“Au-delà des abîmes – Triptyque” de Georg de Muralt

Les amateurs de poésie apprécieront ces trois livres mélancoliques

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“Au-delà des abîmes – Triptyque” de Georg de Muralt

Publié le 22 novembre 2014
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Par Francis Richard.

richardComme le sous-titre de triptyque ne l’indique pas, puisque d’ordinaire ce mot désigne un tableau composé de trois panneaux, il s’agit de trois livres que Georg de Muralt a publié ce printemps sous le titre d’Au-delà des abîmes.

À la décharge de l’auteur, il faut dire que le mot de trilogie, en l’occurrence, n’aurait pas vraiment convenu. Car ces trois livres, réunis en un seul volume, n’en forment qu’un. Ce tout insolite, onirique, est d’un genre indéfini, puisque poésies libres, proses allégoriques et poésies classiques se succèdent.

Tout de vers libres composé, le moteur du Livre I, De temporibus, est à trois temps, précédés d’un prologue, suivis d’un épilogue.

L’homme décrit dans le prologue est au bord de l’abîme :
“L’as de pique en main noir
d’une touche plein cœur il s’enfonce”

Le premier temps confirme la possibilité d’une chute :
“Un dernier battement puis le trou noir.”

L’évocation d’une arme à feu, avec laquelle la vie se joue quand le barillet tourne, fait se demander à celui qui appuiera sur la détente :
“Aurai-je entendu un dernier coup ?”

Le deuxième temps est celui du voyage commencé après que sa mère l’a abandonné à la nuit, dans sa chambre, et de la chute, depuis, du globe dans l’univers.

Le troisième temps est celui de la main, mi-velours mi-fer, qui est là, dont l’ombre s’éloigne au milieu des tribulations, qui, en juge, un jour, a tranché :
“Pour pendre
la lettre aux barreaux traître”

À la fin
“Au milieu de la piste
entre les genoux
la main aime
mais n’a plus d’encre.”

Il ne reste plus qu’une issue – et c’est l’épilogue – dedans ses lacs bleu tendre, demander (à l’aimée ?) :
“Englace-moi
– Qu’au sein du gel atemporel
Nos cœurs s’arrêtent.”

Le livre II, Clair-obscur, est écrit en prose allégorique. Il comprend quatorze textes indépendants les uns des autres. Deux de ces textes, relatifs à l’écriture et au livre, sont emblématiques de l’ensemble.

Dans la cour d’une porcherie, trois plumes tombent au milieu de la bauge. Un verrat gavé renifle l’une d’entre elles et s’éloigne dégoûté :
“Le bec de la plume était enduit d’encre et propageait une fragrance déplaisante”.

Un être non identifié, qui s’avère monstrueux, sort d’une bibliothèque et y met le feu. Il suffit qu’au cours de ses périgrinations il rencontre un obstacle pour qu’il le détruise, qu’il s’agisse de l’humanité ou de la végétation… D’une chaîne de montagnes ce monstre s’élance dans l’espace et atterrit sur la première planète venue. En cherchant de quoi satisfaire sa faim, il trébuche sur un objet :
“Quand il se retourna enfin, la découverte fut si brutale qu’il se liquéfia littéralement sur place.
Il avait aperçu un livre.”

Le livre III, 279 et des poussières, est un retour à la forme poétique affirmée, classique cette fois. L’épigraphe d’Horace est une piste sur laquelle le poète s’est engagé: les années dans leur course enlèvent aux hommes tous les avantages, y compris le goût de la poésie. Rien ne serait possible là-contre.

Par exemple, la mémoire devrait flancher :
“Tire la corde et coule enfin – ressouvenir!
Soldat de plomb sous la guillotine mémoire,
Du tronc sans tête, un mot force d’ensevelir
La bien-aimée et crosse en croix sur l’avenir.”

Mais le goût de la poésie est-il perdu par celui qui compose de tels vers ?

Ces vers-là ne sont pas moins révélateurs de ce goût de la poésie persistant :
“J’ai attendu que chute le zéphyr
Et que le jour disparaisse au nadir,
Pour délivrer enfin mon vague à l’âme
Comme déferle et se brise une lame
Sur les rochers amarrés de soupir.”

C’est pourquoi, pour les optimistes, dont je suis, il est préférable, à tout prendre, au-delà des abîmes, que le poète frôle sans cesse dans ce triptyque, d’écouter sa musique plutôt que ses paroles :
“Quand la gangrène atteint la muse et l’idéal,
Il ne reste qu’à rajuster le point final.”

 Georg de Muralt, Au-delà des abîmes, éditions Baudelaire, 94 pages.

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