En quoi les think tanks contribuent-ils à la production de résultats propices à une meilleure politique publique ?
Par Alejandro Chafuen, États-Unis.
Texte traduit par Audace Institut Afrique.
En quoi les think tanks contribuent-ils à la production de résultats propices à une meilleure politique publique ? Travaillant depuis plus de trois décennies dans ce domaine, j’ai développé un modèle simple basé sur des idées complexes. Les résultats de ce système sont le fruit de quatre facteurs : les idées, les incitations, le leadership, et la providence ou la chance. Une publication récente de Daniel Stedman Jones, Masters of the Universe: Hayek, Friedman, and the Birth of Neoliberal Politics (Les Maîtres de l’Univers: Hayek, Friedman, et la naissance de la Politique Néolibérale. Princeton University Press, 2012), aborde tous ces facteurs.
Stedman Jones se concentre sur quatre éminentes figures à la source d’idées fondamentales : Ludwig von Mises, Karl Popper, et les Prix Nobel F.A. Hayek et Milton Friedman. La citation de Stedman Jones du 21 Avril 1978, tirée d’une apparition de Friedman dans un programme de la BBC de l’époque intitulé The Money Programme, décrit le rôle que ce lauréat du Prix Nobel de Sciences économiques estime que les intellectuels doivent jouer : « Le rôle des penseurs, je crois, est essentiellement de garder toutes les options disponibles, d’avoir des alternatives, pour que lorsque la force des évènements provoque un changement inévitable, il y ait une alternative possible ». Sur le plan du leadership politique, Stedman Jones se focalise sur Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Peu d’amis de la société libre critiqueront son choix. Ils sont largement reconnus pour leurs contributions à ce qui a permis de stopper l’avancée du socialisme. Quant au rôle des incitations, Stedman soutient que la vision de la libre entreprise est devenue dominante grâce au réseau transatlantique de think tanks, d’hommes d’affaires, de politiciens et de journalistes. Ce réseau a été structuré par la vision et le leadership intellectuel de Hayek, Friedman etc. Stedman Jones consacre aussi une place importante dans son livre à La Bureaucratie de Mises ainsi qu’à La Société Ouverte et Ses Ennemis de Karl Popper. Il mentionne que ce réseau a bénéficié de la générosité et du leadership d’hommes d’affaires et de leurs fondations, parmi lesquelles : La Fondation Richard Mellon Scaife, La Fondation Earhart, la Charles Koch, La Fondation John M. Olin, et Liberty Fund.
Bien qu’il dédie de nombreuses pages aux fondements intellectuels du néolibéralisme, qu’il définit comme « l’idéologie du libre marché, basée sur la liberté individuelle et une intervention limitée de l’État, et qui met en relation la liberté humaine et les actions d’un sujet rationnel poursuivant ses intérêts personnels sur un marché concurrentiel », Stedman affirme que « la chance, l’opportunisme, et un ensemble de circonstances contingentes, jouèrent le rôle le plus crucial ». Mais quand la chance, la circonstance ou la providence créèrent ces conditions, le réseau était déjà prêt : « d’une entreprise au caractère essentiellement transatlantique, le réseau avait déjà pris une ampleur internationale dans les années 1980, du fait des efforts d’organisations telles que la Fondation Atlas et la Société du Mont-Pèlerin ». Je suis devenu membre de la Société du Mont-Pèlerin en 1980, et président d’Atlas en 1991, voilà pourquoi je lui donne crédit et j’apprécie son analyse.
Il cite par ailleurs une correspondance entre Hayek et Antony Fisher, dans laquelle ce dernier fait un réel effort pour convaincre Hayek que la création des think tanks n’était pas le résultat d’un pur hasard : « Vous mentionnez la ‘chance’ !… Il ne fait aucun doute que la chance est importante… (cependant) n’y a-t-il pas eu une intention de nos deux parts ainsi qu’une action qui en a résulté [pour lancer un think tank] ? Quel est le poids de la chance ? ». Fisher fonda l’Institute of Economic Affairs en 1957 et Atlas en 1981.
Stedman consacre bien plus de pages, avec davantage de citations, à von Mises, Hayek et Friedman qu’à Margaret Thatcher et Ronald Reagan. Son long exposé des idées partagées par ces remarquables économistes devrait en encourager plus d’un à prêter davantage attention à leurs travaux. Cela devrait aussi aider à équilibrer son analyse sur la crise de 2008 qui fut selon lui le résultat de libres marchés débridés. Le « club » Mises-Hayek-Friedman soutient que la crise a été le résultat d’un interventionnisme préalable.
Le livre conclut sur cette phrase : « Les politiques publiques basées sur la raison doivent renaître ». Pour Stedman, cela implique la règle du bureaucrate éclairé. Ceux dont le travail a conduit à un triomphe temporaire du néolibéralisme croient aussi en des politiques publiques fondées sur la raison. Mais c’est une raison influencée par leur compréhension empirique et théorique de la supériorité de règles simples comparativement à la réglementation minutieuse des entreprises et de la vie des gens. Hayek écrivait que « probablement rien n’a fait autant de mal à la cause libérale que l’insistance rigide de quelques libéraux sur certaines règles ‘pratiques’, par-dessus tout le principe de laissez-faire ». Il semblait avoir en tête ceux qui, face à n’importe quel problème politique, répondent en gros par : « c’est la faute de l’État, le libre marché trouvera la solution ».
Le chemin de retour vers la libre entreprise, loin du capitalisme d’État et du capitalisme de connivence, nécessitera une nouvelle génération de dirigeants de think tanks qui se consacreront de nouveau aux recherches sérieuses et à la promotion adéquate de solutions en termes de politiques publiques.
• Stedman Jones, Masters of the Universe: Hayek, Friedman, and the Birth of Neoliberal Politics, Princeton University Press, 2012, 424 pages.
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Sur le web.
Article original publié dans Forbes Magazine. Traduction : Anaïs Clément pour Audace Institut Afrique.
(*) Dr. Alejandro Chafuen est membre du Comité des Conseillers du Center for Vision & Values, membre du Conseil d’administration de Grove City College, et président d’Atlas Economic Research Foundation. (Les opinions exprimées par l’auteur sont personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de Grove City College ou celles de son comité de conseillers.)
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