Silence, on tue

À droite comme à gauche, Ben Ali fait l’unanimité : ce dictateur est un grand ami de la France

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Silence, on tue

Publié le 12 janvier 2011
- A +

Ben Ali est un grand ami de la France. À droite comme à gauche, le dictateur fait l’unanimité. Il est éclairé, nos gouvernants sont convaincus qu’il limite l’émergence d’un islamisme confusément perçu comme terroriste et qu’il maintient un ordre bienvenu vu de notre rive de la Méditerranée. Soyons réalistes, aucun régime n’est parfait, et nous avons besoin de conserver des relations d’ouverture avec nos partenaires naturels, malgré tous leurs défauts.

Mais à l’instar de Nicolas Sarkozy et de tous ses prédécesseurs de droite comme de gauche, devons-nous aller jusqu’à vanter les mérites de Ben Ali et sa « volonté de continuer à élargir l’espace des libertés », et voir dans la Tunisie, un « pays engagé depuis un demi-siècle sur la voie du progrès, de la tolérance et de la raison », un exemple possible « pour tous les peuples menacés par le fondamentalisme et l’obscurantisme » ? N’est-ce pas au contraire le meilleur moyen d’aboutir au rejet de nos valeurs par les nouvelles générations en quête de liberté et d’égalité ? Ne sommes-nous pas en train de faire le lit de l’islamisme comme unique voie de contestation réellement crainte ?

Les jeunes Tunisiens sont bien plus lucides, et ils voient depuis longtemps leur pays d’un autre œil. Lisez cet article de l’excellent média Nawaat.org :

« Je fais partie de la nouvelle génération qui a vécu en Tunisie sous le règne absolu de Ben Ali.
Au lycée, et au collège, on a toujours peur de parler politique : “Il y a des rapporteurs partout” qu’on nous dit. Personne n’ose en discuter en public. Tout le monde se méfie. Votre voisin, votre ami, votre épicier, est un rapporteur de Ben Ali, voulez-vous être emmené de force vous ou votre père vers un lieu indéfini, un soir à 4 h du mat ? »

Conclusion de ce jeune homme :

« La Tunisie, la corruption, les pots de vin, on a simplement envie de partir d’ici, on commence à candidater pour aller étudier en France, au Canada… On veut tout quitter. On est lâche et on l’assume. On leur laisse le pays.
On part en France, on oublie un peu la Tunisie, on y revient pour les vacances. La Tunisie ? C’est les plages de Sousse et de Hammamet, les boîtes de nuits, et les restaurants. C’est ça la Tunisie, un Club Med géant.
Et là, Wikileaks révèle au jour ce que tout le monde se murmurait.
Et là, un jeune s’immole par le feu.
Et là, 20 Tunisiens sont tués en un jour.
Et pour la première fois, on y voit l’occasion de se rebeller, de se venger de cette famille royale qui s’est tout approprié, de renverser l’ordre établi qui a accompagné toute notre jeunesse.
Une jeunesse éduquée, qui en a marre, et qui s’apprête à immoler tous les symboles de cette ancienne Tunisie autocratique, par une nouvelle révolution, la révolution du Jasmin, la vraie. »

Derrière les indéniables réformes de Ben Ali visant à libéraliser l’économie et à libérer l’initiative et les talents, il y a la mainmise d’un clan sur le monde des entreprises, ce que la Banque mondiale appelle les « interventions discrétionnaires du gouvernement » et le « pouvoir des initiés » qui affaiblissent le climat des affaires et les éventuelles prises de risque des investisseurs étrangers (non initiés, c’est-à-dire non proches du pouvoir). Il y a aussi le tyran, adepte des arrestations arbitraires des opposants politiques et de la torture, ce Ben Ali que RSF qualifie de « prédateur de la liberté de la presse ». Les jeunes Tunisiens vivent entre la peur de s’exprimer et l’absence d’espoir de réussite économique et de promotion sociale.

Soutenir cette dictature constitue-t-il un rempart efficace contre la dérive de l’extrémisme religieux ? Le désespoir est le meilleur terreau de la violence, qu’elle soit nationaliste ou à connotation religieuse. L’Occident n’est pas responsable du régime corrompu et destructeur de Ben Ali. Pour autant, un pays comme la France ne peut nier sa part de responsabilité dans la situation de la Tunisie. Tout en s’enorgueillissant  d’une prétendue mission universelle de défense des Droits de l’Homme, elle a contribué au maintien de Ben Ali et de son régime au pouvoir. Comme dans d’autres pays du monde arabo-musulman, l’extrémisme religieux (souvent teinté de nationalisme) s’est transformé auprès des couches populaires de la société en recours institutionnel, en voix d’opposition organisée et crainte. À la fin des années 80, l’opposition islamiste a ainsi atteint 14 % des voix en Tunisie, un score énorme qui a fait trembler ce pays où les dirigeants se font habituellement réélire à 98 %. Un attentat meurtrier de nombreuses années plus tard, qui peut nier l’existence d’une gangrène islamiste alimentée par le rejet de la dictature en place ? Heureusement, la Tunisie n’est pas l’Algérie, ni l’Égypte (également sclérosées par leur dictature nationaliste et socialiste en place). Le pays est plus petit, plus ouvert sur le monde.

Mais les Tunisiens attendent toujours que s’ouvrent les portes de la liberté, au point de recourir à la pire des extrémités : s’immoler. Tous attendent que soit instaurée la liberté de créer et de développer son entreprise sans se faire racketter par la famille et les proches de Ben Ali, la liberté de penser et de d’exprimer librement sans risquer la prison, la liberté de croire en soi et de poursuivre sa voie vers le bonheur.

Voir les commentaires (5)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (5)
  • « Heureusement, la Tunisie n’est pas l’Algérie » ?! Oui mais les Algériens c’est des êtres humains aussi a ce que je sache ! Tout comme les Tunisiens ils attendent toujours naïvement passivement ou activement que s’ouvrent les portes de la liberté, ils aspirent a la liberté, ils attendent que soient instaurées la liberté de créer et de développer son entreprise sans se faire racketter par le pouvoir corrompus en place, la liberté de penser et de d’exprimer librement sans risquer la prison, la liberté de croire en soi et de poursuivre sa voie vers le bonheur. (partie 1)

  • L’Algérie ? Pareil ou pire a cause de la manne pétrolière et gazière sous le contrôle total de la minorité au pouvoir en place, la corruption, les pots de vin, on a simplement envie de partir d’ici, on commence à candidater pour aller réétudier a 30 ans+ en France, au Canada…n’ importe ou, On veut tout quitter. On est lâche et on l’assume. On leur laisse le pays. En Algérie on s’immole pas, pire on se fait exploser plutôt ou on se jette a la mer pour être bouffée par les poissons en tentant de traverser sur une barque de fortune. (partie 2)

  • On part en France, on oublie un peu ou beaucoup l’Algérie, on y revient pour les vacances. L’Algérie? C’est des plages délaissées et polluées par les eux usées sales, des boîtes de nuits pour la débauche a grande échelle, C’est ça l’Algérie, une méga prison décharge a ciel ouvert difficile d’entrer, impossible d’en sortir.
    Soutenir cette dictature constitue-t-il un rempart efficace contre la dérive de l’extrémisme religieux ? un pays comme la France ne peut nier sa part de responsabilité dans la situation en Algérie tout comme en Tunisie. Tout en s’enorgueillissant d’une prétendue mission universelle de défense des Droits de l’Homme, elle a contribué au maintien du dictateur actuel et de son régime au pouvoir. Comme dans d’autres pays du monde arabo-musulman,(partie 3)

  • La Ministre française des Affaires étrangères a récemment déclaré que la France pourrait prêter son savoir-faire à la Tunisie, et à l’Algérie, pour… sécuriser les manifestations !! De qui se moquent-on ?!. A mon humble avis ils feraient mieux de garder leurs pattes cette fois-ci justement , parce que c 'est grâce a de tels soutiens et assistance que ces dictatures règnent encore et que leur peuples souffrent et s'exilent depuis des années et deviennent un problème ici, si elle s' occupe que de ses onions cette fois -ci ca vat aller mille fois mieux. (partie 4)

  • A quand le tour de l'Algérie ? Très bientôt je pense, c’est le compte à rebours, et bientôt le fameux problème d’immigration n’aura plus raison d’exister, il fera tellement plus bon vivre la bas que tout le monde sera tenté de rentrer, et le bonheur régnera a tout jamais sur les deux rives de la Méditerranée..… oui cela ressemble un conte de fées mais cela peu devenir très vite, en une fraction de seconde: une bien bonne réalité qui changera la politique et la vie en France a plus d'un titre.(partie 5et fin)

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Le Maroc est un pays dynamique, son économie est diversifiée, son système politique présente une certaine stabilité dans une région en proie à des crises à répétition. Ce pays a fait montre d’une résilience étonnante face aux chocs exogènes. La gestion remarquée de la pandémie de covid et la bonne prise en main du séisme survenu dans les environs de Marrakech sont les exemples les plus éclatants.

 

Pays dynamique

Sa diplomatie n’est pas en reste. La question du Sahara occidental, « la mère des batailles », continue à engran... Poursuivre la lecture

La question devient de plus en plus fondamentale, face aux assauts de violence vécus ces derniers mois, ces dernières années, dans notre pays et ailleurs. Des conflits géopolitiques aux émeutes des banlieues, les incompréhensions semblent aller croissant. Le sentiment domine que tous ne parlons plus le même langage, ne partageons plus les mêmes valeurs, n’avons plus les mêmes aptitudes au dialogue. Constat d’autant plus inquiétant que, comme le remarque Philippe Nemo, de plus en plus de pays non-occidentaux (Russie, Chine, Turquie, parmi d’a... Poursuivre la lecture

Mario Vargas Llosa, dont nous avions récemment présenté l’un des derniers ouvrages, et qui a fait régulièrement l’objet de nombreuses chroniques sur Contrepoints depuis quelques années, est aussi le prix Nobel de littérature de 2010.

Les éditions Gallimard ont édité la conférence qu’il a donnée à cette occasion, véritable éloge de la lecture et de tout ce qu’elle recèle à la fois comme trésors, comme potentiel de résistance au conformisme et comme moyen de défendre les libertés.

 

« Ce qui m’est arrivé de plus important... Poursuivre la lecture
Voir plus d'articles