La nouvelle règlementation des banques, élaborée suite à la crise financière de 2008, est basée sur les règles de Bâle 3. Il manque encore beaucoup de précisions relativement à ces règles, mais je présente ici les grandes lignes de ces changements qui commenceront à être mis en place graduellement entre 2013 et 2019.
La règlementation de Bâle se traduit essentiellement par un niveau de capital minimum que les banques doivent maintenir. Le ratio minimal de capital Tier 1 sous Bâle 2 était de 4% des actifs pondérés par le risque.
Lorsque vous démarrez une entreprise, il vous faut du capital pour financer votre investissement. Le capital qui viendra directement de vous et de vos actionnaires est le capital-action. Le capital que vous emprunterez à la banque ou auprès d’autres créanciers sera du capital-dette. À chaque année, les profits que vous ne distribuerez pas à vos actionnaires sous forme de dividende s’ajouteront à votre capital-action – ce sont les bénéfices non-répartis. De plus, chaque somme que vous injecterez dans l’entreprise par la suite pour financer une expansion ou un investissement s’ajoutera aussi au capital-action.
Pour les banques, l’essentiel de leur capital Tier 1 sous Bâle 2 était constitué des actions émises au cours de leur existence, des bénéfices non-répartis cumulés, d’actions privilégiées non-cumulatives (i.e. que les dividendes non-payés sur ces actions ne seront pas payés à une date ultérieure) et de capital « innovateur ». Sans entrer dans les détails, le capital innovateur est en quelque sorte une façon qu’ont trouvé les banques de transformer des titres de dette en capital Tier 1. Le dénominateur du ratio est constitué des actifs pondérés par le risque. Par exemple, un prêt hypothécaire reçoit une pondération de 35%, donc pour une hypothèque de $100,000, la banque prête au moins $1,400 de son propre capital Tier 1 et le reste provient d’autres sources telles que des dépôts, obligations, débentures, acceptations bancaires, repo, etc. Pour un titre de dette de gouvernement coté AAA, la pondération est de 0%, donc la banque ne doit mettre aucun capital pour les acquérir. Pour une obligation d’entreprise cotée AAA, la pondération est de 20%. Pour la plupart des produits bancaires (prêts auto, carte de crédit, etc), la pondération est 75%, mais de 100% pour les hypothèques commerciales.
La crise financière et la récession
Durant la crise financière, les pertes sur prêts et sur les divers titres que les banques détenaient ont fait fondre le capital. L’écroulement du marché immobilier a eu un impact substantiel sur ces pertes puisqu’il a engendré une vague de chômage dans la construction et toutes les industries reliées au marché immobilier (fabrication d’armoires de cuisine, peinture, agents immobiliers, notaires, architectes, vendeurs/fabricants de piscines, vendeurs/fabricants de meubles, déménageurs, installateurs/fabricants/vendeurs de thermopompes, etc). D’un côté, la baisse de la valeur des maisons sous le montant de l’hypothèque a mis les banques dans une position précaire, et de l’autre côté, les chômeurs se sont mis à déclarer faillite et à ne plus payer leurs dettes. Supposons que vos dettes envers votre banque totalisent $250,000 (hypothèque, prêt auto, carte de crédit, etc) et que vous déclarez faillite. Votre banque saisit votre maison et récupère $125,000. Les $125,000 restant constituent une perte sur prêt qui vient réduire le capital de la banque. En supposant que votre banque visait un ratio de capital tier 1 de 7%, elle n’avait probablement contribué que $7,500 de son propre capital pour financer vos emprunts. En réduisant les bénéfices non-répartis, les pertes sur prêt grugent donc rapidement le capital des banques durant les récessions.
C’est pour cette raison qu’à l’aube de la crise, les investisseurs sont devenus inquiets concernant la solvabilité des banques, soit leur capacité à conserver un ratio de capital suffisamment élevé. Les prix de leurs titres financiers (actions ordinaires, actions privilégiées, obligations, débentures, hybrides, etc) ont donc dégringolé. Or il s’est avéré que les institutions financières détenaient énormément de titres émis par d’autres institutions financières (le fameux risque systémique). La perte de valeur de ces titres pour lesquels peu de capital avait été contribué a donc aussi fait diminuer le capital des banques. Il s’est aussi avéré que les banques avaient beaucoup d’arrangements hors-bilan qui se sont mis à flancher et à gruger encore plus de capital. Finalement, les craintes de solvabilité ont fait en sorte qu’il est devenu très difficile pour les banques de lever du nouveau capital et d’acquérir des liquidités que ce soit auprès de leurs déposants, sur le marché interbancaire et sur les marchés monétaires.
Face à cette situation et pour conserver leur liquidité, les banques ont cessé d’émettre des prêts ou du moins ont fortement augmenté leurs critères quant à l’octroi de crédit. Dans ces conditions, il est devenu difficile pour un grand nombre d’individus et d’entreprises de refinancer leurs emprunts venant à échéance, la seule solution étant la faillite. Ces faillites ont évidemment contribué à la hausse des pertes sur prêts et à la dégradation du capital des banques. La crise financière atteignait alors son apogée.
Les solutions de Bâle 3
Les autorités introduiront un nouveau ratio de capital qui ne prendra en compte que les actions ordinaires et les bénéfices non-répartis (le tangible common equity ratio ou TCE). Le minimum augmentera à 7.0% (les banques canadiennes sont presque déjà à ce niveau). Le ratio Tier 1 devra de plus être supérieur à 6.0% plutôt que 4.0% présentement (les banques canadiennes sont présentement en haut de 12%, donc pas de problème à ce niveau). D’autre part, les banques seront forcées à émettre une certaine quantité de débentures qui seraient convertibles en action advenant une crise financière (les fameux « CoCo bonds »). Le capital de type « innovateur » sera graduellement éliminé. Ainsi, la quantité et la qualité du capital seront améliorées. Le dénominateur aussi sera affecté. Les pondérations de risque seront modifiées, notamment concernant les titres émis par d’autres institutions financières, dont les pondérations seront fortement augmentées pour réduire le risque systémique. À cet égard, l’investissement de la Banque TD dans Ameritrade sera fort punitif, tout comme l’investissement de la Banque Scotia dans CI Financial ainsi que dans plusieurs banques de sa division internationale. Les actifs qui ne sont pas transigés sur des marchés financiers (a.k.a. over-the-counter ou OTC) seront aussi fortement punis d’une pondération plus élevée.
Par ailleurs, à partir de 2015, un ratio de liquidité minimale sera mis en place. Les détails ne sont pas encore connus, mais en somme, les banques devront être en mesure de subvenir à un certain pourcentage de leur besoin de liquidités pour une période de 30 jours. Un ratio à plus long terme sera aussi mis en place en 2018. Évidemment, ce ratio sera bien loin du 100% réclamé par les économistes autrichiens, mais ce sera un pas dans la bonne direction.
Conclusions
L’augmentation de la qualité et de la quantité de capital des banques permettra certainement de réduire quelque peu leur vulnérabilité aux récessions et l’introduction d’un ratio de liquidité minimale permettra de réduire un peu la probabilité d’une crise financière. Ceci étant dit, cette nouvelle règlementation ne permettra pas de colmater les failles fondamentales du système bancaire mondial. La réalité est que dans un système à réserves fractionnaires soutenu par une banque centrale, les banques vont éventuellement gonfler une autre bulle de crédit durant laquelle de mauvais investissements seront effectués. L’éclatement de cette bulle mènera à une autre récession, laquelle engendrera encore l’érosion du capital des banques et les ramènera possiblement dans une situation précaire. Est-ce qu’un ratio TCE de 7.0%, augmenté de CoCo bonds sera suffisant ?
C’est un peu comme construire un muret avec des sacs de sable avant l’ouragan Katrina : on se croise les doigts pour que les vagues ne dépassent pas le muret ! Mais en bout de ligne, sans l’intervention miraculeuse de la « main de Dieu », il est fort probable que le muret sera anéanti avec tout ce qui se trouve derrière.
D’ailleurs, le focus sur le capital est selon moi une grave erreur. Ce sont les réserves et la liquidité qui sont derrière la crise, et non le capital ! Évidemment, l’ingérence des gouvernements sur le marché immobilier (Freddie Mac, Fannie Mae, CRA, etc) et la politique monétaire inadéquate ont directement contribué à la formation de la bulle et ont donc fortement contribué à la crise financière, mais à la base, la formation des bulles et leur éclatement inévitable menant aux récessions est directement lié à l’insoutenabilité du système bancaire inflationniste en place. Cette nouvelle règlementation n’est donc que de la poudre aux yeux. On ajoute quelques coussins gonflables et on répare les pièces qui ont failli lors de la dernière crise, mais la voiture continue de rouler à tombeau ouvert et le conducteur ignore totalement quelles seront les pièces qui lâcheront lors de la prochaine crise. À défaut d’instaurer un système bancaire sain, avec un niveau de réserves couvrant entièrement les dépôts à vue et sans banque centrale, cette nouvelle règlementation ne permettra pas d’éviter la prochaine crise et d’éliminer la contribution du système bancaire à la formation de violents cycles économiques.
Bien vu!
Bel effort !
Juste une chose : j’ai beau être autrichien, je ne suis pas favorable à un ratio de réserve de 100% (i.e. je ne suis pas favorable à une réglementation en la matière) mais à un système de banque libre (voir George Selgin, The Theory of Free Banking).
des réserves de 100%, ou moins, ou (pourquoi pas) plus (110%, 200 % selon l’importance des risques pris), ça ne veut rien dire tant qu’on a pas préciser ce qu’on considère comme réserve valide. Même les « actions » par exemple, ce n’est que du papier, que la banque a réuni en échange de diverses ressources, dont la plus grande part est aussi constituée de papiers (les billets de la banque centrale, eux-même émis en échange de papier tels que des obligations grecques…), mais qui peuvent être n’importe quoi (par exemple, un bâtiment ou des « apports en industrie » c’est à dire une « clientèle ») ; est-ce que ces divers trucs ont plus de valeurs, présentent plus de sécurité, qu’un portefeuille de prêt correctement valorisé ? Les événements récents montre qu’on peut en douter.
Il faut plus d’actions pour respecter les ratios Bâle III ? pas de problèmes, il suffit d’en émettre. Même pas drôle, ceux qui ont été capable d’inventer le « capital innovateur » sauront en faire une version « action ».
La recapitalisation des banques dont on parle actuellement n’est que le résultat de la mise en place des accords de Bâle III, pour maintenir le même niveau d’encours de crédits distribués, avec des ratios d’engagements fonds propres sur crédits, plus contraignants, il faut logiquement accroitre les fonds propres des banques par une recapitalisation. La question est simplement de savoir qui va souscrire à la recapitalisation ?