquis à ses idées. Il y poursuit son travail jusqu’à sa mort en 1983.

Leonard Read est l’auteur de nombreux ouvrages d’économie. Le premier en date, Romance of Reality (1937), constitue la première mise en forme des idées libérales qui le travaillent depuis qu’il a discuté avec Mullendore en 1933.

Mais le plus célèbre est incontestablement le petit essai I, Pencil (Moi, le crayon) écrit en 1958. En voici le texte intégral (à partir de la page 7), préfacé par Milton Friedman (page 5) qui utilisera le même exemple dans son émission de télévision Free to choose.

À la suite d’Adam Smith qui voyait dans la division du travail la première raison de la Richesse des Nations et l’explicitait à travers l’exemple de la fabrique d’épingles, il raconte comment un simple crayon de papier est le fruit de la division du travail entre des milliers de personnes différentes qui, prises isolément, n’auraient jamais pu parvenir à une fabrication aussi complexe : « En fait, des millions d’êtres humains ont participé à ma création (dit le crayon), mais aucun d’entre eux n’en connaît plus que quelques autres ».

Actually, millions of human beings have had a hand in my creation, not one of whom even knows more than a very few of the others.

La leçon importante à retenir, c’est qu’aucune planification centralisée n’aurait pu réaliser ce simple crayon mieux que la coopération aussi spontanée qu’invisible entre des milliers de personnes qui travaillent dans des secteurs très différents (bois, métal, transport, etc.) et qui échangent pour leurs affaires dans un marché libre dont l’information principale est celle des prix.

On retrouve ici l’idée d’Hayek sur la dispersion de l’information résolue par le système des prix et celle de la « main invisible »  exprimée par Adam Smith :

En dirigeant cette industrie de manière que son produit ait le plus de valeur possible, (l’homme) ne pense qu’à son propre gain ; en cela, il est conduit par une main invisible, à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions. (Richesse des Nations, Livre 4, ch. 2)

Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société, que s’il avait réellement pour but d’y travailler. (Idem)

« Moi, le crayon », résultat miraculeux du marché libre, est aussi, de façon plus profonde, le symbole de la liberté :

Moi, le crayon, tout simple que j’apparaisse à vos yeux, je mérite votre émerveillement et votre admiration, et je vais vous le prouver. (…) Si vous pouvez prendre conscience du miracle que je représente, vous contribuerez à sauver la liberté que les humains sont si malheureusement en train de perdre.1

Ce texte fut ensuite repris sous diverses formes. Par Milton Friedman (1912-2006) notamment, qui y voit la supériorité du marché libre pour garantir non seulement la prospérité mais également la paix (vidéo, 02′ 10″) :

Et plus récemment dans une version Youtube animée « I, Pencil : the Movie » (vidéo, 06′ 32″) que je vous recommande, charge à vous d’inciter vos enfants et petits-enfants à la regarder aussi ! Les sous-titres ont été réalisés par l’Institut Coppet2.

La conclusion revient logiquement à Leonard Read : « Voici ma leçon : Ne bridez pas les énergies créatrices. Contentez-vous d’organiser la société pour qu’elle agisse en harmonie avec cette leçon. »

The lesson I have to teach is this : Leave all creative energies uninhibited. Merely organize society to act in harmony with this lesson.


Sur le web

  1. « I, Pencil, simple though I appear to be, merit your wonder and awe, a claim I shall attempt to prove. (…) If you can become aware of the miraculousness which I symbolize, you can help save the freedom mankind is so unhappily losing. »
  2.  L’institut Coppet se consacre principalement à la réédition et à la traduction des grands auteurs du libéralisme avec une prédilection pour l’école française.

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