L’école autrichienne d’économie, une présentation (2) : Une autre conception de l’économie

Les libéraux se réfèrent souvent aux idées de l’école autrichienne d’économie, avec des noms célèbres comme Hayek ou Mises. Mais qui sont ces curieux animaux autrichiens ? Contrepoints vous propose une courte présentation par l’un de ses meilleurs connaisseurs.

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L’école autrichienne d’économie, une présentation (2) : Une autre conception de l’économie

Publié le 17 mai 2012
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Les libéraux se réfèrent souvent aux idées de l’école autrichienne d’économie, avec des noms célèbres comme Hayek ou Mises. Mais qui sont ces curieux animaux autrichiens ? Contrepoints vous propose une courte présentation par l’un de ses meilleurs connaisseurs.

Par Gérard Dréan.

2e partie : Une autre conception de l’économie

Vue de l’extérieur, la tradition autrichienne est connue (plus ou moins) pour trois composantes. La plus connue est une théorie des cycles économiques, selon laquelle les crises sont la conséquence obligée des bulles, qui résultent elles-mêmes intégralement des manipulations de la monnaie et du crédit par l’État. Viennent ensuite sa position « ultralibérale », selon laquelle toute intervention de l’État dans l’économie est contre-productive et doit être proscrite. Enfin une méthode réputée « non scientifique », ce qui est censé invalider les positions substantielles qui précèdent.

En réalité, c’est précisément cette méthode qui est au fondement de la tradition autrichienne et la sépare radicalement de l’orthodoxie contemporaine. Elle part d’une réflexion épistémologique – la définition de l’économie en tant que discipline – et d’une réflexion ontologique – les caractéristiques des objets et des phénomènes dont traite cette discipline –  pour en déduire les méthodes qui permettent d’atteindre les objectifs de la discipline étant donné la nature de son objet. Sur tous ces points, la tradition autrichienne prolonge et explicite les conceptions des classiques, des Scolastiques du XVIe siècle à John Stuart Mill, David Ricardo et au-delà, en passant notamment par Turgot, Adam Smith et Jean-Baptiste Say.

Les économistes classiques partaient de l’idée universellement admise que toute science a pour but d’expliquer aussi exactement que possible certains phénomènes concrets qui composent le monde, en découvrant entre ces phénomènes des relations causales universelles, qu’on appelle des lois. Découvrir ces lois exige d’étudier les processus concrets qui mènent des causes aux effets, en commençant par observer attentivement les phénomènes qu’on cherche à expliquer.

Que révèle cette observation ? D’abord que ces phénomènes sont d’une extrême complexité. Chaque évènement résulte d’innombrables évènements antérieurs et aura d’innombrables conséquences. Conformément à la méthode mise à l’honneur par Descartes, il convient de rechercher les effets de chaque cause prise séparément avant de chercher à les combiner, ce que John Stuart Mill énonce « Quand un effet dépend de l’action simultanée de plusieurs causes, ces causes doivent être étudiées une par une, et leurs lois examinées séparément, si nous voulons, par la connaissance des causes, obtenir le pouvoir de prédire ou de contrôler les effets, puisque la loi de l’effet se compose des lois de toutes les causes qui le déterminent. » [1].

Deuxièmement, la substance des phénomènes économiques est faite des actions des êtres humains, que nous pouvons observer en détail, contrairement aux phénomènes élémentaires des sciences physiques. Comme l’écrit John Elliott Cairnes : « L’économiste peut ainsi être considéré dès le début de ses recherches comme déjà en possession des principes ultimes qui gouvernent les phénomènes qui forment the sujet de son étude, et dont la découverte dans le cas de la recherche physique constitue pour le chercheur sa tâche la plus ardue ; mais d’un autre côté, l’usage de l’expérimentation lui est interdit. » [2]

Les lois de l’économie peuvent donc se déduire logiquement de la connaissance de l’action humaine, mais ne peuvent pas être validées de façon certaine par l’expérience.

Nous savons aussi que les actions des humains ne peuvent en aucun cas être prévues avec certitude et précision. Les lois de l’économie ne peuvent fournir que des prévisions approximatives, d’autant qu’elles concernent la résultante d’un très grand nombre d’actions indépendantes. Au total, comme le dit Jean-Baptiste Say, les grandeurs économiques ne sont pas mesurables : « ce serait vainement qu’on s’imaginerait donner plus de précision et une marche plus sûre à cette science, en appliquant les mathématiques à la solution de ses problèmes. Les valeurs et les quantités dont elle s’occupe, étant susceptibles de plus et de moins, sembleraient devoir entrer dans le domaine des mathématiques ; mais elles sont en même temps soumises à l’influence des facultés, des besoins, des volontés des hommes ; or, on peut bien savoir dans quel sens agissent ces actions diverses, mais on ne peut pas apprécier rigoureusement leur influence ; de là l’impossibilité d’y trouver des données suffisamment exactes pour en faire la base d’un calcul. » [3].

Sous l’influence de Jevons et Walras les économistes adoptent une conception de l’économie inspirée de la physique et s’orientent de plus en plus vers la construction de modèles où la possibilité de traitement mathématique l’emporte sur le réalisme, l’agent élémentaire étant par hypothèse réduit au simple automate qu’est le mythique homo economicus rationnel et omniscient. Menger, et après lui les autres auteurs « autrichiens », ne font que rester fidèles à cette définition de l’économie comme une étude de la réalité qui repose sur une connaissance approfondie de cette réalité, et d’abord des êtres humains réels. Sa finalité est d’éclairer les enchainements qui conduisent des causes à leurs effets au fil du passage du temps, non de caractériser de mythiques états d’équilibre.

Les autrichiens partent du constat que tous les phénomènes économiques sont le résultat de l’action combinée de multitudes d’êtres humains dotés d’intentions et de libre arbitre, mais imparfaits tant dans leurs raisonnements que dans l’information dont ils disposent. Il est impossible à qui que ce soit de prévoir avec exactitude les actions que les uns entreprendront en réaction aux actions des autres, et donc a fortiori de prévoir les résultats combinés de toutes ces actions. De cette différence radicale entre l’objet des sciences physiques et celui de l’économie (et des sciences sociales en général), il résulte que les méthodes applicables aux unes et aux autres, ainsi que les résultats qu’on peut en espérer, sont radicalement différentes.

Les textes « autrichiens » sont donc écrits en prose courante et ne font que très exceptionnellement appel aux mathématiques ; et quand ils le font, c’est en tant qu’instrument d’exposition et non de raisonnement. Ils s’intéressent à des processus, à des relations de cause à effet et non à des équilibres et des relations fonctionnelles entre grandeurs. Ils rattachent explicitement tous les phénomènes économiques à l’action individuelle des êtres humains concrets et non au modèle abstrait de l’homo economicus, et dénient toute pertinence à l’étude isolée des agrégats nationaux. Quand ils proposent des « lois » de l’économie, ce sont des relations purement qualitatives qui ne prennent pas la forme d’égalités numériques. Enfin, puisque les « autrichiens » refusent à l’État toute efficacité (et, passant à la philosophie politique, toute légitimité) pour intervenir dans l’économie, ils ne fournissent pas de préconisations pour les « conseillers du Prince », si ce n’est de s’abstenir de toute intervention dans le fonctionnement de l’économie.


Lire les autres parties de la série :

Notes :
[note][1] When an effect depends upon a concurrence of causes, those causes must be studied one at a time, and their laws separately investigated, if we wish, through the causes, to obtain the power of either predicting or controlling the effect; since the law of the effect is compounded of the laws of all the causes which determine it (A System of Logic, 1848).

[2] The economist may thus be considered at the outset of his researches as already in possession of those ultimate principles governing the phenomena which form the subject of his study, the discovery of which in the case of physical investigation constitutes for the inquirer his most arduous task; but, on the other hand, he is excluded from the use of experiment. (The character and logical method of political economy, 1875).

[3] Traité d’économie politique, discours préliminaire (1803). [/note]

 

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  • Merci pour cette présentation

  • « Toute science a pour but d’expliquer aussi exactement que possible certains phénomènes concrets qui composent le monde, en découvrant entre ces phénomènes des relations causales universelles, qu’on appelle des lois. Découvrir ces lois exige d’étudier les processus concrets qui mènent des causes aux effets, en commençant par observer attentivement les phénomènes qu’on cherche à expliquer. »

    La fin me semble contestable: la validité d’une science vient non point seulement de l’observation attentive des phénomènes mais de l’élaboration a priori des principes sur lesquels cette observation se fonde. Par exemple, Bastiat parvient a priori à l’idée de l’harmonie naturelle des intérêts et procède ensuite à l’observation des phénomènes.

  • Un grand merci pour ces deux articles.

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