Par Sébastien Maurice.
Un vieil adage boursier affirme qu’il faut « Acheter au son du canon, vendre au son des violons ». Ou, pour paraphraser le légendaire investisseur contrarient Jim Rogers, acheter les paniques et vendre les périodes d’hystérie. Où en sommes-nous avec la Chine, faut-il acheter ou continuer à paniquer ?
À ses extrêmes, l’évolution du marché n’est souvent que le reflet des émotions collectives et des espoirs irrationnels du grand public, davantage que de la réalité économique. C’est ainsi que se forment les bulles, aussi bien que les opportunités d’investissement exceptionnelles, et c’est exactement ce qui vient de se dérouler en Chine.
En juillet 2013, l’indice de Shanghai a atteint un point bas autour de 2 000 points, presque 70% en dessous de son plus haut historique de 2008. Le pessimisme s’était alors emparé du marché avec un PER moyen (du moins si l’on en croit la comptabilité chinoise…) comparable à celui des indices américains, dans le contexte d’une économie dont le taux de croissance structurel est pourtant trois à quatre fois plus élevé. Cette situation reflétait les inquiétudes des investisseurs concernant un risque de fort ralentissement à court terme suite à des années de sur-investissement dans l’immobilier et à l’accumulation de créances douteuses dans le bilan des banques. C’est à ce niveau qu’une stabilisation du marché s’est opérée, avant de réaliser au mois de septembre un break out au-dessus d’un niveau de résistance majeur autour des 2 250 points. Après avoir de nouveau testé plusieurs fois ce niveau, le marché a alors eu le champ libre pour entamer une course folle vers les 5 250 points, une hausse de 133% en seulement neuf mois. L’indice technologique (chinext) quant à lui a même été multiplié par 7 par rapport à son plus bas. Philippe Béchade vous avait alors averti de l’imminence de l’effondrement de ce que certains observateurs considéraient comme une bulle.
Comme nous l’expliquait Cécile Chevré dans la quotidienne pro, ce mouvement était en effet largement alimenté par l’explosion du nombre de petits spéculateurs, encouragés par les mesures de libéralisation décidées par les autorités :
« L’arsenal de séductions déployées par Pékin pour favoriser les marchés boursiers est particulièrement varié : libéralisation de l’ouverture de comptes-titres pour les Chinois, plus large ouverture aux investisseurs étrangers, apparition de nouveaux produits financiarisés, etc. Banques et courtiers ne sont pas en reste dans ce phénomène. Pour gagner de nouveaux clients, ils n’ont pas hésité à leur prêter de fonds, mettant en avant de potentiels gains boursiers pour se faire rembourser. La flambée de la Bourse chinoise a donc été, en grande partie, achetée à crédit […] Les investisseurs particuliers détiennent 80% des titres chinois ; à comparer avec les 10-15% sur les grandes places occidentales. La folie boursière est telle qu’à partir de mars dernier, ce sont plus d’un million de comptes-titres qui s’ouvraient en Chine… chaque semaine ! »
Ces mesures ont donc permis un rattrapage de la valeur des actions qui étaient artificiellement sous-évaluées du fait des restrictions imposées par le gouvernement. Cependant, lorsque la valeur de marché d’un actif est trop longtemps maintenue artificiellement en dessous de sa valeur intrinsèque, il en a résulté généralement un mouvement tout aussi excessif en sens opposé (comme l’or par exemple dans les années 1970 après l’abandon du contrôle de son prix). À ce stade il est donc tout à fait naturel et souhaitable d’avoir une phase de respiration. Il est difficile d’imaginer que le mouvement récent représente le sommet de la bulle alors que seule 14% de la population chinoise, malgré la ruée récente sur le marché, possède un compte action. Il faut néanmoins nuancer cela par le constat que le marché haussier a été largement alimenté par l’ouverture massive de compte titre individuels.
Le boom économique chinois est-il derrière nous ?
Plusieurs grands investisseurs pensent que nous ne sommes encore qu’au début du rattrapage de l’économie chinoise, qui serait en voie de succéder aux États-Unis sur le trône de première puissance économique mondiale. Le mouvement actuel ne serait ainsi qu’une phase de consolidation avant le prochain grand cycle de hausse et il existe des éléments fondamentaux solides qui devraient soutenir le marché dans les années à venir.
Il est vrai que l’économie a connu un ralentissement, mais la croissance structurelle pour les années à venir devrait se maintenir autour de 6 à 7% par an en moyenne. De plus, une pause dans la course effrénée au développement de ces dernières années pourrait être une bonne nouvelle pour la rentabilité des entreprises. En effet cela pourrait leur permettre de mieux contrôler leurs marges en optimisant la gestion des capacités de production et des stocks.
À l’échelle macroéconomique, l’une des grandes forces de la Chine est une épargne privée exceptionnellement abondante (le taux d’épargne global atteint 50% du PIB). De plus, la politique budgétaire étant bien maîtrisée (l’endettement public ne représente que 22% du PIB et le déficit est stable à 2,1% entre 2014 et 2015), cette épargne privée n’est pas absorbée par les émissions obligataires du gouvernement et peut donc être librement prêtée aux entreprises afin d’assurer le financement de leurs projets de développement.
Sur le plan démographique, le gouvernement Chinois a enfin annoncé en 2013 l’abandon presque total de la politique de l’enfant unique dans le but de faire face au vieillissement accéléré de la population, au manque de main d’œuvre et aux problèmes sociaux causés par le déséquilibre entre le nombre d’hommes et de femmes. Certains observateurs prévoient même un nouveau baby boom qui pourrait doper la consommation dans certains secteurs.
Le gouvernement avance également dans le bon sens en ce qui concerne la modernisation de l’agriculture, qui fonctionne encore sur un mode collectiviste, relique de la période communiste. L’introduction d’un programme expérimental de privatisation des terres a en effet été annoncée.
Si cette politique devait être déployée à grande échelle, on peut anticiper une véritable « révolution verte » dans le secteur agricole chinois, actuellement caractérisé par un très faible niveau de productivité. En effet puisque les paysans ne sont pas propriétaires de leurs terres, ils ne sont pas incités à réaliser des investissements à long terme dans la mécanisation et la modernisation des fermes. De plus, la taille des exploitations est trop faible (puisque divisées et réparties de manière égalitaire) pour supporter de tels investissements. Un tel changement permettrait également de libérer davantage de main d’œuvre pour assurer le développement du secteur industriel.
Vers une ouverture totale aux capitaux étrangers ?
Selon l’économiste et investisseur professionnel Charles Gave, afin de pouvoir intégrer sa devise dans le système des DTS, la Chine se dirige graduellement vers un régime de taux de change librement fixé par le marché, qui permettrait une ouverture totale aux capitaux étrangers. Actuellement, on constate un gap important entre les valeurs cotées en renminbi (A-shares) et celles en HK$ (H-Shares) résultant des restrictions imposées par le gouvernement sur les investisseurs chinois souhaitant acquérir des devises étrangères. Ce gap peut fluctuer, mais pour le moment les actions cotées en US$ (B-shares) et en HK$ (sur le H-shares market) s’échangent à un large discount par rapport aux actions cotées en Yuan (A-shares).
En cas d’ouverture du marché des capitaux, on devrait assister à une convergence rapide des prix du fait des arbitrages au profit du H-shares market et du B-shares market, qui devrait alors surperformer le A-shares market. À l’inverse, concernant les actions actuellement non accessibles aux investisseurs étrangers (car cotées sur le A-shares market en renminbi exclusivement), on peut anticiper une forte hausse liée aux flux entrants de capitaux lorsque le marché des capitaux s’ouvrira totalement. Actuellement, seule une poignée d’institutions sélectionnées par les autorités ont accès au A-share market.
Faut-il acheter un ETF sur indice ?
En matière de ratio de valorisation, le marché chinois apparait comme très raisonnablement valorisé comparé aux autres zones économiques au regard des perspectives de taux de croissance à long terme du pays. Le PER est de 8,3 un CAPE (PER corrigé des variations conjoncturelles) de 18,3 avec un PBR de 1,3.
Les mêmes ratios européens et américains indiquent généralement des niveaux de valorisation plus élevés pour les indices, malgré des perspectives économiques bien moins prometteuses. Le PER du SP500 se situe en effet actuellement autour de 20 (et même 25 corrigé des variations conjoncturelles) et l’Europe se négocie sur des niveaux comparables en moyenne.
Néanmoins, la meilleure stratégie pour entrer sur le marché Chinois n’est probablement pas d’acheter un ETF étant donné la très forte pondération des valeurs bancaires (environ 40 à 50% de la capitalisation), qui posent un problème en termes de transparence.
Le stock-picking convient mieux
Pour profiter de la réforme agricole, il pourrait être très rentable à long terme d’investir dans des entreprises cotées qui réalisent une part importante de leur chiffre d’affaires dans la vente d’équipements agricoles en Chine. Deere&Co est l’une de ces compagnies, bien que la valorisation actuelle paraisse encore élevée dans le contexte de cycle baissier sur les matières premières agricoles. Un achat en cas de retour sur le niveau de break out peut être envisagé.
Une autre source importante de gains de productivité dans les années à venir pour l’économie Chinoise sera la robotisation. Le nouveau gouvernement de Xi Jinping, qui appelle de ces vœux à une « révolution robotique industrielle », a en effet annoncé la mise en place d’incitations fiscales (exonérations de TVA et crédits d’impôt) ciblant le secteur de la robotique. L’entreprise Foxconn, bien qu’en retard sur ces objectifs, a même annoncé vouloir remplacer ces ouvriers par un million de robots dans les années à venir.
Les entreprises positionnées en Chine sur le marché de la robotique industrielle et des solutions d’automatisation pourraient donc connaitre un véritable boom dans les années à venir.
Vous pouvez surveiller l’action Baidu, le « Google Chinois », pour vous positionner en cas de breakout du précédent plus haut, ce qui confirmerait le retour du titre dans une tendance haussière. Il sera très difficile pour des entreprises étrangères de venir remettre en cause la position du moteur de recherche en Chine, autant pour des raisons de protectionnisme national (le gouvernement doit pouvoir garder le contrôle de la censure) que d’adaptation des algorithmes aux idéogrammes en mandarin.
Le PER est encore raisonnable au regard du taux de croissance du bénéfice brut au cours des dernières années. Le bénéfice net augmente plus lentement uniquement à cause du doublement chaque année des dépenses de R&D et de marketing, ce qui représente en réalité un très bon signe pour l’avenir. Sur la base des prévisions des analystes, le titre affiche d’ailleurs un PEG raisonnable de 1,11.
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