Pourquoi les balles de golf ont-elles des alvéoles ?

Les alvéoles sur les balles de golf répondent à un besoin bien précis et volent mieux que des balles lisses. Pourquoi ?

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Balle de golf (Crédits : WebWideJosh, licence Creative Commons)

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Pourquoi les balles de golf ont-elles des alvéoles ?

Publié le 3 février 2014
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Par Alexandre C.

Balle de golf (Crédits : WebWideJosh, licence Creative Commons)Pourquoi les balles de golf sont-elles pourvues d’alvéoles ? Au premier abord, on se dit que ces petites aspérités, disséminées régulièrement çà et là, sur la surface de la balle doivent perturber son vol, que cela la rende moins efficace dans l’air ou bien que c’est juste une décoration du fabricant pour la rendre plus « jolie » à regarder. Pourtant, demandez à un joueur de golf – amateur ou professionnel – de comparer une balle lisse d’avec une balle alvéolée, et au bout de quelques drives, il choisira, invariablement, la balle alvéolée.

Comme très souvent dans l’histoire, c’est par un pur hasard que l’on a compris que ce type de balle volait mieux que tout autre modèle. Une petite découverte fortuite qui a révolutionné ce sport en profondeur et l’a fait entrer dans l’ère des sciences et de la modernité.

Un peu d’histoire

Les premières balles de golf étaient fabriquées à l’aide de plumes. Mouillées, on les tassait dans une petite poche en cuir ou en toile, elle aussi imbibée d’eau. En séchant, les plumes se dilataient tandis que l’enveloppe se contractait, le tout formant une balle très dure qui était ensuite huilée et peinte en guise de finitions. Bien que les coutures étaient à l’intérieur, elles n’étaient pas parfaitement lisses mais se comportaient parfaitement sur le parcours1. Cependant, ces « plumeuses » comme on les appelait avaient un inconvénient de taille : fabriquées artisanalement, elles étaient très coûteuses et difficiles à produire en grande quantité2.

Au milieu du XIXème siècle, pour remédier à ce problème, on commença à utiliser du gutta-percha3 pour fabriquer les balles de golf. Cette gomme naturelle, semi-rigide, est extraite d’un arbre, comme sa cousine le caoutchouc. Bon marché, ce nouveau matériau permettait de fabriquer plus de balles en utilisant de simples moules. Le produit final était parfaitement lisse et devait donc – comme tout le monde s’accordait à le penser à l’époque – pouvoir couvrir de plus grandes distances4. Mais il n’en était rien. La nouvelle balle, baptisée « guttie », n’en faisait qu’à sa tête. Elle plongeait, était incapable de tenir une trajectoire rectiligne et, surtout, allait moins loin que les anciennes plumeuses. Cependant, à force de recevoir les coups des joueurs, ces balles finissaient par se cabosser et certains joueurs se rendirent compte que ces défauts changeaient leur comportement : elles allaient désormais plus loin et ce en ligne droite. On venait de comprendre pourquoi les plumeuses et leurs coutures volaient plus longtemps. Le principe des alvéoles était né.

Rapidement, on commença à imprimer des creux sur les balles avec un marteau avant que des moules ne soient conçus pour reproduire un dessin plus régulier et de meilleure qualité. Plusieurs motifs sont développés : striures, rainures, bosses… La plus connue d’entre elle, la « ronce » possédait une séries de bosses resserrées. Il faut attendre le début du XXème siècle pour qu’un industriel, William Taylor, dépose le brevet du motif d’alvéoles – disposées régulièrement sur toute la surface de la balle – que nous connaissons encore aujourd’hui, à quelques modifications près. Dès les années 30, ce modèle était déjà devenu le standard mondial des joueurs de golf.

Pourquoi une balle vole ?

À la même époque, une nouvelle science fait son apparition : l’aérodynamique. Et elle ne tarde pas à s’intéresser à la problématique du vol des balles de golf5 et essaie de trouver une origine au gain obtenu avec les balles cabossées. Peter Guthrie Tait, un physicien écossais et joueur amateur, est le premier à tenter une explication avec la publication, en 1891, d’une série d’articles scientifiques, dans lesquels il affirme que la rotation de la balle est à l’origine de ces vols allongés. Ce phénomène est connu sous le nom d’effet Magnus6. Ce phénomène est observable lors d’un match de tennis quand les joueurs impriment un effet « rétro » à la balle : elle vole plus longtemps – l’effet contraire, connu sous le nom populaire de « lift », a bien évidemment la conséquence inverse et la balle plonge plus rapidement. Concrètement, quand une balle est en rotation dans l’air, elle va interagir avec le fluide qui l’entoure. Si elle tourne dans le sens des aiguilles d’une montres, elle accélère le fluide qui passe au-dessus d’elle ce qui a pour effet d’abaisser la pression7 et d’aspirer, en quelque sorte, la balle vers le haut : elle peut donc voler plus longtemps. En aérodynamique, la force qui attire la balle vers le haut est appelée portance. Elle contre les effets de la pesanteur. C’est exactement la même force qui permet aux avions de tenir en l’air, même si elle est mise en œuvre différemment. Faites-en l’expérience vous-même. Passez votre main, à plat, à travers la vitre d’une voiture, il ne se passe rien. En revanche, si vous l’inclinez légèrement vers l’avant, vous allez la voir partir rapidement vers le haut.

En plus de la portance, une autre force agit sur la balle : la traînée. C’est elle qui freine sa course dans l’air. Sans entrer dans les détails, il existe plusieurs types de traînées qui interviennent quand un solide se déplace dans l’air8. Dans le cas de notre balle de golf, il y en a principalement deux : la traînée de frottement et la traînée de pression (ou de forme). La première est assez simple à comprendre. L’air est un fluide visqueux9, c’est-à-dire qu’il s’attache à la paroi du solide en mouvement avec lequel il entre en contact. Plus la vitesse de l’objet augmente, et moins le frottement dû à la viscosité a d’impact sur l’écoulement : il se trouve confiné aux plus proches abords de la paroi dans un lieu nommé couche limite.

Le deuxième type de traînée provient de la forme de l’objet qui est placé dans l’écoulement. Comme chacun a pu s’en rendre compte, une balle n’est pas aussi profilée qu’une aile d’avion10 et par conséquent, elle présente une résistance à l’air bien supérieure. L’air qui arrive en amont de la balle se sépare en deux et développe une couche limite stable à la paroi. Au fur et à mesure que l’on se déplace vers l’aval, la couche s’épaissit et perd de son énergie. Dès lors, elle ne peut plus contrer l’inversion de pression qui s’y produit11 : elle ne parvient plus à adhérer à la paroi et finit par décoller12. Dans le sillage du corps, il se forme un cortège de tourbillons qui freinent sa progression. Cette traînée de pression est la première cause du ralentissement de la balle pendant le vol. Bien évidemment, on ne peut pas changer la forme de la balle pour réduire cet effet qui disons-le est dévastateur. C’est là qu’interviennent les alvéoles.

Le rôle des alvéoles

Il y a un autre paramètre dont je n’ai pas encore parlé ici : le nombre de Reynolds13. Valeur caractéristique d’un écoulement, il permet de distinguer si celui-ci est laminaire ou bien turbulent. Encore des termes compliqués me direz-vous. En mécanique des fluides, un écoulement est dit laminaire quand les lignes de courant qui le constituent restent parfaitement parallèles et régulières. En pratique, ce type d’écoulement est assez difficile à obtenir et on a plus facilement affaire aux écoulements dits turbulents14, pour lesquels les mêmes lignes de courant s’emmêlent dans tous les sens.

Le nombre de Reynolds est proportionnel à la géométrie de l’écoulement – le diamètre de la balle par exemple – à la vitesse de l’écoulement et inversement proportionnel à la viscosité du fluide qui le constitue. À dimensions et propriétés du fluide fixées, on passe d’un régime laminaire à un régime turbulent en augmentant la vitesse de l’écoulement. Pour une boule, la valeur de transition entre les deux est d’environ 3000 (valeur strictement indicative). Moins ordonné, plus difficile à décrire, le régime turbulent n’a, à première vue, aucun avantage à faire valoir et c’est, en effet, très souvent le cas. Pourtant, pour notre problème de balle de golf, il en est tout autrement. La présence d’alvéoles à la surface change le comportement du fluide. L’air s’introduit dans les anfractuosités et revient sur lui-même, créant ainsi de minuscules tourbillons. La couche limite aux abords de la paroi – qui était laminaire dans le cas d’une balle lisse – devient turbulente. Plus épaisse mais aussi plus énergétique, elle a la capacité de rester attachée à la balle bien plus longtemps que son homologue laminaire. Conséquence de tout cela, le sillage derrière la balle est considérablement réduit tout comme la traînée de pression. La balle est donc moins freinée et va plus loin. Sa trajectoire est aussi mieux maîtrisée par le joueur qui peut lui donner tous les effets qu’il veut. Simple, mais encore fallait-il y penser.

Mais ce n’est pas tout. L’effet Magnus qui maintient la balle en l’air par sa rotation horaire est améliorée par la présence des alvéoles.

Farther and further

Depuis que ces propriétés sont connues, on a sans cesse chercher à améliorer les qualités des balles de golf. Ainsi, on a testé à travers le temps plusieurs types de balles avec plus ou moins d’alvéoles. Aujourd’hui, leur nombre évolue entre 300 et 450, même si certaines ont pu en compter jusqu’à 500. Autre particularité, il y en a toujours un nombre pair – même si certains se sont amusés à créer des balles avec un nombre impair d’alvéoles.

Depuis les années 60, les caractéristiques des balles de golf ont été arrêtées par l’USGA (United States Golf Association). La vitesse dans l’air au moment de la frappe, mais aussi la quantité et la disposition des alvéoles à la surface sont désormais strictement réglementés. Le diamètre, quant à lui, a évolué au fil du temps passant de 1,62 pouces dans les années 20 (environ 42 mm) à 1,68 pouces (approximativement 46 mm) à partir de 1974 – la première est appelée « balle anglaise » ; la deuxième « balle américaine »15. En 1981, une nouvelle règle a été instaurée pour exclure les balles asymétriques. En effet quelques années auparavant, un nouveau fabricant, Polara, avait proposé à la vente une balle dont les aspérités n’avaient pas la même profondeur à l’équateur et aux « pôles ». Cette balle, magique, était beaucoup plus stable que les autres, ce qui, d’après l’USGA réduisait l’intérêt du jeu16.

Une dernière information : bien que les alvéoles des balles soient traditionnellement circulaires, il semble, d’après des recherches récentes, qu’une forme hexagonale améliorerait encore le vol des balles. Les petites balles blanches n’ont donc pas encore livrées tous leurs secrets.


Sur le web.

  1. Performance que l’on attribuait à la présence de plumes.
  2. Elles pouvaient coûter jusqu’à trois fois le prix d’un club.
  3. Cet arbre est cultivée en Malaisie.
  4. La légende veut que ce soit un pasteur écossais, Adam Paterson, qui soit l’inventeur de cette balle.
  5. D’ailleurs, pour valider son concept, Taylor, s’était aidé d’une soufflerie, un de ces fameux tunnels dans lesquels circulent de l’air à haute vitesse.
  6. L’effet Magnus a été utilisé pour propulser des bateaux comme l’Alcyone du commandant Cousteau (turbovoile).
  7. Par utilisation du théorème de Bernouilli en considérant que l’air se comporte comme un fluide incompressible ce qui est parfaitement acceptable étant donné les vitesses des balles.
  8. Notablement, il existe aussi la traînée d’onde pour les objets supersoniques et la traînée induite, celle qui produit les fameux tourbillons de sillage au bout des ailes des avions.
  9. Cela n’est pas forcément évident de prime abord. Ceci explique pourquoi un solide a plus de difficultés à se mouvoir dans certains milieux.
  10. Il existe une fonction mathématique qui permet de la balle à l’aile d’avion : la transformation de Joukovsky du nom du scientifique russe, Nikolaï Joukovski (ou Zhukovsky) qui l’a théorisée. Les puristes m’objecteront – à raison – que cette transformation est appliquée à un cylindre. Mais dans le plan, un cylindre ou une boule, ont la même image, à savoir un disque. Concrètement, cette transformation est dite conforme c’est-à-dire qu’elle bijective et qu’elle conserve les angles mais pas les distances. Dans la vie de tous les jours, on peut voir des exemples de l’utilisation de cette fonction mathématique : les projections d’une sphère en deux dimensions (projection Mercator en cartographie).
  11. On parle alors d’inversion du gradient de pression.
  12. Le même phénomène peut se produire pour une aile d’avion quand celle-ci est trop inclinée. La couche limite décolle ce qui résulte en un décochage – parfois fatal – de l’aile.
  13. Inventé à la fin du XIXème siècle par Osbourne Reynolds (1842-1912), il est l’une des grandeurs fondamentales de la mécanique des fluides.
  14. Si vous en voulez un, ouvrez votre robinet. Quand le débit est élevé, les filets de l’eau irréguliers et erratiques sont caractéristiques d’un écoulement turbulent.
  15. D’après une information du journal Le Point (consultable à ce lien), certains suggèrent que l’on pourrait jouer avec des balles encore plus grandes.
  16. Un procès – réglé à l’amiable par le versement d’une forte somme d’argent – a opposé l’USGA et Polara.
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  • C’est un truc de riches le golf ? et si on labourait tous les golfs pour nourrir les pôvres ? voilà qu’elle est bonne l’idée ! ça me fait penser à J.-F. Kahn qui avait sorti sans rire (certainement sur Europe 1 un matin avant 68) qu’il y avait plus de surface de golf aux States que de terres cultivées en Inde… et naturellement les ricains étaient des enfoirés, y’a plus qu’à chercher la relation…
    La balle a aussi, par sa construction, l’avantage de pouvoir accélérer durant son parcours. On lance son drive et à 5 cm de l’impact, on donne un coup de poignet comme pour accélérer le mouvement, la balle s’élève et se met à accélérer, c’est très visible. Je me suis amusé à le faire avec une balle de ping pong, ça le fait et sa déroute l’adversaire LOL

  • Cet article ne révèle pas la leçon essentielle, qui est évidente pour les gens qui travaillent sur l’innovation :
    le rôle de la serendipité, la découverte fortuite, non intentionelle.
    Il révelle aussi la trop fréquente constatation que les choses se passent différemment de ce que la théorie prévoit, de ce qu’a trop vouloir améliorer on empire les choses.
    Il rapelle aussi que c’est par ceux qui pratiquent, et non par les théoriciens, que les progrès se font.

    Il est donc essentiel de ne pas se restreindre à ce qui est supposé être vrais, mais bien de laisser n’importe qui participer à la course du progrès scientifique, sur la base de ses observations et non des dogmes consensuels.

    C’est une des constations que fait Nassim Nicholas Taleb.

    C’est ce que le Grand cygne noir de l’années va vous enseigner.
    A mettre en perspective avec l’autre article sur le peer-review pathologique des revues à fort impact.
    Si la technologie des balles de golf était décidée par peer-review on aurait des balles lisses, qui d’apès le consensus sont la solution optimale.

    • « La science c’est comme faire l’amour: parfois quelque chose d’utile en sort, mais ce n’est pas la raison pour laquelle nous le faisons. »
      Richard Phillips Feynman

      2 remarques:
      1 – Ces hommes du 19e siècle, celui du capitalisme, ont su observer et s’adapter: Nos socialises contemporains, si imprégnés de leur supériorité sur leurs ancêtres, pourraient au contraire s’inspirer d’eux.
      2 – Le progrès a été stoppé par une réglementation imposée de force, et c’est bien la seule chose que la contrainte puisse produire en matière de progrès

      Félicitations à l’auteur pour la qualité de sa vulgarisation.

  • Article fort intéressant…

  • Et si les idées libérales étaient lisses, peut-être voleraient-elles mieux ?

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