Super Bowl : un nouveau concurrent (II)

Comment le football américain est-il devenu une expérience à vivre pour le téléspectateur ?

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Super Bowl : un nouveau concurrent (II)

Publié le 29 janvier 2015
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Dans la nuit de dimanche à lundi se tiendra le Super Bowl, la finale du championnat de football américain. Méconnu en France, ce sport intrigue en ce qu’il est censé représenter les États-Unis, sa société, son rapport à l’argent et son sens du spectacle. Et pourtant, ce statut spécial a été long à acquérir. Au-delà des montants astronomiques des pages de publicité et du spectacle de la mi-temps, les multiples innovations introduites par les ligues et les franchises ont contribué à faire du football le sport préféré de l’Amérique.

Par Kévin Mailly.

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Le football américain en se développant attire les convoitises de potentiels propriétaires, désireux d’acquérir ou de créer de nouvelles franchises. Les candidats se verront opposer le refus de Bert Bell qui cherche quant à lui à régler l’épineux cas des Chicago Cardinals, qui ont du mal à exister dans l’ombre des Chicago Bears. Bell refusant toute extension avant que cette question ne soit résolue, et les propriétaires des Cardinals refusant de vendre leur équipe, va se former un groupe d’hommes d’affaires autour de Lamar Hunt. Rassemblant les prétendants éconduits, il va avoir l’idée de créer une ligue concurrente, l’American Football League. Bert Bell, prenant la parole devant une commission anti-trust, prendra parti pour la création de la nouvelle ligue. « Plus il y a de football et de publicité autour du football, mieux nous nous portons. La rivalité avec l’AAFC a été bénéfique pour le football professionnel. Chaque journal débattait pour savoir quelle était la meilleure ligue, ce qui en assurait la médiatisation constante »1.

Intrigué par la proposition de Bill Veeck (reprise plus tard par Branch Rickey), propriétaire de la franchise de baseball des Saint Louis Browns, lors de la réunion des propriétaires de franchises en 1952, Bert Bell s’intéressera à un système de répartition des droits TV entre équipe hôte et équipe visiteuse. Suscitant par trop la polémique, Veeck se faisant qualifier de « putain de communiste » par Walter O’Malley, propriétaire des Brooklyn Dodgers, l’idée est laissée en jachère quelque temps. Les tentatives de Bell pour introduire cette pratique au sein de la NFL pendant les réunions de 1956 et 1958 s’avèreront infructueuses. C’est Lamar Hunt qui popularisera l’idée et intégrera cette pratique au sein de l’AFL. Sans avoir encore joué un seul match, les 8 équipes de l’AFL étaient assurés de toucher plus d’argent des droits TV que 5 des franchises bien installées de la NFL. Paradoxalement, la répartition des droits a entraîné l’enrichissement à la fois de la ligue et des équipes (ainsi que de leurs propriétaires) par l’augmentation de l’intérêt porté par le public à un sport au dénouement incertain. Selon les mots de Branch Rickey, « Toute règle supprimant ou tendant à supprimer la possibilité que l’argent fasse la différence dans le jeu est une bonne règle ». Adoptée plus tard par la NFL, la redistribution des droits TV, en créant une compétition sportive constante entre les franchises, a précipité la chute du baseball en tant que sport de l’Amérique. John Steadman, journaliste au Baltimore News-American au début des années 70 fera un constat limpide. « Jusqu’à maintenant, le baseball était le sacrosaint sport, plus américain qu’Abraham Lincoln, plus catholique que le Pape. Quand la NFL de Pete Rozelle a commencé à se promouvoir comme la nouvelle religion, le baseball était incapable de répondre. Ils étaient comme un bagarreur ivre mort se faisant bousculer sur un ring. Et tout ce que faisait la NFL, soit frontalement, soit indirectement, visait à saper le baseball. »2

Après la mort de Bert Bell, Pete Rozelle sera élu par les propriétaires pour étendre les activités de la NFL. Habitué des médias3, il travaillera avant tout sur la communication et le merchandising. Les conférences de presse, les communiqués et le contrôle des informations délivrées aux médias est un des facteurs les plus importants si l’on veut comprendre l’avantage de la NFL sur les autres sports. Déménageant le siège de la ligue (auparavant à Philadelphie) à New York, Rozelle est proche des industries de la publicité, de la télévision et de l’édition, qui constituent le cœur des médias de masse. Il entretiendra notamment d’étroites relations avec Bill McPhail, directeur de la section des sports à CBS et André Laguerre, rédacteur en chef de Sports Illustrated et ancien attaché de presse de Charles de Gaulle durant la seconde guerre mondiale. La maîtrise totale des relations publiques est une des clefs de voûte du succès de la NFL.

En 1960, le football professionnel doubla de taille, passant de 12 équipes en 1959 à 21 équipes l’année suivante, cela étant rendu possible par la croissance économique et l’augmentation de la classe moyenne. En 1962, la NFL accorde le droit de diffusion de la finale du championnat à Ed Sabol. Le film-résumé du match est un florilège de ce qui fait la particularité du football à la télévision encore aujourd’hui. Une mise en situation « David contre Goliath » ou « Le choc des Titans » selon les forces en présence, une voix-off profonde, l’image du coach et de ses joueurs ressemblant à une armée prête à livrer bataille, un combat homérique avec des héros de chaque côté du terrain, l’utilisation de musiques classiques… La frontière n’est pas loin avec les codes des films de propagande et Nick Sabol, fils d’Ed Sabol et directeur artistique de NFL Films, confessera son admiration pour le film Olympia (Les Dieux du stade) de Leni Riefenstahl sur les Jeux Olympiques de Berlin en 1936. La société de Sabol est intégrée à la NFL en 1965 et deviendra NFL Films, outil qui façonnera l’image du football auprès du grand public.

Ben Yagoda, journaliste au New York Times, considère NFL Films comme un maillon central pour comprendre l’ascension du football. « On peut dire que, en vérité, plus que les retransmissions des matchs en direct, le travail de NFL Films a forgé la façon dont les Américains ressentent le football. Il nous a montré le sport sous un angle cinématographique. Ses innovations créatives et techniques ont été copiées par les grandes chaînes. Et finalement, par son traitement du jeu parfois sombre et sentimental au point d’en être hilarant, NFL Films a puisé dans notre penchant national pour le mélodramatique et a fait du football professionnel la plus populaire des séries TV d’Amérique. »4 En parallèle, NFL Properties, chargé de la gestion et de la promotion des produits dérivés, est créé en 1963. Le football est devenu une expérience à vivre pour le téléspectateur, et intègre le quotidien des foyers américains avec les produits dérivés, s’insinuant dans la culture populaire américaine. NFL Properties sert à « marketer » la ligue, NFL Films à la glorifier. En novembre 1965, un sondage commandé à Louis Harris par la NFL confirme un sentiment déjà partagé par les américains : le football est devenu le sport n°1, dépassant le baseball comme passe-temps favori de l’Amérique.

  1. Senate Subcommittee on Antitrust and Monopoly, Organized Professional Team Sports Hearings, 86è Congrès, 1ère session, Juillet 1959.
  2.  Curt Smith, Voices of the Game, p.302.
  3. Rozelle fut attaché de presse puis General Manager des Los Angeles Rams et créa la boutique du club, dans laquelle le client pouvait acheter pour 1$ la célèbre « bobble-head doll », une poupée à la tête disproportionnée.
  4.  Ben Yagoda, Not So Instant Replay, New York Times, 14 décembre 1986.

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