Quand l’économie collaborative transforme l’industrie du logiciel

Le secteur du logiciel s’est jusqu’alors développé en imitant le modèle industriel, dominant dans la société qui l’a vu naître. Pourtant, grâce à la puissance des réseaux pair-à-pair distribués, des alternatives sont aujourd’hui possibles

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Quand l’économie collaborative transforme l’industrie du logiciel

Publié le 19 janvier 2014
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Par Sylvain Le Bon

Note: Cet article est la compilation d’une série d’articles postée sur le blog d’Open Initiative.

Open Initiative est née du besoin de produire du logiciel d’une autre manière. De produire du logiciel qui fonctionne, qui réponde aux besoins réels. De partager pour aller plus vite. Car l’industrie du logiciel fonctionne aujourd’hui d’une tout autre façon. L’industrie du logiciel s’est construite dans le creuset de la culture industrielle : investissements lourds en amont, propriété intellectuelle verrouillée, longs cycles de développement, et produits standardisés vendus en masse. Et de fait, ce modèle qui fonctionnait pour l’industrie lourde avait encore une raison d’être dans les premiers temps de l’informatique, en raison d’un mode de distribution inchangé.

Mais Internet est arrivé, et tout cela s’est retrouvé bouleversé. Le logiciel a une particularité : il n’a pas de coût de réplication. Quand les coûts de distribution sont virtuellement nuls, les cycles longs de développements ne sont plus une nécessité. Il est possible de créer un prototype, de le tester, de le distribuer, puis de l’améliorer et de le corriger à volonté et quasiment gratuitement. Aucune chaîne de production à mettre sur pied, pas de chaîne logistique à organiser, pas de stocks à gérer. Et pourtant, nous concevons toujours les entreprises du secteur du logiciel comme des entreprises industrielles.

Logiciel libre, coûts partagés

Il est possible de faire autrement. Si vous investissez lourdement dans un produit, il est essentiel de le protéger pour vous assurer un retour sur investissement. Mais si le montant de votre investissement est limité, il peut être préférable de laisser d’autres personnes s’approprier votre produit, afin de bénéficier de leur travail comme eux profitent en contrepartie du vôtre. C’est toute l’idée de l’open source.

Le logiciel libre n’est pas seulement plus juste et plus transparent, il est aussi plus efficace, parce qu’il génère un écosystème sur lequel on peut baser son travail pour créer rapidement d’autres logiciels très performants.

Mais ce n’est pas tout. Puisque le logiciel peut être facilement modifié, la meilleure option est de le tester aussi souvent que possible. C’est ce que le logiciel libre facilite grandement : vous avez à vos côtés une communauté qui teste fréquemment et rapidement votre produit. Ce qui implique moins de risque, moins d’investissements, plus d’efficacité et plus d’équité. Une assez bonne affaire, n’est-ce pas ? C’est cela qu’on entend par « faire du logiciel autrement ». Et c’est pour cela qu’Open Initiative a été créée.

Sans doute vous posez-vous la question suivante : si c’est du logiciel libre, de quoi vivez-vous ? Eh bien, comme le dit Stallman, libre ne veut pas dire gratuit ! Les développeurs de logiciel libre ont besoin d’argent pour vivre, comme tout le monde. D’où l’idée d’Open Funding : si le logiciel libre crée de la valeur pour tous, le coût de développement devrait être partagé entre tout le monde. Le crowdfunding permet de partager l’effort de financement, quand le logiciel libre permet de partager l’effort de développement. Lier les deux approches est tout naturel. En résumé : financer le logiciel grâce à la communauté, le développer étape par étape, puis permettre aux utilisateurs de le tester et de le valider, et enfin, libérer les sources.

Le dilemme du financement

C’est une tout autre façon de procéder. Une plateforme de financement participatif dédiée au logiciel libre était nécessaire. Mais comme toutes les autres plateformes de mise en relation de ce type, elle doit atteindre une taille critique pour être pérenne.

Toute les plateformes de ce qu’on désigne sous l’expression d’économie collaborative rassemblent des gens pour leur permettre de collaborer. En raison de l’effet de réseau, plus vous réunirez d’utilisateurs, plus votre plateforme créera de valeur. Tant que la masse critique n’est pas atteinte, il faut redoubler d’efforts pour faire vivre la plateforme. Une fois cette étape franchie, plus le réseau est vaste, et plus la valeur est grande. C’est ce qui pousse tant de startups à lever des millions, qui vont leur servir à communiquer et faire croître leur base d’utilisateurs.

Le problème, c’est qu’il faudra par la suite rémunérer les investisseurs, ce qui veut dire que la plateforme sera dans l’obligation de capter une partie de la valeur produite par ses utilisateurs. On se retrouve donc avec des utilisateurs qui travaillent ensemble, qui paient pour la croissance de la plateforme, qui sert elle-même à assurer un retour sur investissement aux investisseurs. À partir de ce moment-là, la plateforme se retrouve dans une situation de conflit d’intérêts entre ses utilisateurs et ses investisseurs, et des tensions peuvent alors apparaître. Ce problème est régulièrement soulevé ces derniers temps, sous des formes différentes, comme dans l’analyse de Janelle Orsi sur les poursuites engagées récemment contre Lyft, la réflexion sur « qui possède les plateformes de l’économie du partage ? » ou sur l’impact de l’économie collaborative sur les conditions sociales du travail.

Alors, comment résoudre ce conflit entre les intérêts des utilisateurs et ceux des actionnaires ? Tout simplement en faisant de vos utilisateurs vos actionnaires ! Permettre aux utilisateurs d’investir dans la plateforme qu’ils utilisent pour générer des revenus n’est pas seulement un moyen d’éviter les conflits d’intérêts, c’est aussi une bonne manière d’affermir leur engagement. Sans compter que si vous parvenez à convaincre un grand nombre d’utilisateurs de rejoindre le mouvement, cela peut générer un flux de trésorerie substantiel ! Du côté des utilisateurs, cela permet de soutenir la plateforme qu’ils utilisent pour gagner leur vie, de s’assurer qu’elle ne se retournera jamais contre eux et même de gagner de l’argent quand des dividendes sont versés.

Après tout, nous construisons ces plateformes pour nos utilisateurs. Il n’est pas absurde qu’ils soient impliqués dans leur construction et fassent partie de l’équipe. C’est un modèle plus soutenable, plus juste, et surtout… plus collaboratif.

Décentraliser pour créer un réseau global puissant

Mais peut-être devrions-nous nous d’abord nous demander pourquoi nous avons besoin de cet argent en premier lieu. La question se pose d’autant plus que la plupart des fonctions des startups Internet sont industrialisables. Développer une plateforme Web demande relativement peu de travail. La tester et l’améliorer est très facile. Les coûts d’hébergement sont négligeables, et bon nombre de tâches peuvent être automatisées. Si le Web peut mettre en relation des gens qui n’ont pas de rapport direct avec la société pour qu’ils travaillent ensemble de façon distribuée, alors pourquoi la communication et la vente devraient-elles être assurées de façon centralisée et hiérarchique ?

Là encore, une alternative est envisageable. Les startups Internet ont externalisé tant de fonctions, y compris parfois leur cœur de service, exécuté par leurs utilisateurs. Il n’y a aucune raison pour que les services de vente, de communication et de community management ne puissent pas être externalisés de la même manière, en créant un réseau de connecteurs locaux gérant leur propre communauté d’utilisateurs. Nous obtiendrions alors une communauté « glocale », un réseau de réseaux. Chaque communauté locale est comme une petite startup en elle-même, gérée par un connecteur. Elle est reliée au réseau global sur lequel elle repose pour le développement de la plateforme et la coordination. Mais elle peut vivre sa vie indépendamment de l’ensemble, croître autant qu’elle le souhaite et avoir sa propre animation et sa propre culture.

Ce modèle a la pertinence d’un petit groupe local, mais la force d’un réseau global.

Si Internet est appelé à transformer tous les modèles économiques en modèles distribués, les armées hiérarchisées de vendeurs n’ont plus de raison d’être. Cela implique de renoncer à une part des revenus, et aussi à un peu de pouvoir de décision. Cette voie est probablement jonchée d’obstacles et de difficultés qu’on ne soupçonne pas. Mais le jeu pourrait bien en valoir la chandelle. Nous allons donc tenter le coup.


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  • « Selon Ronald Coase, le recours au marché a un coût (remettant en cause l’hypothèse néoclassique d’information parfaite) et les entreprises existent pour réduire ces coûts (…) en substituant l’ordre hiérarchique à la loi de l’offre et de la demande » (citation Wikiberal).

    Le modèle de l’économie coopérative serait-il un modèle « non-coasien », c’est-à-dire un modèle où l’existence de structures hiérarchiques serait devenue sans objet, notamment parce que le coût de coopération entre investisseurs et entrepreneurs y est faible ou nul (ce qui redonnerait sens à l’hypothèse d’information parfaite) ? Ce modèle est-il applicable à l’ensemble des secteurs économiques au-delà de la production de logiciels ?

    A noter : cette économie coopérative n’a rien à voir avec les fariboles socialistes d’économie sociale et solidaire qui ont pour finalité le remplacement des investisseurs privés par l’Etat obèse, les capitaux privés étant considérés a priori comme le mal absolu, l’intervention publique purifiant les capitaux comme par magie.

    • Ces questions sont très intéressantes. Personnellement, je pense qu’aucun secteur d’activité ne sera épargné par cette mise en réseau que permet notamment Internet. Effectivement, l’information est améliorée par les plates-formes qui apparaissent, mais aussi la fluidité des marchés puisque des petits acteurs peuvent facilement entrer sur une plate-forme pour proposer leurs services. Le coût d’entrée sur le marché est donc largement réduit. Avec Open Funding, nous proposons un tel modèle pour l’industrie du logiciel, mais nous pensons qu’il pourrait s’étendre à de très nombreux autres marchés.

      Nous travaillons sur ces sujets et nous aurons donc plus de réponses bientôt !

  • Je suis un partisan des logiciels open-source, mais je ne trouve pas que les arguments présentés dans cet article soit très représentatif de ce mouvement.
    D’abord un point technique : « Le secteur du logiciel s’est jusqu’alors développé en imitant le modèle industriel, dominant dans la société qui l’a vu naître. Pourtant, grâce à la puissance des réseaux pair-à-pair distribués, des alternatives sont aujourd’hui possibles, plus efficaces et plus justes.. ». Les réseaux pair-à-pair distribués (comme bittorrent) sont utilisés pour distribuer les logiciels, mais ils ne sont de toute façon nécessaire pour le faire, et surtout ils ne sont pas la raison principale du succès des logiciels open-source.
    Ensuite vous parlez de la nécessité pour les développeurs d’avoir de l’argent pour vivre. Une immense majorité des développeurs open-source le font dans leur temps libre de façon bénévole. Après, vous parlez de la nécessité rémunérer les investisseurs et des intérêts des actionnaires. Une grande majorité des acteurs du libre ont crée justement leur mouvement pour ne pas dépendre des lois marchés et des actionnaires. Il existe effectivement des plateformes de financement dédiés pour les logiciels livres, mais très souvent le financement est assuré soit directement par des dons des utilisateurs, dons qui ne sont pas obligatoires, soit par des grandes entreprises, qui trouvent également leur compte dans les logiciels libres.

    • Quand je parle de réseaux distribués, il faut comprendre réseau humain, pas technique. L’idée est que les logiciels open source sont construits par des gens indépendants les uns des autres, pas par des salariés d’une même entreprise.

      Certes aujourd’hui de nombreux projets de logiciel libre sont développés par leurs auteurs sur leur temps libre. Mais c’est gens ont quand même besoin d’argent pour vivre, et le temps qu’ils passent pour gagner cet argent ne sert pas à développer leur logiciel. Alors pour certains projets ça marche bien comme ça, mais il y en a beaucoup d’autres qui se porteraient mieux si un professionnel pouvait y consacrer une partie de son temps payé.

      Sur l’histoire des actionnaires, je pense que vous n’avez pas compris mon propos. Il s’agit justement de dire qu’il est important pour une plate-forme de mise en relation de trouver un modèle qui nécessite le moins possible de rémunérer du capital. Je pense donc que nous sommes d’accord !

  • Vous ne pouvez pas faire un appel à des investisseurs sans présenter un « business model » cohérent. Cela ressemble trop à une chaîne de Ponzi.

    Si vous rajoutez des approximations comme l’usage de « réseau pair à pair » signalé par floyd, des ambiguïtés sur la fourniture et le droit de d’utiliser et modifier les sources, la nature de service ou de logiciel de ce qui est proposé, votre article devient peu crédible.

    • Le business model que nous présentons nous semble au contraire très cohérent ! Il est juste atypique parce que basé sur beaucoup d’entités indépendantes les unes des autres. C’est cela le sens du réseau distribué. Il s’agit bien de réseau humain, et non pas de réseau logiciel.

      Sur le reste, les points sont trop flous pour que je puisse y répondre, mais je serai heureux de clarifier pour rendre l’article plus crédible si vous précisez.

  • L’auteur de l’article aurait du aborder les raisons du succès des logiciels open-source, ce qu’il a fait de raison très partielle. Il y a bien évidemment la raison de la gratuité des logiciels open-sources, mais ce n’est de loin pas la seule. Pour ma part, je ne suis très intéressé par les logiciels libres, car ils ne contiennent pratiquement jamais de virus et de spywares. Je viens d’installer Linux en dual boot sur mon PC, car j’en ai marre d’être continuellement harcelé par des ‘malwares’ sur Windows, malgré que j’essaie d’être prudent et que j’ai un anti-virus installé.
    On parle aussi souvent de la sécurité accrue, car beaucoup de développeurs peuvent scruter le code source et détecter des failles. De plus, il y a très souvent une communauté de passionnés qui sont ravis d’utiliser les utilisateurs quand ceux-ci ont des problèmes. Enfin la pérennité est assurée par la communauté des développeurs qui travaillent dessus, alors qu’une entreprise peut très bien faire faillite, ou décider de ne plus supporter un produit (on peut penser à IBM et son système d’exploitation OS/2 par exemple).
    En ce qui concerne le ‘retour sur investissement’ et les actionnaires, ce n’est pas du tout comme cela que je vis le monde de l’open-source. Je teste les logiciels open-source, totalement gratuits, et si au bout de plusieurs mois je suis content, très souvent je fais une donation, par le biais de paypal, pour supporter les développeurs.

    • @floyd
      Merci de vos remarques constructives sur cet article.
      Si vous voulez aller plus loin, vous êtes bienvenu, n’hésitez pas à proposer un article sur le sujet à Contrepoints.

    • C’est vrai qu’il y a beaucoup de raisons au succès de l’open-source, bien au-delà de la gratuité, mais ça fera l’objet d’un prochain article !

      Pour le paragraphe sur le retour sur investissement, je parlais des plate-formes de mise en relation, pas du logiciel libre.

  • Aujourd’hui, une SSII peut développer une application de A à Z en utilisant du logiciel libre. (Qaund elle ne le font pas, c’est le choix du client). Cela permet énormément de souplesse : il suffit d’aller chercher le nécessaire sur Internet sans passer par des services achats des refacturation, documentation et exemples faciles à trouver en quelques secondes, haut niveau de productivité. Qualité parfois moyenne souffrant du copier-coller et du manque d’expérience et du niveau des développeurs.

    Toutes les entreprises le font plus ou moins et quand leur logiciel est stratégique, elles on donc intérêt à financer les développeurs et mainteneurs de ce qu’elles utilisent.

    Mais investir (autrement que par des dons) dans un projet open-source en cours de démarrage, destiné à fournir des briques à l’industrie du logiciel me semble un pari risqué. C’est un peu comme financer de la recherche fondamentale : cela fait progresser l’ensemble mais a peu de chances de déboucher sur quelque chose d’unique et incontournable. Comme le retour sur investissement ne peut être très élevé, c’est plus un don qu’un investissement.

    En matière de logiciel, les génies sont rares mais les médiocres sont légions. Les meilleurs produits sont souvent créés par des universitaires, des génies dans leur coin ou des petites structures de 3 ou 4 personnes.

    • C’est bien pour cela que nous proposons de financer un logiciel existant ! Aujourd’hui quand une entreprise a besoin d’une évolution sur un logiciel libre qu’elle utilise, elle n’a pas beaucoup d’autre solution que de payer plein pot. C’est là où nous intervenons en proposant de mutualiser les coûts de développement entre tous les utilisateurs intéressés.

  • ah tres bon article !… (enfin !)

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