L’économie politique selon J.S. Mill : la critique de Durkheim

Si pour J.S. Mill l’économie politique peut être élevée au rang de « science », pour Durkheim ce n’est qu’un « art ».

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
john stuart mill credits martin beek (licence creative commons)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

L’économie politique selon J.S. Mill : la critique de Durkheim

Publié le 7 décembre 2014
- A +

Par Bertrand Allamel.

john stuart mill credits martin beek (licence creative commons)
John Stuart Mill

Voici la suite de notre série sur la définition de l’économie politique par J.S. Mill. Retrouvez les deux premières parties ici et ici.

Nous avons vu précédemment comment John Suart Mill était parvenu à proposer une définition qui lui semblait satisfaisante de l’économie politique. Il nous faudrait maintenant parler de la méthode de l’économie politique à laquelle Mill consacre la deuxième partie de son essai.

Mais avant de nous pencher sur la méthode et de voir ce qu’en dit Mill, j’aimerai cependant au préalable faire mention d’une critique à l’encontre de cette définition, trouvée chez Durkheim. Non pas que, comme le fait Durkheim à qui j’emprunte cette critique, je sois tenté par une remise en cause fondamentale de l’économie politique, mais plutôt pour souligner l’éventualité d’une erreur ou du moins la difficulté de l’effort de définition de Mill, et plus simplement pour faire mention d’une critique existante dans laquelle Mill est explicitement cité.

Alors que Mill a bien pris soin de distinguer art et science, et de faire en sorte que l’économie politique se dégage de cette conception qui ferait d’elle un art de gouverner pour la hisser au rang de science, on peut en effet se demander si son entreprise n’a pas, dans une certaine mesure, échoué.

Durkheim, père de la sociologie, figure emblématique du holisme, attaque directement les fondements de l’économie politique et reprend, en les critiquant explicitement, les propos de Mill. Peu importe la motivation réelle de ces critiques et la présentation peut-être facile d’un argumentaire provenant du courant méthodologique exactement contradictoire : on peut toutefois accorder un certain intérêt à celle qui va suivre.

Dans Les règles de la méthode sociologique, Durkheim met indirectement Mill face à une contradiction embarrassante en soutenant que l’économie politique, sous ses airs de science, n’est qu’un art déguisé1 :

Aussi, en économie politique comme en morale, la part de l’investigation scientifique est-elle très restreinte ; celle de l’art prépondérante. […] Ce qui tient le plus de place dans les recherches économiques, c’est la question de savoir, par exemple, si la société doit être organisée d’après les conceptions individualistes ou d’après celles des socialistes ; s’il est meilleur que l’État intervienne dans les rapports industriels et commerciaux ou les abandonne entièrement à l’initiative privée ; si le système monétaire doit être le monométallisme ou le bimétallisme, etc., etc. Les lois proprement dites y sont peu nombreuses ; même celles qu’on a l’habitude d’appeler ainsi ne méritent généralement pas cette qualification, mais ne sont que des maximes d’action, des préceptes pratiques déguisés. […] Tout ce qu’on a pu faire et tout ce qu’on a fait, c’est de démontrer dialectiquement que les individus doivent procéder ainsi, s’ils entendent bien leurs intérêts ; c’est que toute autre manière de faire leur serait nuisible et impliquerait de la part de ceux qui s’y prêteraient une véritable aberration logique.

Emile_Durkheim (wikimedia commons)
Émile Durkheim

On peut donner raison dans un certain sens à Durkheim si on reprend les termes exacts de Mill déjà cités précédemment, selon lesquels l’économie politique chercherait

À montrer quel enchaînement d’actions l’humanité, vivant en état de société, serait amenée à accomplir si cette motivation, sauf à être contrariée par les deux contre-motivations perpétuelles auxquelles nous venons de nous intéresser, présidait en maître absolu à toutes ses actions. »2 ; et employant certains expédients pour faciliter la distribution. »]

D’un autre côté, on ne peut enlever à l’économie politique, telle qu’elle a été définie par Mill, sa force analytique et sa volonté de comprendre les comportements humains, notamment par sa méthode spécifique (que l’on va aborder dans un prochain article).

De plus, Mill insiste bien sur la spécificité de l’objet de l’économie politique :

Les affaires humaines dans lesquels l’acquisition de richesses constitue le but principal et reconnu »3

Dans ce cadre, il pose ou suppose sans complexe l’homme comme étant soumis à un désir perpétuel de produire et d’accumuler des richesses. Mill est difficilement attaquable dans la mesure où l’hypothèse centrale est annoncée et occupe une place prépondérante dans la définition de l’économie politique.

Finalement, les deux postures semblent se tenir et il est bien délicat de trancher4 : l’économie politique, du point de vue de Durkheim peut effectivement aboutir à des préceptes et être considérée comme un art, mais du point de vue de Mill, on peut la prendre comme un science « sous condition » qui donne l’occasion d’étudier et de comprendre les comportements humains, dans un contexte particulier.

La primauté de l’hypothèse dans l’économie politique fait d’ailleurs l’objet d’un développement attentif de Mill, au cours duquel il défend une méthode spécifique que nous aborderons dans un prochain article au cours duquel nous aurons d’ailleurs à nouveau l’occasion de nous référer à Durkheim.

  1. E. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, pp. 26-27.
  2. La critique de Durkheim prend encore plus de valeur si on reprend les propos suivants de Mill, p. 68 : « (l’économie politique) montre l’humanité, sous l’influence de ce désir, accumulant de la richesse et l’employant à la production de nouvelles richesses ; approuvant d’un accord général l’institution de la propriété, établissant des lois afin d’empêcher les individus d’empiéter sur la propriété des autres par la force ou par la ruse ; adoptant divers dispositifs en vue d’augmenter la productivité de leur travail ; réglant le partage du produit de la terre par des accords, sous l’influence de la concurrence […
  3. p. 69
  4. Ce qui n’était pas l’objectif, celui-ci étant plutôt de souligner la difficulté du problème.
Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)
  • étant que économiste j.s mille a bien parler de la nécessite de la méthode scientifique

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Urbain Gilbert Guillaumin fut le fondateur, en 1835, de la librairie d’économie politique Guillaumin et Cie qui fut la grande maison d’édition des idées économiques au XIXe siècle en France. Sa revue mensuelle, le Journal des Économistes, fut le point de rencontre des esprits les plus brillants de cette période. Elle est le symbole d’une période particulièrement prolifique en termes de débats d’idées.

Gilbert-Urbain Guillaumin est né le 14 août 1801 à Couleuvre, un village près de Moulins, dans le département de l’Allier. Orphelin de p... Poursuivre la lecture

Carl Menger est non seulement le fondateur de l’École autrichienne d’économie, mais aussi l’un des pionniers de la science économique moderne par la publication de son ouvrage classique, Principes d’économie politique, en 1871. Comme ses disciples qui lui succèderont, Carl Menger, né en 1840 dans l’Empire austro-hongrois, est à la fois un homme de pensée et d’action. Il a débuté sa carrière comme journaliste, avant d’être successivement employé dans un ministère, universitaire, tuteur du prince héritier de la couronne impériale, et conseiller... Poursuivre la lecture

L’héritage s’accepte en général à bras ouverts. Mais dans le domaine des idées, les répulsions sont plus vives, plus durables. Un cas frappant de rejet des héritages intellectuels s’observe dans l’économie politique, comme on disait jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Avant que l’Angleterre de Ricardo ne se place à la tête des nations dans ce domaine, la France fut le berceau de cette science nouvelle et sa nourricière la plus généreuse.

Ce fut un Français qui écrivit le premier ouvrage sur la monnaie ; un Français qui publia le prem... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles