Côte d’Ivoire : l’inextricable duo croissance – pauvreté

Créer la croissance économique ne saurait à elle seule faire reculer la pauvreté.

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Côte d’Ivoire : l’inextricable duo croissance – pauvreté

Publié le 15 juin 2015
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Par KRAMO Germain, chercheur au CIRES, Côte d’Ivoire.

« L’argent ne circule pas, il travaille. »

C’est avec cette phrase que le Président ivoirien Ouattara répondait à ceux lui reprochant que l’argent ne circule pas en Côte d’Ivoire. Cette phrase résume la situation actuelle du pays. Au moment où le président célèbre le quatrième anniversaire de son investiture, la Côte d’Ivoire affiche l’un des taux de croissance les plus élevés au monde. Seulement, la population ivoirienne se plaint d’une paupérisation de plus en plus importante.

Petite marchande en Côte d'Ivoire (Afrique) (Crédits : Kate Fisher/BBC World Service, licence BY-NC 2.0), via Flickr.
Petite marchande en Côte d’Ivoire (Afrique) (Crédits : Kate Fisher/BBC World Service, licence BY-NC 2.0), via Flickr.

L’économie du pays connaît depuis 2012 une croissance remarquable : 9,8% en 2012,  8,7% en 2013 et 9% en 2014. En même temps, le taux de pauvreté reste très élevé, puisqu’il est estimé à près de 50% en 2014. Par ailleurs, la Côte d’Ivoire est mal classée en termes d’indice de développement humain ; elle occupe le 171ème rang sur 187 pays. Alors pourquoi la forte croissance économique coïncide avec une pauvreté si élevée ?

Plusieurs raisons pourraient expliquer le faible impact de la croissance économique sur la pauvreté en Côte d’Ivoire

  • L’importance et la persistance de la pauvreté : son taux était de 48,9% selon l’enquête sur le niveau de vie des ménages de 2008. Il faut aussi noter que le seuil supérieur de pauvreté relative correspond à environ 241.145 FCFA. Selon le rapport 2012 de la BCEAO, la pauvreté en Côte d’Ivoire est de 18,2%. Une dépense moyenne de 43.888,39 FCFA par an et par tête d’habitant serait nécessaire pour éradiquer la pauvreté, ce qui rend difficile cette mission, l’incidence et la profondeur du mal étant trop élevées. La persistance de la pauvreté, malgré la forte croissance économique, peut s’expliquer aussi par un taux de chômage élevé. Selon les statistiques de l’AGEPE, en 2013 le taux de chômage est de 5,03% en Côte d’Ivoire, un taux qui semble être maintenu artificiellement bas surtout lorsque l’on sait que le taux de non-emploi, un autre indicateur du niveau de chômage, avoisine les 50% chez les jeunes.  En fait, beaucoup d’emplois créés ces dernières années sont temporaires ; des chômeurs sont recrutés pour la construction des infrastructures, et retournent à la précarité à l’achèvement de ces chantiers, d’où la persistance de la pauvreté.
  • La croissance économique : elle est produite par les investissements dans les infrastructures et l’exploitation des matières premières. À la sortie de la crise de 2011, le gouvernement a lancé la construction des infrastructures. Du point de vue de la demande, le décollage notable des investissements publics associés aux grands programmes de réhabilitation et de construction des infrastructures a représenté un vecteur important de croissance économique. Mais le déficit quantitatif et qualitatif des infrastructures sociales de base (éducation, santé, logement, énergie) ne permet pas aux pauvres d’améliorer la qualité de leur capital humain. Ils sont handicapés dès le départ et ont du mal par la suite à améliorer leur niveau de vie. Cette situation maintient les ivoiriens dans le cercle vicieux de la pauvreté. Cette croissance économique ivoirienne est également favorisée par l’exploitation brute des matières premières, laquelle a peu d’impact sur l’emploi à cause de la faible transformation des produits issus du secteur primaire. Pour preuve, selon les statistiques de UN Comtrade, les produits manufacturiers représentent moins de 10% des exportations totales de la Côte d’Ivoire. En conséquence, ses matières premières étant exportées à l’état brut, la population locale n’en ressent pas les retombées en terme d’emploi. En outre, le manque d’intégration de l’économie ivoirienne entraine la faiblesse des échanges intermédiaires entre les différents secteurs. Ce manque de complémentarité ou d’intégration ne favorise pas non plus la création d’emplois indirects dans d’autres filières. Par exemple, la faiblesse des échanges et interactions entre les secteurs de l’agriculture et de l’industrie implique qu’une entreprise agricole aura peu d’impact sur une entreprise industrielle. Cela limite les opportunités de création de richesse et d’emplois. Or, il ne peut y avoir de réduction de pauvreté sans création de richesse et d’emplois.
  • La corruption et la mal-gouvernance : elles entraînent une mauvaise allocation des ressources. Les pauvres sont éloignés des sphères de décision, rendant plus facile le détournement des ressources qui leur sont destinées. Le mauvais ciblage des pauvres permet aux riches de profiter davantage des politiques de transferts sociaux telles que subventions, aides, etc…  Cela empêche de canaliser les fruits de la croissance vers les plus démunis. Le racket contribue à alourdir les charges des plus démunis. Par exemple, les rackets institués par les « gnambros » (syndicats) dans le secteur du transport en commun entraînent la hausse du prix de ceux-ci. Corruption, racket, mal-gouvernance participent à la hausse du coût de la vie. Le taux d’inflation moyen de la Côte d’Ivoire est de 3%. Bien que relativement faible, il demeure très élevé pour les personnes à faible pouvoir d’achat faible.

Conclusion

Il est incontestable que la population ne semble pas ressentir les retombées de la forte croissance économique et la considère virtuelle. Le gouvernement ivoirien sollicite la patience des citoyens, la mais leur profonde et durable pauvreté ne les y incitent pas. Créer la croissance économique ne saurait à elle seule faire reculer cette pauvreté. Le gouvernement doit diversifier les sources de la croissance économique et créer une complémentarité entre le secteur agricole moteur de la croissance économique et le secteur industriel créateur de valeur ajoutée. Il doit agir sur les causes de la pauvreté grandissante pour permettre aux plus démunis de se prendre en charge ; des programmes spéciaux générateurs de revenus pourraient soutenir les plus défavorisés d’entre eux, trop exclus pour pouvoir s’extraire seuls de la misère où ils se trouvent.

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  • L’augmentation de richesse collective d’une société a pour effet de distendre sa pyramide sociale en éloignant son sommet de sa base, donc d’accroître les inégalités sociales. Phénomène aggravé par un taux de natalité élevé qui accroît la proportion de pauvres.
    Voir à ce sujet : https://docs.google.com/document/d/1y6IyObZUTGOZO8RNzaCblV7ipEKRlfdNFBHpUvhMlE8/edit

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      Hors de question !

    • C’est vrai et ce n’est pas vrai.
      Il ne faut pas confondre Europe et Afrique: en Europe, il y a une (imparfaite) solution pour ne pas tomber dans la misère, en Afrique, c’est encore la famille qui joue ce rôle d’aide mutuelle, les plus riches doivent distribuer aux moins riches.
      Si il y avait un enseignement auquel les enfants de toute condition auraient droit, on n’en serait sans doute pas là. C’est bien l’enseignement qui permet de grimper dans l’échelle sociale, avec ou sans diplôme supérieur. Mais il n’y probablement pas non plus de bourse pour que les doués moins nantis parviennent à un enseignement supérieur.
      (Il n’est sans doute pas sans raison que les arnaqueurs ivoiriens soient très nombreux sur internet, la police étant particulièrement paresseuse à ce sujet.
      De plus, la corruption du pouvoir est plus facile à négocier avec de grandes firmes étrangères dont le but n’est pas la philanthropie vis-à-vis de la population, et à qui on vend du produit brut. Il y a donc peu de « valeur ajoutée » à partager avec des ouvriers autochtones.
      Il est troublant de voir que toute la zone C.F.A. ait connu ce genre de « président-diictateur » avec stagnation de la population locale et sans vélléité de développement populaire.

      • En Afrique comme en Europe et ailleurs, toute société peut se segmenter en riches, classes moyennes et pauvres, même si les proportions des uns et des autres peuvent largement différer d’un continent, voire d’un pays, à l’autre. Ce qui distingue par contre l’Afrique (ainsi que d’autres régions en développement) de l’Europe est par contre effectivement le rôle social encore joué par la famille, laquelle amortit en quelque sorte les inégalités, sans influencer toutefois l’écart séparant les plus riches des plus pauvres, ni l’accroissement de cet écart tel qu’il résulte de l’augmentation de la richesse collective (nationale).

        Tout à fait d’accord avec vous pour considérer que le meilleur moyen dont dispose l’individu pour progresser socialement – encore une fois en Afrique comme ailleurs – est l’instruction, en comptant toutefois avec l’incontournable condition que riches et pauvres existent les uns par les autres.

        A noter par ailleurs que l’instruction semble être une arme assez peu efficace pour lutter contre la corruption (autre problème), ceux qui s’y laissent aller n’étant généralement pas les moins instruits.

      • Hélas ! En Afrique, un « frère » est quelqu’un du même village (un véritable frère est un frère « même-père même-mère ». La solidarité est à double tranchant : votre « frère » ne peut pas vous refuser l’hospitalité et cela vous protège de la misère, mais celui qui réussit à 50 personnes à sa charge …

        Mais le pire est la conscience ethnique. Tout les 50 kilomètres, les villages peuvent appartenir à une ethnie différente. Et je crois que c’est la principale cause des dictatures : n’importe quel pourri (ou même le pire) est soutenu par le peuple pourvu qu’il soit de la même ethnie – et donc de l’ethnie dominante. Imaginez que les Vendéens ne reconnaissen qu’un président Vendéen, les Corses qu’un président Corse et ainsi de suite ! Cet état de non-droit et de privilèges se déploit dans l’état et les fonctionnaires avec une corruption généralisée. J’en viens à penser que l’avenir des pays d’Afrique passe par des utopies totalitaires (de gauche ou de droite) pour unifier la nation.

  • Je vois que vous avez oublié de prendre en ligne de compte le nombre grandissant d’étranger sans formation professionnelle qui envahisse aussi les villes et mettent en mal les programmes de développement

    Je voudrais que vous prenez en compte le nombre d’étranger souvent sans formation professionnelle vivant dans la précarité. C’est aussi un frein au programme de développement de certaines régions. Par exemple une école ou centre de santé sensé acceuillir 10 personnes se retrouve avec 100 créant du coup un manque d’infrastructures. Or le gouvernement ne peut à chaque fois intervenir pour créer de nouvelles infrastructures rapidement. N’oublions pas aussi les effets collatéraux de la guerre. Tout ne peut changer du coup. Il faut donner du temps à l’état et au gouvernement. Ils sont là pour çà et ils arriveront à juguler précarité et développement.

  • Une population qui ne participe pas à la croissance de son pays ne peut ressentir les bénéfices économiques de cette croissance.

    Comme une entreprise, seul l’actionnaire profite allègrement du bénéfice car il participe, de part son investissement à la croissance de l’entreprise.
    Le cercle vicieux de la paupérisation sera mu lorsque la population elle-même sera porteuse de projets et de solutions de services.

    • Mais il faut pour cela de l’ambition et l’esprit d’entreprise, or ce sont des facultés parmi les moins bien partagées entre les hommes.
      Tout le monde n’a pas envie d’être riche (que ce soit matériellement ou autrement) ni de « réussir » sa vie.

  • Ce qui est extraordinaire en médecine chinoise c’est qu’elle nous apprend qu’au delà du diagnostic de la douleur et du remède il faut avoir un regard large pour comprendre qu’il existe en médecine comme dans tous les domaines des « liens de causalité  » en effet plutôt que de soigner les yeux faut soigner le foi qui permettra la guérison naturelle des yeux.
    La différence entre un très pauvre et une personne qualifiable d’autonome c’est que cette dernière peut contribuer à l’amélioration de la condition de cette première dont l’amélioration de sa condition dépend désormais de facteurs qui la dépassent .
    En effet pour entretenir l’emprise sur les masses et par effet de causalité il est bon usage du riche de ne pas permettre la libération du pauvre de sa condition mais d’entretenir cette condition à travers une générosité « don solidaire » utile davantage à la diffusion et à l’entretien de son image charitable qu’au changement radical de la condition du pauvre.

    • Il y a toutefois lieu de tenir compte qu’envers et contre tout, quoi que fassent le riche et le pauvre, richesse et pauvreté existent l’une par l’autre.
      Au-delà de toute volonté d’emprise des uns et de libération des autres, cette relativité est notre véritable condition. Tant qu’il y aura des pauvres il y aura des riches et réciproquement.
      Notre seul pouvoir est de réduire le nombre des uns et des autres, dans leur proportionnalité allant toujours s’aggravant. Et la dénatalité peut y suffire, sans violences.
      La population mondiale est constituée de 70% de pauvres (dont 20 à 25%de pauvres profonds).
      70% de 8 milliards = 4,9 milliards, 70% de 3 milliards = 2,1 milliards.
      Remède digne de la médecine chinoise, non ?

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