« La Rue Longue » d’Alain Campiotti

Rencontres amoureuses autour d’une célèbre rue de Pékin…

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« La Rue Longue » d’Alain Campiotti

Publié le 26 avril 2015
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Par Francis Richard.

La rue longue Alain CampiottiIl est des endroits sur lesquels j’imagine qu’un écrivain éprouve le besoin irrépressible d’écrire. Parce qu’ils sont chargés de sens pour lui. Des exemples viennent immédiatement à l’esprit de tout lecteur qui a quelques livres à son compteur…

Dans le roman d’Alain Campiotti, La Rue Longue, la Changjie de Pékin, est cet endroit dont le narrateur, Antoine Coulaud, veut faire un livre, qui serait, pour lui, « une arme de résistance et une entreprise nécessaire » :

« Changjie, sous son apparence d’artère artisanale, tranquille et ombragée, bordée de maisons anciennes sans étage, intactes mais aux briques fatiguées par l’absence d’entretien, est une artère stratégique et brûlante. Si la Chine était un volcan, la Rue Longue serait sa cheminée. »

La Rue Longue se situe en effet entre d’un côté le Palais Impérial et de l’autre le mur rouge qui dissimule « les palais et les offices du nouveau pouvoir omnipotent, sexagénaire quand même », c’est-à-dire entre « deux appareils à broyer les hommes ».

Le besoin d’Antoine Coulaud d’écrire sur la Rue Longue est peut-être resté à l’état de vœu pieux, mais, Alain Campiotti l’a satisfait de manière romanesque, en faisant parler deux voix, celle du narrateur, qui, comme il se doit, raconte ce qu’il sait et ce qu’il voit, et celle de l’auteur, qui, à distance, mettant le lecteur dans la confidence, raconte ce qu’ignore et ne voit pas le narrateur.

Antoine Coulaud est journaliste. Avant aujourd’hui – nous sommes à l’automne 2012 -, il est déjà venu en Chine avec sa femme, Anne, maintenant décédée à la suite d’un accident. Et, de nouveau sur place, il se souvient tristement de ce qu’ils ont visité ensemble. S’il n’y avait pas eu cet accident mortel, leur couple n’aurait, de toute façon, vraisemblablement pas surnagé…

Antoine Coulaud se rend à Pékin pour consulter les archives chinoises dans le but d’écrire quelque chose sur René Teril, un Suisse communiste, qui a vécu en Chine dans les années 1950, et il compte bien sur les relations qu’il a gardées là-bas pour obtenir l’autorisation de les consulter. Mais, cela s’avère tâche difficile, voire mission impossible.

Il faut croire qu’il n’y a pas de hasard, puisqu’Antoine Coulaud croise une amie qu’il croyait en Espagne, Marianne Koenig, peu de temps après son arrivée à Pékin, alors qu’il réside chez des amis à Shanghai. Même s’il ne l’a jamais revue depuis une fois mémorable à Paris, il pense de temps en temps à elle « avec un pic d’intensité », dont il connaît précisément la raison :

« Un soir, dans une fête (chez qui, pour quoi ?), au moment de m’accueillir et de m’embrasser trois fois comme c’était la règle dans notre milieu, elle avait attiré mon corps contre le sien pour que je sente sur ma poitrine, je voulais en tout cas m’en persuader, la rondeur et la tendresse de ses seins. Et ce même soir, elle avait assisté, entre Anne et moi, à une dispute qui n’avait pas été dissipée facilement. »

Or Marianne habite justement, désormais, au 17 de la Rue Longue, cette rue symbolique pour lui.. Aussi Antoine n’a-t-il qu’une idée en tête, après l’avoir revue incidemment : la retrouver chez elle, sans doute en raison du « pic d’intensité ». Et Marianne va dès lors jouer le chaud et le froid avec lui, l’attirant dans son lit quelques nuits, lui posant un lapin alors qu’ils doivent faire ensemble une croisière sur le Chang Jiang, sous un prétexte incompréhensible, et le rejoignant cependant à une des escales…

Ce qu’Antoine ne sait pas, mais que le lecteur apprend par l’autre voix du roman, à la faveur de conversations téléphoniques et sur WeChat entre Marianne et sa grande sœur Alice, c’est que Marianne et Anne étaient plus que des amies à une époque et que Marianne en veut consciemment, ou pas, à Antoine d’avoir rendu Anne malheureuse…

À l’automne 2012, le New York Times fait des révélations documentées sur l’enrichissement des proches du premier ministre chinois Wen Jiabao et le journaliste Antoine Coulaud ne peut manquer de s’y intéresser, surtout après que Bo Xilai est expulsé du Parti communiste de Chine pour des raisons similaires…

La morale de cette histoire, admirablement contée et écrite, dépaysement garanti, est que, lorsqu’une femme ne veut pas répondre à des interrogations ou des sollicitations, il vaut mieux ne pas chercher à comprendre ce qu’elle ressent et rester frustré par ses silences plutôt que de vouloir à tout prix en avoir le cœur net. A fortiori dans un pays comme la Chine, où la sphère privée n’existe tout simplement pas.

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